L’entreprise libérée : du marketing à la réalité
Critiqué ou porté aux nues, le modèle d’entreprise libérée fait couler beaucoup d’encre. Souvent marketisé, ce nouveau mode de fonctionnement pousse certaines sociétés à endosser un concept plutôt qu’à incarner un réel changement. Mais comment faire la différence entre communication sincère et mascarade ? Révolution ou imposture ? Rémi Gaubert, leader fondateur de Web-atrio, nous livre son point de vue.
Le « Happy washing », un concept qui porte atteinte aux salariés
Communiquer sur le bonheur au travail quand il ne s’agit que d’un vernis publicitaire, c’est comme asphyxier lentement mais sûrement la flamme de la confiance que vos collaborateurs avaient placée en vous. Du jour au lendemain, ils se retrouvent propulsés ambassadeurs involontaires d’une culture d’entreprise Photoshopée, imposée par le haut. La plupart des entreprises partisanes des nouvelles pratiques managériales humainement favorables agiraient donc finalement en despotes ? Le détournement du concept du « Lean management » en est un exemple flagrant. Comment vanter les mérites d’une « hiérarchie à plat » quand ce système est trop souvent mis en place par la voie du top-down sans consultation préalable des principaux intéressés ?
Vouloir raccrocher un concept à une organisation déjà en place, au lieu de favoriser l’émergence d’une culture déjà présente, telle est la tentation première des sirènes de l’entreprise libérée. Pour autant, la question du bien-être au travail mérite bien plus qu’un « Happy washing » !
Ô secours, mon entreprise se libère !
Mal annoncé et mal accompagné, le choix d’une politique managériale axée sur le bien-être au travail peut paradoxalement se révéler anxiogène pour certains collaborateurs. Sans parler de l’effacement pur et simple du middle management. Mettre l’humain au premier plan part d’un bon sentiment, mais quid des règles et procédures sécurisantes ? Que deviennent les managers ? Qui va prendre les décisions, qui va trancher ?
Repenser l’environnement et les relations de travail, c’est accepter de sortir d’un contrôle bien installé et se positionner comme acteur de sa vie professionnelle. Exit le confort de la simple exécution, l’entreprise libérée redistribue les rôles en fonction des compétences et de l’expérience. Sur le papier, c’est le fonctionnement idéal, le pouvoir au peuple en quelque sorte. Mais quel pouvoir ? Parce qu’en gommant toute forme de hiérarchie, en supprimant les moyens de pression, c’est justement tous les jeux d’ego et de pouvoir que cherche à bannir l’entreprise libérée. Ce faisant, chaque salarié est un leader qui s’ignore. Son expertise est valorisée, son opinion recherchée.
Sortir de l’ombre n’est pas chose simple pour certains collaborateurs. Cela implique un travail sur soi parfois difficile et désarmant. Participer à la libération de son entreprise, c’est d’abord lâcher prise et se libérer soi-même en tant que professionnel.
La crainte principale est de ne pas trouver sa place dans ce nouvel écosystème professionnel où la personnalité est mise en avant. Plus de raisons de se cacher derrière le masque de l’anonymat, c’est le moment de se dévoiler. Mais comment se mettre à nu sans avoir la garantie d’un encadrement ? Comment se fier aux prises de décision de ses collaborateurs, alors qu’elles impactent l’ensemble ? Comment penser collectif et non plus individuel ? Le mot est lâché. La confiance, voilà bien la qualité fondatrice de l’entreprise libérée. Malheureusement, c’est également son plus grand défaut. Tout est dans la subtilité et l’humilité, le retour à l’essentiel et à une communication naturelle. Entre redéfinition des missions, remise en cause de l’organisation interne et des professionnels eux-mêmes, l’entreprise libérée n’est donc pas un jeu qu’il faut prendre à la légère.
Quand les collaborateurs libèrent eux-mêmes leur entreprise
Mais alors comment distinguer une entreprise engagée dans un réel process de libération d’une entreprise libérée en apparence ? Si la communication externe n’est pas un élément différenciant, les efforts portés en faveur d’une communication interne efficiente constituent un élément de référence. En effet, donner les moyens aux collaborateurs de s’impliquer dans l’évolution de l’entreprise passe par une transparence et un questionnement quotidiens sur les sujets sensibles. Demander et prendre en compte les avis recueillis, valoriser les initiatives, proposer des ateliers de brainstorming, communiquer sur l’avancée des différents points de réflexion, ce sont ces pratiques qui marquent un véritable engagement sur le chemin de l’entreprise libérée. Le changement doit être accompagné et imaginé en amont afin d’anticiper inquiétudes, craintes et préjugés. Mais cet accompagnement ne doit pas brider toute forme de spontanéité. La responsabilisation et l’autonomie deviennent des principes clés, mais pourtant sans consistance ni saveur si la confiance en soi n’est pas là. Finalement, libérer l’entreprise n’est plus tellement le propos. La démarche à privilégier aujourd’hui, c’est de révéler le potentiel de chaque collaborateur. Chacun a son importance, chacun doit avoir conscience de ses capacités. De libérée, l’entreprise deviendra ainsi libératrice, actrice à part entière du bonheur au travail des salariés.
La rédaction
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