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Affaire TISCALI : une catastrophe judiciaire pour les hébergeurs ?

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Le 14 janvier 2010, la Cour de Cassation a rendu une décision qui risque fort d'ébranler les certitudes des hébergeurs de contenus numériques qui se croyaient à l'abri contre les actions en responsabilité en cas de diffusion, sur les sites qu'ils hébergent, de contenus illicites. François Herpe, Cornet Vincent Ségurel.

Quels étaient les faits ?

Le 23 Janvier 2002, les sociétés Dargaud Lombard et Lucky Comics, éditrices de bandes dessinées avaient constaté que certaines d'entre elles étaient intégralement accessibles via le site «www.chez.tiscali.fr» exploité par la société TISCALI MEDIA (devenue depuis TELECOM ITALIA). Les deux sociétés éditrices avaient alors assigné la société TISCALI MEDIA en contrefaçon.

Pour s'opposer à cette demande, la société TISCALI MEDIA fit valoir, assez classiquement, qu'en sa qualité de simple hébergeur, elle ne pouvait être tenue pour responsable.
Rappelons en effet que la loi du 21 juin 2004, dite loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) a institué un régime de responsabilité limitée des prestataires techniques assurant la transmission et/ou le stockage d'informations fournies par des tiers sur Internet.
Depuis, une jurisprudence a été progressivement bien établie par les tribunaux(1) pour dégager la portée du principe de responsabilité limitée des hébergeurs, dans le sens d'une vision assez extensive de la notion d'hébergement.
Jusqu'à présent, sauf à caractériser un véritable choix éditorial de l'hébergeur (ce qui est assez rare), l'intermédiaire technique, acteur du Web 2.0, était sauf de toute responsabilité directe en cas de diffusion, sur les sites qu'il hébergeait, de contenus illicites.
Aussi, la décision de la Cour de Cassation «TISCALI/DARGAUD» du 14 janvier 2010 semble avoir considérablement restreint le champ d'application du régime de responsabilité limitée des hébergeurs :
«Mais attendu que l'arrêt relève que la société Tiscali média a offert à l'internaute de créer ses pages personnelles à partir de son site et proposé aux annonceurs de mettre en place, directement sur ces pages, des espaces publicitaires payants dont elle assurait la gestion ; que par ces seules constatations souveraines faisant ressortir que les services fournis excédaient les simples fonctions techniques de stockage, […], de sorte que ladite société ne pouvait invoquer le bénéfice de ce texte».
A bien lire la Cour de Cassation, elle restreint le rôle de l'hébergeur à une simple prestation technique consistant à mettre à disposition une capacité d'accueil et à la mise à disposition du public du contenu accueilli, et constate qu'en fournissant des prestations caractérisant un rôle actif d'exploitation, le prestataire se trouve privé du bénéfice du régime de limitation de responsabilité.
Une telle vision du champ d'application du régime de limitation de responsabilité a de quoi donner des sueurs froides des acteurs du web 2.0. car aucun opérateur ou intermédiaire technique ne pourra sérieusement se prévaloir à l'avenir de ce régime, puisque tous ou presque font bien davantage qu'un simple stockage de données (en proposant publicité, architecture des contenus, moteurs de recherches, services commerciaux annexes, etc…).
En attendant les développements jurisprudentiels(2) ou législatifs sur le sujet, cette décision va dans l'intervalle nécessairement générer incertitude et exposition à des contentieux pour les acteurs du web 2.0.
Est-ce bien l'effet recherché ?
Voici donc que Pline l'Ancien se rappelle au souvenir des acteurs de l'Internet, et singulièrement aux hébergeurs, bercés par la succession des décisions favorables à leurs intérêts, et qui avaient oublié sa célèbre formule: «La seule certitude, c'est que rien n'est certain».

Web : cvs-avocats.com

1. Voir par exemple : Jugements TGI Paris 13 mai 2009 L'Oréal c/ E-Bay et TGI Paris 14 novembre 2008 Lafesse c/ Youtube
2. Qui passera vraisemblablement par une question préjudicielle devant la Cour de Justice de l'Union Européenne - CJUE (ex - CJCE).

Cornet Vincent Ségurel en quelques chiffres
• Création du cabinet : 1972
• Effectif total : 110
• Associés : 22
• Collaborateurs et juristes : 52
• Salariés autres : 36
• Implantations : Nantes - Paris - Rennes
Lu 8366 fois Dernière modification le lundi, 01 juin 2015 13:25
La rédaction

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