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Réforme de la rupture conventionnelle : l'échappée belle

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Après plusieurs mois de tractations1, le gouvernement a annoncé qu’il n’envisageait ni la suppression, ni la réforme de la rupture conventionnelle. Une solution cohérente tant ce mode de rupture est unanimement salué. Retour sur la montée en puissance de ce dispositif et les quelques doutes à lever encore.

Après plus de 15 années d’existence, la rupture conventionnelle est devenue la partenaire privilégiée de l’entreprise. Intronisée en 20082, elle consacre l’idée que « se séparer, ce n’est pas quitter quelqu’un, c’est se quitter tous les deux »3. Le consentement mutuel, paisible et choisi, peut ainsi paraître préférable à la rupture unilatérale, souvent contentieuse et toujours subie. Telle est la philosophie de la rupture conventionnelle, garante de l’intérêt de chaque partie.
Christine Hillig Poudevigne

Alors au jour de l’annonce d’une réforme de la rupture conventionnelle, nombre de voix se sont levées en défense d’un dispositif qui fait l’affaire de tous. Les dernières données communiquées par la DARES en attestent puisque 503 642 ruptures conventionnelles4 ont été conclues en 2022, près de deux fois plus qu’en 2010 (286 800).

Côté salarié en effet, ce mode de rupture assure à son signataire trois avantages : (i) le bénéfice d’une indemnité « spéciale de rupture » équivalente, au moins, au montant de l’indemnité légale de licenciement5, (ii) indemnité qui bénéficie, sous certaines conditions, d’un traitement social et fiscal favorable et (iii) l’éligibilité à l’allocation de retour à l’emploi (ARE)6. Trois bonnes raisons donc de traduire ses velléités de départ dans le cadre d’une rupture négociée.Rudy Rabelle

Côté employeur, ce mode de rupture présente également des intérêts. Tant à l’égard d’un collaborateur souhaitant quitter l’entreprise qu’à l’égard de celui qui n’apporte plus satisfaction sans que cela suffise à qualifier un licenciement, la voie de la rupture conventionnelle épargne l’employeur de situations délicates à gérer (démotivation du salarié, arrêts maladie prolongés…). En outre, le fait de ne pas avoir à justifier du motif de la rupture, à la différence d’un licenciement, et la contribution raisonnable qui s’applique sur l’indemnité à verser, bien que portée depuis le 1er septembre 2023 à 30%7, sont autant d’arguments qui offrent à l’employeur une solution raisonnable sur le plan financier et surtout sécurisée sur le plan juridique.

Cette sécurité juridique est aujourd’hui l’atout principal de la rupture conventionnelle. En dépit d’un encadrement administratif8 et doctrinal strict à ses débuts, ce dispositif s’est aujourd’hui libéré de son carcan initial pour s’ouvrir au champ des possibles. Ainsi :

  • Alors que l’administration interdisait la conclusion d’une rupture conventionnelle avec un salarié en accident du travail ou en maladie professionnelle9, la Cour de cassation a adopté une position contraire10 et a même admis la conclusion d’une telle rupture alors que le salarié avait été préalablement déclaré inapte par le médecin du travail11 ;

  • Alors que la doctrine considérait que l’existence d’un litige entre les parties excluait la conclusion d’une rupture conventionnelle, faute de pouvoir exprimer un consentement libre et éclairé12, la Cour de cassation a conclu à la solution inverse13, allant même jusqu’à considérer qu’elle pouvait être proposée comme alternative à un licenciement14. Ce n’est que dans un contexte de harcèlement que la pertinence de la rupture conventionnelle interroge encore et justifie la mise en place de solides garde-fous15.

Bien loin de ses limites initiales, la licéité d’une rupture conventionnelle n’est aujourd’hui contestable que si le demandeur à la nullité de la rupture rapporte la preuve (i) que son consentement a été vicié et/ou (ii) que le dispositif constitue une fraude à la loi.

Dans les faits, nous avons néanmoins encore deux regrets.

D’une part, la rupture conventionnelle ne permet pas de solder tout litige relatif à l’exécution du contrat de travail et ce, même si l’indemnité versée au titre de la rupture conventionnelle est bien supérieure au minimum légal. Ainsi, la sécurité juridique décrite ci-dessus concerne la seule rupture du contrat de travail. Il demeure néanmoins toujours un risque que le salarié vienne contester les conditions d’exécution de son contrat de travail, notamment concernant son temps de travail (mise en cause du forfait jours, demande d’heures supplémentaires, etc.). Il aura deux ans pour le faire (trois ans s’il conteste un élément de salaire). Or, la rupture conventionnelle ne vaut pas transaction et ne peut pas inclure de renonciation à toute action. La transaction est même parfaitement contradictoire avec l’esprit de la rupture conventionnelle : la première requiert l’existence d’un litige, ce qui, pour la Cour de cassation, vient nécessairement heurter l’esprit même de la rupture conventionnelle qui repose sur une rupture d’un commun accord. Seule échappatoire : signer une transaction concernant les seules modalités d’exécution du contrat de travail (sans viser la rupture), et ce, postérieurement à l’homologation16. La transaction ne peut pas être concomitante à la signature de la rupture conventionnelle, ce qui est d’ailleurs tout à fait dommage et pas nécessairement logique puisque l’objet de ces deux documents est différent. Mais la Cour de cassation ne l’entend pas de cette oreille, tout du moins pour le moment, et exige une signature postérieurement à l’homologation de la rupture conventionnelle17.

D’autre part, nous regrettons que la rupture conventionnelle présente encore trop d’incertitudes dans un contexte de difficultés économiques, notamment lorsque sa conclusion doit être articulée avec un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Par principe, la jurisprudence, en se faisant l’écho de l’administration18, veille à ce que la rupture conventionnelle n’ait pas pour but d’éluder les règles impératives en matière de PSE. Sous le prisme de la fraude à la loi, elle considère alors que les ruptures conventionnelles conclues pour une cause économique et qui s’inscrivent dans un processus de réduction des effectifs doivent être pris en compte dans les seuils applicables en matière de licenciements économiques19, dès lors qu’elles ont été homologuées et qu’elles ont abouti à la rupture effective du contrat20. Inversement, elle considère que la prise en compte de cette rupture est exclue lorsque les négociations avec un salarié ont été engagées bien avant que l'entreprise soit amenée à licencier, ce départ restant alors étranger au processus de réduction des effectifs pour motif économique21. Le calendrier entre la conclusion de la rupture conventionnelle et l’obligation de mise en place d’un PSE est donc décisif mais présente une incertitude pratique sur le choix du moment pertinent pour éluder les risques de fraude à la loi.

Cette incertitude semble l’être encore davantage sous le prisme du vice du consentement. La Cour de cassation a, en effet, considéré qu’encourt la nullité la rupture conventionnelle signée avec un salarié qui ignorait alors qu’un plan de sauvegarde de l’emploi allait être mis en place dans un futur proche, faute d’avoir pu comparer les conditions financières de son départ avec celui du PSE22. La solution laisse perplexe : comment mettre un salarié désireux de négocier une rupture conventionnelle dans la confidence de l’existence d’un futur plan de sauvegarde de l’emploi quand les élus n’ont même pas encore été informés de ce projet ? L’arrêt n’y répond évidemment pas.

Des incertitudes encore bien présentes donc, mais qui ne peuvent ternir la pertinence de la rupture conventionnelle dans le quotidien des entreprises.

Par Christine Hillig-Poudevigne, avocat associé en droit social et Rudy Rabelle, avocat collaborateur - cabinet YARDS


1 La Tribune, La rupture conventionnelle dans le viseur d’Élisabeth Borne, 26 nov. 2023
2 Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail
3 Sacha Guitry, Quadrille p. 25, Éd. Pocket
4 En France métropolitaine sur le champ privé hors agriculture et particuliers employeurs
5 C. trav. art. L. 1237-11 : « La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9 ».
6 La rupture conventionnelle, bien que consentie par le salarié signataire, s’analyse en une perte involontaire d’emploi, condition préalable pour prétendre à l’allocation de retour à l’emploi.
7 Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, art. 4
8 Circulaire DGT n°2008/11 du 22 juillet 2008 ; Instruction DGT n°2009-04 du 17 mars 2009 ; Instruction DGT n°2010-02 du 23 mars 2010
9 Instruction DGT n°2009-04 du 17 mars 2009
10 Cass, soc, 16 déc. 2015, n°13-27-212
11 Cass, soc, 9 mai 2019, n°17-28.767
12 V. not. J. Pélissier, « Modernisation de la rupture du contrat de travail », RJS 8-9/08, p. 684
13 Cass. soc. 23 mai 2013 n°12-13.865
14 Cass. soc., 15 nov. 2023, n° 22-16.957
15 Cass, soc, 1er mars 2023, 21-21.345 ; Cass. Soc. 23 janv. 2019, n°17-21.550
16 Cass. soc. 26 mars 2014 n°12-21.136 ; Cass. soc. 5 nov. 2014 n°12-28.260
17 Cass. soc. 25 mars 2015 n° 13-23.368 ; Cass, soc, 16 juin 2021, n°19-26.083
18 Instruction DGT n° 2009-04 du 17 mars 2009
19 Cass, soc, 19 janvier 2022, n°20-11.962
20 Cass. soc., 29 oct. 2013, n°12-15.382
21 Cass. soc., 18 déc. 2013, n°12-23.134
22 Cass. soc. 6 janv. 2021 n°19-18.549

Lu 2830 fois Dernière modification le jeudi, 29 février 2024 08:37
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