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Port du voile en entreprise : la mise au clair de la Cour de cassation

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Alors que le débat public bruisse d'informations sur le sort incertain de l'Observatoire de la Laïcité, que les états généraux de la laïcité ont été lancés le 20 avril 2021 et que la planète continue de s'interroger sur le concept de laïcité à la française, la Cour de cassation a prononcé le 14 avril 2021 un arrêt à propos du port du voile en entreprise. Cette décision ne révolutionne pas le sujet mais permet de faire un point utile sur l'état du droit.

Stéphane Bloch, avocat associé chez Flichy Grangé Avocats et membre du bureau d'AvoSial, répond à 3 questions.

Dans quel contexte cet arrêt a-t-il été rendu ?

Les faits sont importants et plus encore les moyens invoqués par l'employeur pour justifier le licenciement d'une vendeuse de prêt-à-porter voilée devant la haute juridiction. De retour d'un congé parental, une salariée recrutée 3 ans avant les faits et qui ne s'était jamais fait remarquer, reprend son emploi de vendeuse avec un foulard dissimulant ses cheveux, ses oreilles et son cou. Son employeur lui demande alors de retirer son foulard et face à son refus la licencie. Invoquant une discrimination, la salariée saisit la justice et la Cour d'appel de Toulouse confirme la nullité du licenciement.

Devant la Cour de cassation, l'employeur va tenter de contourner deux obstacles de taille : le règlement intérieur de l'entreprise ne contient aucune clause de neutralité et nul impératif d'hygiène ou de sécurité ne peut Stephane Blochsérieusement justifier qu'une vendeuse de vêtements soit tenue de retirer son voile au contact de la clientèle.
Selon lui la censure de l'arrêt est pourtant encourue notamment pour les motifs suivants :

  • La preuve de l'existence d'une politique de neutralité dans l'entreprise peut, en l'absence de mention dans le règlement intérieur, s'inférer de mesures de restrictions individuelles déjà adoptées à l'égard de salariées se présentant dans cette tenue.

  • Le fait notamment que « les fonctions de vendeuse s'exercent principalement sur une surface de vente spécifiquement construite autour de l'œil de la cliente avec pour objectif de mettre en valeur les produits de l'entreprise » justifie que la différence de traitement en litige répond bien à une exigence professionnelle essentielle, déterminante et proportionnée poursuivant un objectif légitime au sens du droit communautaire, exclusive de toute discrimination.

  • Il importe peu que l'employeur n'apporte aucun élément concret étayant un trouble portant atteinte à ses intérêts économique dès lors qu'une tenue de travail incompatible avec l'image de l'entreprise porte par lui-même nécessairement atteinte à cette image dont il est seul juge.

  • Enfin, en décidant que la prise en compte par une entreprise de l'attente de ses clients sur l'apparence physique de ceux qui les servent fait prévaloir les règles économiques de la concurrence sur l'égale dignité des personnes humaines les juges du fond se seraient référés à un concept inexistant en droit alors que si le voile islamique participe de la dignité de la femme c'est seulement aux yeux de la religion musulmane. 

On le voit, les débats étaient passionnés, la tâche ardue mais, pour élaborée qu'elle soit, la défense de l'employeur n'a pas convaincu la Cour de cassation.

Pouvez-vous nous présenter la position adoptée par la Cour de cassation ?

Elle est claire et sans surprise. Elle rappelle les principes cardinaux en la matière. Les droits et libertés dans l'entreprise sont garantis par l'article L1121-1 du Code du travail qui par ailleurs érige en principe la non-discrimination dans son article L1132-1 associé au tempérament de l'article L1133-1.

En clair, l'articulation de ces articles conduit à ce qu'il ne puisse être apporté de restrictions aux droits et à la liberté individuelle des salariés et plus spécifiquement ici à la liberté religieuse que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et qu'elle réponde à une exigence professionnelle essentielle et déterminante proportionnées au but recherché.

Un employeur peut par ailleurs prévoir dans le règlement intérieur ou dans une note de service soumise au même formalisme (nous rappelons ici que la Cour de cassation a exclu comme vecteur une simple charte éthique) une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail au contact des clients à condition que cette clause soit générale et indifférenciée : en clair il n'est pas question de ne viser que le foulard ou la kippa.

Enfin, en l'absence de clause en ce sens, l'employeur peut tout de même prendre sur le fondement de la jurisprudence de la CJUE (Micropole Univers 14 mars 2017) des mesures restrictives de liberté à condition qu'elles soient objectivement dictées par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle ce qui ne recouvre en réalité que l'hygiène et la sécurité.

Une fois ces règles rappelées, la haute juridiction se montre implacable :

- L'interdiction faite à la salariée de porter un foulard islamique caractérise l'existence d'une discrimination dès lors qu'aucune clause de neutralité n'existe dans le règlement intérieur ou une note de service. À défaut, point de salut ni d'échappatoire.
- L'employeur ne peut invoquer l'exception de l'exigence professionnelle essentielle et déterminante pour reprocher le port d'un voile à une salariée au motif de l'attente alléguée des clients sur l'apparence physique des vendeurs de prêt à porter.

Tous les employeurs sont-ils placés à la même enseigne ?

Non, les règles qui viennent d'être rappelées s'appliquent aux employeurs privés uniquement. Les agents publics ont quant à eux une obligation de neutralité. Ils ne peuvent faire étalage ni de leurs convictions religieuses ni de leurs opinions politiques. De fait, les agents publics ne portent aucun attribut vestimentaire renvoyant à une pratique religieuse, que ce soit une croix, un voile, une kippa, ou autre.

Ce principe s'applique à tous les agents, aussi bien ceux se trouvant en contact avec le public, que ceux officiant dans l'espace public et ou encore ceux qui travaillent, à l'abri des regards, dans les bureaux ou les ateliers.

Lu 7305 fois Dernière modification le jeudi, 29 juillet 2021 12:10
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