La reprise d’une entreprise en redressement judiciaire, véritable opportunité de Build-up dans un contexte de ralentissement du M&A

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Le renchérissement du coût de la dette et les incertitudes sur les marges des entreprises dans un contexte inflationniste conduisent à un ralentissement de l’activité M&A après l'embellie constatée post période covid.

Ce ralentissement conduit à la fois à une dégradation des valorisations et au décalage de processus de cession par les vendeurs, dans l’attente de meilleurs auspices. Les relais classiques de croissance externes pour les entreprises en bonne santé financière se trouvent ainsi réduits. Il convient donc d’étudier d’autres opportunités.

Dans le même temps, pour la première fois depuis la crise de la Covid-19, le rythme d’ouvertures de procédures collectives retrouve le niveau qui était connu ante-Covid avec l’ouverture de pas moins de 13290 procédures collectives sur le premier trimestre 20231.

Cette hausse du nombre de procédures collectives, notamment au niveau des PME, est ainsi source de nouvelles opportunités de build-up pour les fonds de private equity mais aussi pour les grands groupes, projets souvent créateurs de fortes valeurs, et ce au moment même où émergent de nouveaux schémas d’acquisitions dans le cadre de plans, sous réserve toutefois de bien appréhender les spécificités d’un processus d’investissement bien différents d’un processus M&A classique.

1. Contexte juridique

Lorsqu’une entreprise ne parvient plus à faire face à ses paiements courants (i.e. faire face à son passif exigible avec son actif immédiatement disponible, caractérisant ainsi un état de cessation des paiements), celle-ci est placée « sous-main de justice » par l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.

Cette procédure a pour but de permettre la poursuite de l’activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif à travers la mise en place alternativement :Laura Bavoux

  • d’un plan de redressement par voie de continuation, qui consiste schématiquement à rééchelonner la dette sur une durée généralement plus longue que celle qui pourrait être obtenue dans le cadre d’une procédure amiable (incluant potentiellement un abandon de tout ou partie de la dette après consultation des créanciers) ; ou
  • d’un plan de cession, qui consiste à céder tout ou partie des actifs, des contrats et du personnel à un tiers repreneur moyennant un prix de cession usuellement décoté.

Que ce soit dans l’un ou l’autre de ces deux schémas, l’entreprise cible aura nécessairement besoin de nouveaux financements, faisant naître de nouvelles opportunités de consolidation pour les fonds de private equity ou les grands groupes désireux de consolider leur portefeuille dans le contexte de diminution des volumes de cessions classiques décrit précédemment.

2. L’investissement dans le cadre d’un plan de cession

La « reprise à la barre » d’entreprises en procédure collective est aujourd’hui encore un outil de restructuration simple mais efficace qui présente de nombreux avantages bien connus. Au-delà, d’un prix de cession généralement décoté en raison des difficultés que rencontre la société cible qui la privent de tout pouvoir de négociation, l’opportunité réside dans la reprise d’une activité taillée sur mesure – puisque le repreneur délimite dans son offre les actifs, contrats et contrats de travail repris – et exonérée de tout passif2, ce qui en fait un investissement particulièrement intéressant dès lors que les coûts de la restructuration (indemnités de licenciement des salariés non repris, indemnités de résiliation des contrats non poursuivis, etc.) resteront à la charge de la procédure.

Le repreneur bénéficie alors d’une entreprise dimensionnée à son projet bénéficiant, le cas échéant, des moyens dont il dispose à travers ses autres participations pour créer des synergies et des économies d’échelle.

Cette modalité de reprise est toutefois assortie de besoins de trésorerie qui s’ajoutent au prix de cession qu’il convient de ne pas négliger au moment de la préparation de son offre et de son plan de financement. Au titre de ces besoins figurent notamment le financement des investissements nécessaires à la reprise (mais que l’on retrouvera également dans le cadre du plan de continuation), la reconstitution intégrale du besoin en fonds de roulement (BFR).
Edouard Dutheil

A ce titre, les créances clients restant attachées le plus souvent à la liquidation, les fournisseurs impactés par le non-paiement de leurs dettes ne réaccordant des délais de règlements que tardivement et l’obligation de reconstituer des stocks, bien souvent trop faibles pour assurer une exploitation optimale. Il est donc impératif de ne pas confondre le prix et le coût de la reprise à la charge du repreneur, qui ne bénéficiera pas de la trésorerie et du compte client de la société cible.

Outres ces aspects financiers, il doit également être tenu compte au moment de l’élaboration de la stratégie de reprise de la subsidiarité du plan de cession par rapport à un éventuel plan de continuation3, qui a pour conséquence que l’opération projetée pourrait ne pas aboutir si un plan de continuation satisfaisant aux critères de la pérennité et de l’emploi venait à être proposé et adopté par le tribunal. A la subsidiarité du plan de cession, s’ajoute également la concurrence inhérente au processus d’appel d’offres lancé par l’administrateur judiciaire.

Il est également important d’intégrer dans la réflexion le fait qu’un processus d’appel d’offres en plan de cession diffère fortement d’un processus classique M&A, le calendrier resserré (quelques semaines tout au plus en l’absence de trésorerie) et le niveau d’information (souvent parcellaire), rendant la capacité d’analyse détaillée au préalable relativement limitée. Ces différences par rapport à un processus classique M&A sont également applicables, toutefois potentiellement dans une moindre mesure, à un processus en plan de continuation.

Face à ces contraintes qu’il convient d’intégrer dans son analyse, il peut s’avérer plus avantageux, au cas par cas, de procéder à une reprise du capital de la cible en finançant un plan de continuation.

3. L’investissement dans le cadre d’un plan de continuation

Le tribunal peut « ordonner la cession totale ou partielle de l’entreprise si le débiteur est dans l’impossibilité d’en assurer lui-même le redressement ». Le plan de cession n’est pas l’unique voie, et plus encore, n’est qu’une voie subsidiaire étudiée par le tribunal lorsqu’aucun plan de redressement viable n’est possible.

Dans le cas où plusieurs plans concurrents existeraient en plan de cession, un investisseur peut avoir intérêt à financer un plan de continuation, afin de s’assurer une forme de priorité par rapport aux potentiels plans de cession proposés, augmentant ainsi ses chances de réaliser son investissement. Cette priorité, pour qu’elle existe, doit reposer sur un accord à trouver avec les principaux créanciers. Un tel financement passera généralement par une réduction de capital afin d’apurer les pertes suivies d’une augmentation de capital et/ou de la cession des titres de la société cible pour un euro au nouvel investisseur4.

Néanmoins, pour bénéficier de ce traitement prioritaire, l’investisseur désormais à la tête de l’entreprise sera redevable de son passif, et devra mettre en œuvre, et financer, le plan d’actions nécessaires pour retrouver la voie de la rentabilité. Il est alors indispensable pour l’investisseur d’évaluer la véritable valeur de l’entreprise, ses capacités de retournement et ses besoins, afin de déterminer si l’apport d’un nouveau financement pourra lui permettre de se retourner et de réaliser à moyen terme du profit.

Afin d’adapter le montant du passif à la valeur de l’entreprise et à sa capacité contributive, celui-ci peut toutefois faire l’objet de négociations dans le cadre de l’élaboration du plan portant sur des échelonnements, des remises, des abandons ou des conversions de dettes en capital, qui pourront même, sous certaines conditions prévues par la transposition de la directive européenne « restructuration et insolvabilité » du 20 juin 2019, être désormais imposés à certains créanciers récalcitrants.

Pour conclure, il existe plusieurs possibilités pour organiser des build-up de cibles corporate, chacune présentant ses spécificités. Alors que le plan de cession permet un redimensionnement immédiat de l’entreprise et une exonération du poids du passé au prix toutefois de la nécessité de financer le BFR de reprise, le plan de continuation, souvent moins onéreux initialement (absence de BFR à reconstituer), nécessite quant à lui la mise en œuvre d’un plan de retournement et le traitement du passif antérieur. L’appréciation de la valeur de l’entreprise devient essentielle afin de cibler stratégiquement les entreprises ayant une structure saine qui pourront, avec l’apport d’un nouveau financement, retrouver la voie de la rentabilité à moyen terme.

Par Laura Bavoux, Restructuring counsel chez Weil, Gotshal & Manges LLP et Edouard Dutheil, Associé - Restructuring / Situations Spéciales chez Eight Advisory

1 Indicateurs – Procédures collectives et de prévention, Observatoire des Données Economiques du CNAJMJ
2 Sauf quelques rares exceptions
3 Article L. 631-22 du Code de commerce ; Cass. com., 4 novembre 2014, n°13-21.703, n°13-21.712
4 Tribunal de commerce de Grenoble, 4 avril 2023, RG n°2022F01636, société Allimand




Lu 20291 fois Dernière modification le lundi, 16 octobre 2023 15:26
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