Reprise d’un site internet : concurrence déloyale ou contrefaçon ?

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L’économie numérique et la réglementation sur les pratiques commerciales déloyales ne sont pas antinomiques. Bien au contraire, les tribunaux rappellent régulièrement que pour garantir une construction pérenne du nouvel écosystème, un encadrement s’impose par les règles traditionnelles de la concurrence, à savoir l’action en concurrence déloyale et parasitaire.


Bien que l’identification des pratiques déloyales sur Internet soit rendue plus difficile en raison des idées véhiculées de la libre disponibilité de l’information, la jurisprudence, sous la poussée des acteurs du monde digital, est parvenue au fil du temps à promouvoir une loyauté des pratiques commerciales sur Internet.
En l’absence de droits de propriété intellectuelle à faire valoir, l’action en concurrence déloyale de l’article 1382 du Code civil et l’action en parasitisme, représentent des remparts efficaces pour lutter contre des comportements déloyaux rencontrés par un site de commerce en ligne.
Pour illustrer ce propos, nous souhaitons revenir ici sur une décision récente du tribunal de commerce de Paris en ce qu’elle nous semble justement bien souligner la volonté des juges de mieux protéger les contenus sur Internet, lesquels on le sait représentent parfois une valeur économique indéniable (Tribunal de commerce de Paris, 14 mars 2016 - Diamantin / Viclars).

De quoi s’agit-il en l’espèce ?
La société Diamantin et la société Viclars sont deux sociétés concurrentes disposant chacune d’un site Internet dédié à l’achat de diamants dans un but d’investissement. Les deux sociétés ont été créées en 2015, Diamantin disposant toutefois d’une légère antériorité de quelques mois.

Le litige naît lorsque la société Diamantin sollicite les agents assermentés du Centre d’Expertises de Logiciels aux fins de faire constater que son site Diamepargne.com faisait l’objet d’une reprise de l’ensemble de ses éléments conceptuels et architecturaux par le site Diamsinvest.com, appartenant à la société concurrente.

Estimant que cette reprise des pages de son site ainsi que de la reproduction servile de ses CGV lui avaient causé un sérieux préjudice commercial et provoqué un déficit d’image, elle engagea devant le TC de Paris une action en concurrence déloyale et parasitaire contre la société Viclars, réclamant le paiement de dommages et intérêts à hauteur de 55.000 euros et 10.000 euros pour préjudice moral.

Les arguments en présence
La société Diamantin soutient que la société Viclars a repris sur son site le concept et l’architecture qu’elle a développés sur son site Diamepargne.com. Elle précise ainsi que la plateforme de vente en ligne de sa concurrente a intégralement repris son modèle d’activité en proposant les mêmes onglets, fonctionnalités et services accessoires en ligne (mise sous coffre des diamants, service à domicile etc…).
S’agissant de la reprise de son corpus juridique, la société Diamantin fait valoir que le site Diamsinvest.com a intégralement repris ses CGV, allant même jusqu’à reproduire le numéro de Siren de la société Diamantin.

Pour fonder ses prétentions, la demanderesse souligne que la date de son immatriculation au RCS ainsi que celle de la création des sites litigieux attestent de son antériorité par rapport à sa concurrente. En créant donc son site Diamsinvest.com postérieurement, la société Viclars se serait fortement inspirée du site originaire de la société Diamantin. Emprunts et ressemblances qui constitueraient donc des actes de concurrence déloyale et parasitaire en instaurant d’une part un risque de confusion entre les deux sites et d’autre part en se plaçant dans le sillage de la société Diamantin pour tirer profit sans rien dépenser de son savoir-faire et de ses investissements.
En défense la société Viclars revendique son droit d’opérer sur le marché et met en avant sa liberté d’entreprendre une activité commerciale. Plus sérieusement, elle soutient qu’elle a confié la création de son site à un prestataire indépendant et que les similitudes existant entre les deux sites sont la conséquence du caractère générique des rubriques pour ce type de site.
La décision du tribunal de commerce
Le tribunal retient l’existence d’actes déloyaux et parasitaires dans la reprise du site et des CGV. Pour apprécier le préjudice à indemniser, le tribunal use de son pouvoir souverain d’appréciation et condamne la société Viclars à verser à la société Diamantin la somme de 30.000 euros de dommages intérêts.

La protection de la valeur des contenus sur Internet
Les décisions de condamnation pour reprise des éléments d’un site Internet sont relativement fréquentes depuis quelques années. La présente décision du TC de Paris vient s’inscrire dans la lignée de ces décisions des juridictions de fond qui sanctionnent les auteurs d’emprunts ou de copies serviles de pages Internet ayant pour conséquence un risque de confusion ou ayant permis de profiter indûment des investissements réalisés.
Il ressort de la jurisprudence qu’une plateforme de vente en ligne peut prétendre à la même protection qu’une entreprise traditionnelle en ce qui concerne ses richesses et créations numériques. Protection d’autant plus nécessaire désormais que les contenus d’un site Internet peuvent rapidement représenter une valeur économique importante, notamment en cas de notoriété.
Cette valeur économique des créations sur Internet, il convient justement de bien la protéger si l’objectif, comme le soulignent les différentes politiques gouvernementales et les acteurs du monde digital, est de favoriser le développement de l’économie numérique afin de permettre à la France d’être compétitive dans le domaine des nouvelles technologies par rapport au reste du monde.

Quel fondement juridique pour cette protection ?
Cependant ce n’est que progressivement qu’on est parvenu à ce constat de protection nécessaire. En effet, deux conceptions différentes étaient à l’œuvre, et continuent de l’être à certains égards. L’une prônant le libre accès des contenus figurant sur Internet, l’autre la reconnaissance d’un droit privatif au profit des créateurs sur ces contenus et donc une protection contre le détournement de ces valeurs économiques.
Lorsque le propriétaire du site n’est pas en mesure de démontrer un droit de propriété intellectuelle, ce qui est souvent le cas pour les sites de vente en ligne dont la vocation n’est pas en principe de créer une œuvre originale, c’est par la démonstration d’une faute qu’il peut encore espérer obtenir réparation du préjudice qu’il subit en cas de reprise des éléments de son site.
La faute sera ainsi caractérisée lorsque l’auteur de la reprise servile du contenu Internet aura instauré une confusion entre les deux sites (concurrence déloyale) ou encore dans le fait qu’il se sera placé dans le sillage du propriétaire du site en profitant indûment de ses investissements (parasitisme).
En l’espèce, le site Diamepargne.com n’a pas souhaité agir sur le fondement de la violation d’un quelconque droit de propriété intellectuelle, considérant a priori que la preuve de l’originalité de son site, condition de la protection par le droit d’auteur, serait plus difficile à rapporter que la simple caractérisation d’un comportement constitutif d’une concurrence déloyale et d’un parasitisme.

La reprise intégrale d’un site constitue une concurrence déloyale
Dans la présente affaire, le tribunal de commerce a caractérisé les éléments d’une concurrence déloyale en considérant que le site Diaminvest.com créait un risque de confusion avec le site Diamepargne.com du fait des nombreuses ressemblances.
Pour se déterminer ainsi, il prend en considération d’une part la circonstance que le site Diaminvest.com a été réalisé postérieurement et que d’autre part il y avait une reprise quasiment à l’identique de la présentation et des fonctionnalités du site Diamepargne.com.
L’argument soulevé en défense selon lequel nombre de fonctionnalités sont inhérentes à ce type de site n’a pas été retenu. Le fait d’avoir confié la réalisation du site à un webconcepteur ne justifie pas les similitudes.
C’est donc à juste titre que le tribunal sanctionne ici les emprunts et ressemblances qui sont générateurs d’un risque de confusion dans l’esprit des internautes moyennement attentifs.
En l’espèce, la similitude des concepts et architecture entre les deux sites était si flagrante lors d’une comparaison que le tribunal n’est pas entré réellement dans le détail des ressemblances. En général, pour caractériser la reproduction servile du site les juges analysent les ressemblances en se livrant à une comparaison détaillée des onglets, accessoires ou fonctionnalités des sites concernés (TGI de Paris, 15 mars 2013 Beemoov /Jurovi Studio).
On rappellera ici que la Cour de cassation exerce un contrôle sur cette qualification. Ainsi, dans une décision concernant la reprise d’un site et bien qu’il s’agisse d’une question touchant à l’originalité du site, elle a censuré une cour d’appel au motif qu’elle n’avait pas justifié en quoi le choix de combiner ensemble les différents éléments du site selon une certaine présentation serait dépourvu d'originalité (1ere Ch. civile 12 mai 2011 n°10-17852 Vente.privée.com /Club-privé).

La preuve du parasitisme en cas de reprise des éléments d’un site
Le tribunal a également caractérisé en l’espèce des faits de parasitisme de la part de la société Viclars. Celle-ci, en reproduisant l’intégralité de la plateforme du site Diamepargne.com s'est immiscée dans le sillage de la société Diamantin en profitant indûment des investissements réalisés à hauteur de 117.000 euros pour la construction de son site.
La société Viclars qui était en peine d’apporter la preuve d’investissements aussi conséquents apparaissait d’autant plus comme parasitaire qu’elle a créé son site postérieurement à celui de sa concurrente.
La décision du tribunal montre que la copie à titre lucratif et de manière injustifiée d’une valeur économique d’autrui constitue un acte de parasitisme tombant sous le coup de l’article 1382 du Code civil. Par ailleurs, le site objet de l’inspiration peut n’avoir aucune notoriété, un site simplement banal qui se trouve copié intégralement peut donc prétendre à une réparation pour parasitisme.
C’est d’ailleurs en ce sens que s’était prononcée la même juridiction dans une affaire similaire en indiquant que la notoriété ou « la banalité supposée d’un concept ne sont pas de nature à démontrer l’absence de parasitisme alors que le seul fait de s’inspirer de la valeur économique d’autrui, qui a réalisé des investissements, suffit à dénoter un agissement parasitaire » (Trib. de Com. de Paris, 28 sept. 2015, Sound Strategy c/ Concepson).
Le préjudice réparable au titre du parasitisme
L’évaluation du préjudice ne dépend pas en principe du montant ou de la valeur des investissements réalisés. Cette valeur aidera néanmoins le juge qui dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation en la matière. En revanche, si le demandeur à l’action en parasitisme apporte au juge les éléments démontrant une diminution de la valeur des investissements, il perdra d’une certaine façon ce pouvoir d’appréciation et devra évaluer le préjudice en fonction de cette diminution.
En l’espèce, la société Diamantin n’a pas rapporté de preuve chiffrée d’une diminution de la valeur de ses investissements. Toutefois, le tribunal a pu souverainement estimé qu’il existait une perte partielle de rentabilité de son investissement et l’indemnisera en conséquence de la somme de 30.000 euros.

La reproduction des CGV
Cette reproduction fautive est sanctionnée par le parasitisme économique, c’est-à-dire sur le terrain de l’article 1382 du Code civil. En l’espèce, la société Viclars a repris dans leur intégralité les CGV de la société Diamantin. Les juges ont d’ailleurs relevé que la société Viclars a poussé la reproduction servile jusqu’au point d’inclure dans ses CGV le propre numéro de Siren de la société Diamantin, preuve irrécusable du plagiat.
Les CGV sont trop souvent négligées par les entrepreneurs du e-commerce, alors pourtant qu’elles constituent un élément fondamental de la relation client : en amont lorsque le client va les consulter avant tout achat, et en aval, lorsqu’il s’agira de résoudre un litige contractuel.
Il est donc préférable de soigner les CGV d’un site de vente en ligne en les adaptant au type de commerce qu’on souhaite développer. La rédaction des CGV nécessite donc d’être confiée à un spécialiste du droit, lequel sera plus à même d’y intégrer les dernières évolutions législatives en matière commerciale et du droit de la consommation. 

Par Maître Antoine Chéron, avocat spécialisé en propriété intellectuelle et NTIC, fondateur du cabinet ACBM

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