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Liberté d’expression des salariés, un droit à l’impunité ?

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La liberté d’expression des salariés est un droit fondamental reconnu sur le plan national et international. Cette liberté offre-t-elle pour autant toute latitude aux salariés ? Un employeur peut-il sanctionner un salarié pour des propos qu’il estime inappropriés ? À une époque où les canaux de diffusion se multiplient, comment appréhender la liberté d’expression en entreprise ?

La liberté d’expression des salariés, un droit fondamental…

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme garantissent le droit à la liberté d’expression qui comprend « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

Selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun ».

Droit fondamental accordé à tout individu, la liberté d’expression trouve naturellement sa déclinaison en droit du travail.

Ainsi le Code du travail pose en principe que : « les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail » (c. trav. art. L2281-1) et interdit à l’employeur de sanctionner un salarié pour l’exercice de son droit d’expression (c. trav. art. L2281-3).

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser que cette liberté d’expression vaut également à l’extérieur de l’entreprise : « l'exercice du droit d'expression dans l'entreprise étant, en principe, dépourvu de sanction, il ne pouvait en être autrement hors de l'entreprise où il s'exerce, sauf abus, dans toute sa plénitude » (Arrêt Clavaud / Cass. Soc. 28 avril 1988, n° 87-41.804).

Le salarié peut ainsi critiquer, dénoncer, témoigner, se défendre, agir en justice sans être inquiété, sauf en cas d’abus.

Mais qu’est-ce que l’abus en matière de liberté d’expression des salariés ?

Francoise Le Veziel… Mais pas absolu

Pour délimiter la frontière entre des propos critiques tolérés, et des propos fautifs sanctionnables, la Cour de cassation invite les juges du fond à vérifier s’ils sont « diffamatoires, injurieux ou excessifs ».

La diffamation et l’injure sont assez faciles à caractériser car elles répondent à une définition claire.

La diffamation est l'allégation ou l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne. L’injure est une parole, un écrit, une expression quelconque de la pensée adressés à une personne dans l'intention de la blesser ou de l'offenser.

Il est plus délicat de caractériser des « propos excessifs », cette notion induisant une certaine subjectivité.

Pour relever un abus de la liberté d’expression, les juges s’attachent aux circonstances dans lesquelles le salarié s’est exprimé : cadre dans lequel les propos ont été tenus, fonctions occupées, spontanéité, etc.

Ne sauraient ainsi caractériser un abus des propos tenus dans le cadre d’un groupe Facebook fermé composé de 14 personnes (Cass. Soc. 12 septembre 2018, n° 16-11.690).

L’abus n’est pas plus établi dès lors qu’un salarié a adressé un message à des salariés et représentants syndicaux, à propos de la négociation d’un accord collectif pour défendre des droits susceptibles d’être remis en cause et ce, bien qu’il ait employé des termes tels que « lamentable supercherie » qui « relève davantage d’une dictature que d’une relation de travail loyale » (Cass. Soc. 19 mai 2016, n° 15-12.311). Selon la Cour de cassation, « il fallait tenir compte du contexte dans lequel ces propos avaient été tenus, de la publicité que leur avait donné le salarié et des destinataires des messages ».

À l’inverse, la Haute juridiction considère que caractérise un abus de la liberté d’expression constitutif d’une faute la Cour d’appel qui retient qu’un salarié a porté « des accusations d'incompétence et de malhonnêteté contre son employeur dans des termes virulents et excessifs, que n'appelaient pas la lettre de l'employeur à laquelle il répondait, et constaté que le salarié en avait assuré une publicité en transmettant ses lettres à des tiers » (Cass. Soc. 3 décembre 2014, n° 13-20.501).

Il importe de préciser qu’en l’absence d’abus, le licenciement d’un salarié fondé sur l’exercice du droit d’expression est nul (Cass. Soc. 28 avril 1988, n° 87-41.804), ce qui lui ouvre un droit à réintégration dans son emploi ou à une indemnisation hors barème Macron.

En revanche, lorsque l’abus est avéré il peut justifier un licenciement du salarié pour faute grave voire lourde si l’employeur parvient à démontrer l’intention de nuire du salarié (Cass. Soc. 13 octobre 1999, n° 97-42.479).

Le rappel opéré par le Conseil de prud’hommes de Bordeaux en 2016 synthétise parfaitement la problématique de la liberté d’expression en entreprise : « chaque salarié bénéficie d'une liberté individuelle d'expression, quel que soit le cadre dans lequel elle s'exerce et tant en dehors qu'à l'intérieur de l'entreprise, qui relève des libertés fondamentales, mais qui doit être exercée dans le respect des obligations principales et accessoires issues du contrat de travail, telles que les obligations de loyauté, de correction, de réserve et de discrétion qui pèsent sur lui-même en dehors de son temps de travail. À ce titre, le salarié doit s'interdire, même en-dehors de l'entreprise et de l'exécution de son contrat de travail, d'adopter des comportements de nature à porter atteinte à l'image de l'entreprise et à la désorganiser dans des conditions susceptibles de caractériser un abus dans l'exercice de cette liberté » (Cons. Prud. Bordeaux, 3 février 2016, n°12/02023).

Un employeur peut-il encadrer l’exercice de la liberté d’expression ?

L’employeur peut apporter des restrictions à la liberté d’expression de ses salariés hors de l’entreprise par l’insertion d’une clause contractuelle. Une telle clause est licite dès lors qu’elle ne porte pas atteinte à la dignité des personnes.

Ces restrictions doivent cependant être strictement justifiées et proportionnées.

Pour rappel en effet : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (c. trav. art. L1121-1).

Focus sur la liberté d’expression des représentants du personnel

Outre les articles consacrant le droit d’expression des salariés dans l’entreprise (articles L2281-1 et suivants du Code du travail), la liberté d’expression est accordée aux représentants du personnel.

« Le Comité Social et Économique a pour mission d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production ». (c. trav. art. L2312-8)

Les représentants du personnel jouissent donc d’une liberté d’expression qui s’exerce pleinement à l’occasion des réunions, sous réserve des abus caractérisant des infractions pénales (Cass. Crim. 4 février 1986, n° 84-92.809).

Leur liberté d’expression peut également s’exprimer à l’extérieur de l’entreprise. Un employeur ne peut ainsi s’opposer à la diffusion de tracts syndicaux à l’extérieur de l’entreprise (en l’occurrence auprès de clients) que s’il parvient à prouver que les propos qu’ils contiennent sont injurieux et diffamatoires au terme de la Loi sur la presse (Cass. Soc. 28 février 2007, n° 05-15.228).

Les syndicats bénéficient d’une immunité totale en matière de diffamation car ils ne peuvent être poursuivis en tant que personne morale. Il n’est donc pas possible de poursuivre pénalement un syndicat tant au titre des délits de diffamation ou d’injure publique qu’au titre des contraventions de diffamation ou d’injure non publique. Les délégués syndicaux peuvent en revanche être poursuivis en tant que personnes physiques, sous réserve que les faits soient suffisamment caractérisés. Doit donc être relavé un délégué syndical auteur d’un tract qui ne comportait pas d’imputations diffamatoires à l’égard de la Société et de sa présidente (Cass. Crim. 10 septembre 2013, n° 12-83.672).

Par Françoise Le Véziel, Avocat associé chez ORATIO Avocats

Lu 17056 fois Dernière modification le mercredi, 02 juin 2021 13:35
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