Signalement de faits de harcèlement : il faut mener l’enquête
Lorsqu’un salarié dénonce auprès de son employeur des faits de harcèlement moral ou sexuel, ce dernier doit prendre très au sérieux la situation. Pris entre le marteau et l’enclume, il doit agir vite quelques soient les circonstances, même si les faits ne sont pas avérés.
Ainsi, l’employeur doit immédiatement prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement et les faire cesser, sous peine d’engager sa responsabilité. Il doit ensuite rapidement diligenter une enquête interne pour déterminer la réalité des faits dénoncés, les responsabilités éventuelles et les sanctions qui pourraient s’imposer.
Mais que faire concrètement ?
Les obligations pesant sur l’employeur
L’employeur a une obligation générale de prévention des risques psycho-sociaux, bien distincte de la prohibition des agissements de harcèlements, dont le contenu n’est pas fixé par les textes, à quelques exceptions.
Une obligation de prévention aux contours flous…
Les entreprises employant au moins deux cent cinquante salariés, ont l’obligation de désigner un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Rien n’est prévu pour celles qui emploient moins de salariés.
L’employeur a également une obligation d’affichage, sur le lieu de travail ou d’embauche, des dispositions du code pénal relatives au harcèlement moral et sexuel. Enfin, il doit obligatoirement rappeler dans le règlement intérieur les dispositions du Code du travail, relatives aux harcèlements moral et sexuel ainsi qu’aux agissements sexistes.
… qui implique pourtant une grande responsabilité !
L’obligation de prévention des risques professionnels pesant sur l’employeur, notamment en matière de harcèlement est une obligation de résultat, ce qui signifie qu’il peut être condamné à des dommages-intérêts en cas de manquement à son obligation, sans que le harcèlement moral ou sexuel ne soit pour autant établi. Il ne peut donc s’exonérer de sa responsabilité, qu’en démontrant qu’il a pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour éviter le dommage subi par le salarié.
L’enquête diligentée par l’employeur
Dans les faits, après une dénonciation des faits de harcèlement par l’un de ses salariés ou en cas d’exercice de son droit d’alerte par le Comité Social et Économique, l’employeur doit immédiatement séparer le harceleur du harcelé, même en cas de doute. Ce n’est qu’ensuite qu’il devra mener une enquête interne.
Sa responsabilité est lourde. Il ne peut pas sanctionner un salarié tant qu’il ne s’est pas assuré que celui-ci est bien responsable des faits dénoncés. Il ne peut pas non plus laisser perdurer une situation de harcèlement sans prendre la moindre action, au motif que les faits ne seraient pas suffisamment sérieux.
Une enquête rapide est indispensable…
Cette étape est indispensable et doit être menée avec sérieux dans un délai restreint. L’employeur a l’obligation de mener une enquête interne auprès des salariés qui côtoient à la fois le harceleur et le harcelé, afin de déterminer la réalité de ces faits, leur gravité et leur qualification. Il peut se faire assister des ressources humaines, des représentants du personnel ou d’un cabinet extérieur afin d’apporter une plus grande impartialité à l’analyse de la situation. Cette enquête doit aboutir à une conclusion : y a-t-il harcèlement ou non ?
Ce n’est qu’ensuite, en fonction des conclusions de l’enquête que l’employeur pourra prendra toutes les mesures nécessaires permettant de protéger le salarié harcelé et de faire cesser les agissements litigieux (médiation, éloignement des protagonistes, changement d’affectation, sanction, licenciement, etc.).
Même si le Code du travail prévoit l’intervention possible d’un médiateur à l’initiative d’un salarié s’estimant victime de harcèlement, l’employeur ne doit pas faire l’impasse sur cette enquête, sous peine de voir sa responsabilité engagée par le salarié victime, qui pourrait prétendre qu’aucune mesure n’aurait été prise pour faire cesser la situation, qu’il n’aurait pas prise au sérieux.
…Mais pas forcément contradictoire
L’enquête n’étant encadrée par aucun texte, là encore l’employeur doit composer.
En 2019, le juge exigeait que l’enquête interne soit « contradictoire ».
Pourtant, la pratique ne permet pas toujours de respecter le principe du contradictoire : l’employeur doit agir rapidement pour s’exonérer de toute responsabilité et parfois avec la plus grande confidentialité, afin de protéger les salariés qui dénoncent des faits graves ou pourraient être victimes, pour éviter les intimidations ou pressions de la part du harceleur.
Fort heureusement, les juges ont revu leur position en estimant, à raison, qu’une enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral pouvait être menée sans informer le salarié mis en cause, ni même entendre ses explications. L’enquête peut donc être menée à l’insu du harceleur, ce qui permet bien souvent de libérer la parole de ceux qui sont amenés à témoigner.
Sanctionner ou pas sanctionner, telle est la question
Enfin, à l’issue de l’enquête, l’employeur doit prendre une décision soit à l’égard du harceleur, soit à l’égard du harcelé, soit à l’égard des deux.
Une obligation de sanction, le cas échéant
Aucune sanction n’est prévue par le Code du travail concernant l’auteur des faits de harcèlement. Les juges estiment qu’en matière de harcèlement sexuel, dès lors que les faits sont avérés il s’agit d’une faute grave, ce qui n’est pas forcément le cas en matière de harcèlement moral1.
Le choix de la sanction est donc important et dépendra de la gravité des faits et du risque encouru par l’employeur. Plus sa responsabilité pourrait être engagée, plus il sera enclin à licencier le harceleur pour faute grave. Le licenciement devra être engagé rapidement et au plus tard dans les deux mois qui suivent la date à laquelle l’employeur a eu connaissance des faits, sauf si les délais sont suspendus par l’engagement de poursuites pénales par la victime.
Il arrive parfois, que le salarié soit de mauvaise foi !
Si un salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou sexuel ou pour avoir dénoncé de tels faits, sous peine de nullité du licenciement, il en va autrement lorsque les faits dénoncés ne sont pas avérés et que le salarié a conscience du caractère mensonger de ses accusations, qui avaient pour finalité de se débarrasser d’un collègue ou d’un supérieur hiérarchique. En pareil cas, le maintien du salarié dans l’entreprise semble difficile. Sa mauvaise foi peut donc justifier son licenciement pour faute grave.
Par Aurélie Kamali-Dolatabadi, avocat associé et Marion Narran-Finkelstein, avocat au département Droit Social du cabinet d’avocats Courtois Lebel
1 La chambre sociale de la Cour de cassation, considère que l'obligation de l'employeur de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements de harcèlement moral n'implique pas, par elle-même, le licenciement pour faute grave du salarié à l'origine de cette situation. L'importance de la faute dépend des circonstances de fait et du comportement du salarié (Cass. soc., 22 oct. 2014, n° 13-18.862).
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