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Le droit fiscal deviendrait-il moral ?

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Le droit fiscal n’échappe pas à la montée d’une demande citoyenne de « moralisation » et « d’exemplarité ». Cette exigence s’appuie notamment sur l’objectif de transparence fiscale poursuivi par l’Union européenne en vue d’assurer notamment une concurrence fiscale plus équitable entre les États membres.

La morale est définie comme l’ensemble des règles de conduite, considérées comme bonnes de façon absolue ou découlant d’une certaine conception de la vie. Appliquée à la société, la morale se définit comme la coexistence de la défense des intérêts particuliers et la défense de l’intérêt général, cette dernière aboutissant au prélèvement d’un impôt égalitaire. Neutre et réaliste, le droit fiscal se veut alors démuni de toute morale.

L’impôt est tour à tour pensé comme un instrument permettant de provoquer une action, de l’infléchir ou de l’orienter, ou bien encore de la décourager. Quel que soit l’effet escompté, le recours à l’outil fiscal s’adosse de plus en plus à une certaine conception des conduites individuelles et collectives, et des facteurs qui les conditionnent portant atteinte à l’amoralisme initial du droit fiscal.

Le droit fiscal n’est pas un droit moral

Chaque règle de droit a sa finalité. Celle du droit fiscal est de déterminer la matière imposable et les modalités de son imposition dans le respect, autant que possible, du principe constitutionnel de l’égalité devant l’impôt. La détermination du profit imposable est ainsi étrangère à toute considération morale. 
Sophie Jouniaux

L’assiette de l’impôt n’est pas calculée de façon différente pour le membre de l’Académie française et pour le bandit de grand chemin. Ainsi, l'individu qui exerce une activité immorale ou illicite reste redevable d'impôts : manifestation certaine de l'autonomie et du réalisme du droit fiscal. Les gains qu'une personne retire du trafic de stupéfiants, sont, indépendamment de la condamnation pénale qu'elle encourt, imposables au régime des bénéfices industriels et commerciaux1.

Poursuivant sur le chemin de l’amoralisme, le droit fiscal admet également la déductibilité de l’ensemble des charges engagées dans l’intérêt de l’entreprise, en ce compris les sanctions pécuniaires à caractère civil (telles que des condamnations civiles prononcées pour escroquerie ou encore des charges résultant d'un prêt illicite de main-d’œuvre) ou administratif (infligées par une autorité administrative indépendante2).

Selon une jurisprudence bien établie, les charges supportées en conséquence d'actes, même illicites, accomplis dans l'intérêt de l'entreprise, sont par principe déductibles. Le Conseil d’État affirme ainsi que la fiscalité doit s'apprécier indépendamment de toute considération morale.

Toutefois, le droit fiscal français n’échappe pas à la tendance mondiale d’une certaine « moralisation de la société ».

De grands pas vers la moralisation du droit fiscal…

En matière fiscale, ces dernières années ont été marquées par deux grands mouvements, l’un guidé par une recherche de transparence des groupes dans la gestion de la fiscalité, l’autre par un besoin d’amélioration des rentrées budgétaires.

La fiscalité n’échappe ainsi pas à l’édiction de nouvelles règles visant à accroître la transparence des contribuables et à moraliser la société.

Cela passe par de nouvelles obligations à la charge des groupes, telles que l’introduction en 2016 d’un reporting pays par pays (le « CbCR »), précisant l’allocation par juridiction des bénéfices du groupe ainsi que de certains agrégats comptables et fiscaux (chiffre d’affaires intragroupe et avec entités tierces, bénéfice avant impôt, impôt dû et acquitté, etc.).

Le projet de CbCR public aboutit à ce que ces données soient, en partie, accessibles à tous : une transparence à l’égard du plus grand nombre poussant les groupes à moraliser leur gestion fiscale en se montrant exemplaires devant tous.

Ce nouveau moralisme fiscal s’accompagne de la prise en compte de contraintes plus globales avec la recherche de nouvelles rentrées budgétaires. Cela s’est notamment traduit par la transposition pour les entreprises du guichet de régularisation fiscale à travers la mise en place du service de mise en conformité fiscale des entreprises (le « SMEC »).

D’autres procédures poursuivent le même objectif, telles que l’extension des facultés de régularisation en cours de vérification de comptabilité ou encore la mise en place du partenariat fiscal entre les groupes et l’administration fiscale.

La contrepartie de ces nouvelles facilités en termes de régularisation et de prévisibilité de la norme fiscale se trouve dans les sanctions mises en place à l’encontre des récalcitrants, avec la transmission automatique des dossiers au parquet, ou encore la mise en place d’un pilori fiscal avec la procédure du « name and shame » consistant dans la publication pendant maximum un an du nom et de l’activité de l’entreprise contrevenante sur le site de l’administration en cas d’infraction portant sur un montant de « droits fraudés » supérieur à 50 000 euros via le recours à des manœuvres frauduleuses.

Ce nouveau moralisme fiscal s’est aussi développé auprès des acteurs du droit fiscal, à travers l’introduction de la directive « DAC 63 » . Désormais, les acteurs de la fiscalité devront déclarer les montages supposés abusifs. Cette directive consacre la moralisation du droit fiscal et de l’ensemble de ses acteurs, accompagnée par la recherche de plus en plus prononcée de transparence fiscale.

L’ensemble de ces nouvelles procédures contribue à moraliser la fiscalité et la rapprocher d’une conception nouvelle des conduites individuelles et collectives plus transparente, atténuant l’amoralisme initial du droit fiscal.

Par Sophie Jouniaux, associée du cabinet d’avocats FTPA

1 CE, 8e et 9e ss-sect., 28 juill. 1999, n° 185 525, Grillet : Dr. fisc. 2000, n° 15, comm. 300 ; RJF 10/1999, n° 1133

2 Telle que l'Autorité des marchés financiers, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ou encore la Commission de régulation de l'énergie

3 La « DAC 6 » désigne la directive européenne (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 relative à l’échange automatique et obligatoire d’informations sur les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration. Elle vise à renforcer la coopération entre les administrations fiscales des pays de l’UE en matière des montages potentiellement agressifs de planification fiscale.

Lu 7974 fois Dernière modification le jeudi, 26 août 2021 16:06
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