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Réduction à 2 mois du délai pour saisir le Conseil de Prud’hommes : une fausse bonne idée ?

Réduction à 2 mois du délai pour saisir le Conseil de Prud’hommes : une fausse bonne idée ?

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Dans une interview donnée au journal « Le Parisien » le 3 décembre dernier, le Ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire a évoqué la possibilité d’inclure dans la future loi PACTE II, la réduction de 12 mois à 2 mois du délai alloué aux salariés pour contester leur licenciement devant le Conseil de Prud’hommes. Au-delà des effets d’annonce, Maîtres Guillaume Roland et Hugo Tanguy, avocats spécialisés en droit du travail au sein du cabinet Herald, décryptent pour vous les conséquences que pourrait avoir une telle mesure sur la vie des entreprises.

Le contexte actuel

Depuis une vingtaine d’années, le législateur a pour objectif (plus ou moins avoué), de réduire le nombre de saisines des Conseils de Prud’hommes, principalement dans un but de sécurisation de l’employeur dans ses ruptures de contrats de travail.
Guillaume Roland

Avec un résultat assez spectaculaire, puisqu’entre 2018 et 2021, le nombre de saisines de Conseils de Prud’hommes impliquant au moins une demande liée à la rupture du contrat de travail a chuté de 105 858 à 88 691 (source : Ministère de la Justice).

Les moyens juridiques mis en œuvre sont divers : on songe notamment à la création en 2008 de la rupture conventionnelle, dont la remise en cause judiciaire n’est possible que dans des cas très limités, ou à la complexification de la procédure de saisine du Conseil de Prud’hommes issue de la loi Travail de 2016, ou encore à la création en 2017 des barèmes « Macron », qui limitent l’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Mais aussi à la réduction progressive du délai accordé au salarié pour saisir le Conseil de Prud’hommes de la contestation de son licenciement : de 30 ans, il passe à 5 ans en 2008, puis à 2 ans en 2013, et enfin à 1 an en 2017.

Le nouveau projet de réforme proposé par Bruno Le Maire semble donc en apparence s’inscrire dans ce mouvement.

Toutefois, avec le délai d’un an, le point d’équilibre semblait avoir été atteint entre les intérêts du salarié et ceux de l’employeur.

Le délai est ainsi suffisamment long pour laisser au salarié la possibilité de se remettre de son licenciement, se renseigner sur la nature et l’étendue de ses droits, évaluer les chances de succès de son action, et réunir les pièces justificatives nécessaires.
Hugo Tanguy

Mais il est également assez court pour que l’employeur ne soit pas indéfiniment maintenu dans l’expectative et la crainte d’un éventuel futur conflit.

A trop vouloir pousser le curseur, apparemment en faveur de l’employeur, on peut craindre que le gouvernement ne fasse basculer cet édifice précaire, en créant pour les entreprises des effets imprévus et indésirables.

Vers une multiplication des recours « de mauvaise qualité »

D’abord, il est probable que la réduction à deux mois du délai de réflexion laissé au salarié, loin de le dissuader de contester son licenciement, ne l’encourage au contraire à saisir systématiquement le Conseil de Prud’hommes « par précaution », de crainte de se priver de ses droits, et ce, y compris dans des cas où avec plus de temps, il aurait estimé insuffisantes ses chances de succès et renoncé à son projet.

En résulterait ainsi, de manière paradoxale, une augmentation du nombre de saisines des juridictions prud’homales, ce qui irait naturellement à l’encontre de l’objectif recherché.

Ainsi, au lieu de sécuriser juridiquement l’employeur dans sa rupture, ce dernier se retrouverait confronté à des risques financiers supplémentaires qui ne seraient finalement écartés qu’à l’issue d’une procédure longue et coûteuse, si tant est qu’ils le soient, les juridictions prud’homales étant connues pour leurs décisions parfois surprenantes.

En outre, l’hypothèse d’un désistement du salarié, qui ayant pris conseil, réaliserait l’impasse dans laquelle se trouverait son recours, est le plus souvent illusoire, les Conseils de Prud’hommes rechignant excessivement à condamner les salariés pour procédure abusive.

Vers une dégradation du climat social

Deuxième conséquence prévisible d’une réduction à deux mois du délai de contestation du licenciement : une dégradation du climat social dans l’entreprise.

Rappelons en effet que le délai de saisine du Conseil de Prud’hommes court à compter de la notification du licenciement, et que sauf cas particuliers, la durée de préavis de licenciement est comprise entre un et trois mois selon la catégorie du salarié concerné.

Ainsi, les salariés ne pourront plus attendre d’être sortis des effectifs pour contester leur licenciement, et seront contraints de saisir le Conseil de Prud’hommes alors qu’ils se trouvent encore physiquement présents dans l’entreprise.

De fait, ils seront donc dans l’obligation de se placer dans une position d’opposition et d’hostilité vis-à-vis de leur employeur, dès le stade de l’exécution de leur préavis.

En résulteront des situations potentiellement toxiques pour l’ensemble des acteurs de l’entreprise, dans lesquelles l’employeur se méfiera de son salarié fraîchement licencié, se demandant s’il n’occuperait pas son préavis à préparer son procès plutôt qu’à travailler, et le salarié souffrira au quotidien des éventuelles pressions de son employeur, réelles ou ressenties, cherchant à le dissuader de saisir le Conseil de Prud’hommes ou au contraire lui reprochant de l’avoir fait.

En ces temps de crispation sociale, et avec la multiplication depuis quelques années des recours faisant intervenir des accusations de harcèlement moral à l’encontre de l’employeur, il n’est pas sûr que la réforme annoncée aide à apaiser les tensions dans l’entreprise.

Vers une complexification des sorties négociées

Selon les statistiques du Ministère de la Justice, en 2022, environ 30% des affaires introduites devant le Conseil de Prud’hommes se sont achevées non par une décision de la juridiction, mais par une issue négociée, aux termes de laquelle le salarié, en contrepartie du versement par son ex-employeur d’une indemnité de conciliation, accepte de renoncer à son action.

La procédure prud’homale est en effet conçue de manière à favoriser tout au long du procès l’entente entre les parties, considérée comme préférable à une décision judiciaire nécessairement subie par l’une ou l’autre.

À ce titre, elle impose notamment une audience de conciliation, et attache des avantages sociaux et fiscaux au versement d’une indemnité forfaitaire de conciliation.

La conclusion d’un accord entre employeur et salarié n’intervient cependant que rarement dans les deux mois qui suivent la notification du licenciement.

Il est cependant illusoire de penser que la recherche d’un accord entre employeur et salarié pourrait systématiquement intervenir dans les deux mois suivant la notification du licenciement, période au cours de laquelle les tensions et ressentiments liés à la rupture son encore vifs.

Le salarié serait donc d’emblée obligé de saisir le Conseil de Prud’hommes même si son intention est de transiger, ce qui peut sonner pour certains employeurs comme une « déclaration de guerre » mettant fin à tout processus de négociation.

Et même si les négociations se poursuivent, le rapport de force n’est plus le même dès lors que le salarié a déjà exposé l’ensemble de ses prétentions et présenté les pièces justificatives dont il entend se prévaloir.

Enfin si un accord est finalement trouvé, il interviendra selon toute vraisemblance très postérieurement à l’audience de conciliation, et pourra ainsi plus difficilement bénéficier des avantages liés au procès-verbal de conciliation totale pourtant supposés incitatifs.

Le projet de réforme évoqué par Bruno Le Maire semble donc peu préparé et révèle en tout état de cause un manque de compréhension par le Gouvernement des réalités de la procédure prud’homale, tant et si bien qu’il pourrait en grande partie produire les effets inverses de ceux escomptés.

L’initiative est d’autant plus surprenante qu’elle n’a jamais fait partie des revendications des organisations patronales.

Gageons que si cette idée prospère, elle fera au préalable l’objet de concertations avec les partenaires sociaux.

Lu 2446 fois Dernière modification le mardi, 09 janvier 2024 14:58
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