Imprimer cette page

Élections du CSE : l’obligation de loyauté s’impose à l’employeur

Évaluer cet élément
(0 Votes)

Dans un arrêt du 8 novembre 20231, la Cour de cassation rappelle l’importance de l’obligation de loyauté dans les négociations du Protocole d’Accord Préélectoral (PAP) dans le cadre des élections du Comité Social et Economique (CSE). Cet arrêt est également l’occasion pour la Cour de cassation d’apporter une précision importante sur la prorogation des mandats en cas d’absence d’accord avec les organisations syndicales et de saisine de la DREETS.

Bref rappel des étapes préalables du processus électoral

Les entreprises ayant atteint un effectif d’au moins 11 salariés pendant 12 mois consécutifs ont l’obligation d’organiser des élections pour la mise en place du CSE2.
Christine Argus

Lorsque ce seuil est atteint, l’employeur informe le personnel de l’organisation des élections professionnelles et invite les organisations syndicales à négocier le PAP et à établir leur liste de candidats3. Le PAP prévoit notamment les modalités générales d’organisation et de déroulement des élections ainsi que la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux.

La négociation du PAP est une étape préalable incontournable du déroulement du processus électoral soumis à une obligation de loyauté. À défaut, le protocole, de même que les élections organisées, peuvent être annulés4.

Que se passe-t-il en cas d’absence d’accord avec les organisations syndicales sur la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux ?

Le Code du travail prévoit deux hypothèses :

  • 1. Lorsque aucune organisation syndicale représentative dans l'entreprise n’a pris part à la négociation, c'est l'employeur qui répartit le personnel et les sièges entre les différents collèges électoraux
  • 2. Lorsque au moins une organisation syndicale représentative dans l'entreprise a répondu à l'invitation à négocier de l'employeur et qu'aucun accord n'a pu être obtenu, c'est l'autorité administrative (DREETS) qui décide de cette répartition entre les collèges électoraux6, dans un délai de deux mois à compter de sa saisine7.

La jurisprudence considère que la DREETS ne peut décider de la répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux qu’après avoir constaté une tentative loyale de négociation du PAP8. Ainsi, l’Administration, saisie d’une telle demande, peut refuser de se prononcer dans l’hypothèse où l’employeur n’aurait pas, au préalable, tenté de négocier loyalement avec les syndicats.

C’est dans ce cadre qu’est intervenue la décision de la Cour de cassation du 8 novembre 2023.

Dans cette affaire, l’employeur a invité les organisations syndicales à négocier le PAP dans le cadre d’élections devant se dérouler les 4 et 19 octobre 2022. Toutefois, parmi les sept organisations syndicales invitées à la négociation, seules deux d’entre elles ont signé le PAP le 12 juillet 2022. Dès le 13 juillet 2022, l’employeur a saisi la DREETS de Normandie afin qu’elle fixe la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux.

La DREETS rejette alors cette demande de l’employeur retenant principalement que ce dernier n’avait pas mené une négociation loyale du PAP avec les syndicats intéressés. En effet, l’Autorité administrative a considéré qu’en la saisissant dès le lendemain de la signature du PAP, l’employeur n’avait pas respecté son obligation de loyauté préalable.

Cette décision n’a rien d’isolé, l’Administration veillant à ce que chaque employeur négocie loyalement le PAP avant toute saisine. Ainsi, dans une décision du 8 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Lyon avait validé la décision de la DIRECCTE qui avait constaté l’absence de négociation loyale du PAP par l’employeur aux motifs, notamment, qu’il n’avait fourni que tardivement aux syndicats des informations essentielles relatives aux effectifs9.

Au cas présent, la DREETS de Normandie s’est inscrite dans la même logique et a donc refusé de statuer sur la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux. Par ailleurs, elle a constaté la prorogation des mandats des élus du CSE.

L’employeur saisit le tribunal judiciaire afin d’annuler la décision de la DREETS et de fixer la répartition des salariés et des sièges entre les collèges électoraux. À son tour, le tribunal judiciaire constate la prorogation des mandats des membres du CSE jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin.

Considérant que la prorogation des mandats ne peut être appliquée lorsque la DREETS refuse de fixer la répartition des sièges et des personnels entre les collèges, l’employeur porte l’affaire devant la Cour de cassation.

Peu importe la décision de la DREETS : les mandats sont prorogés de plein droit jusqu'à la proclamation des résultats

L’article L.2314-13 du Code du travail prévoit que « la saisine de l'autorité administrative suspend le processus électoral jusqu'à la décision administrative et entraîne la prorogation des mandats des élus en cours jusqu'à la proclamation des résultats du scrutin ».

Dans son arrêt du 8 novembre 2023, la Cour de cassation précise que cette règle s’applique même lorsque la DREETS refuse de fixer la répartition des salariés et des sièges entre les collèges électoraux.

Ainsi, peu importe que la DREETS fixe ou non la répartition des salariés et des sièges entre les collèges électoraux, sa simple saisine entraîne une prorogation de droit des mandats en cours jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin.

Que retenir de cet arrêt ?

La Cour de cassation poursuit sa tendance visant à sanctionner fermement tout manquement à l’obligation de loyauté dans les négociations du Protocole d’Accord Préélectoral.

Cette décision implique, pour les entreprises, de s'engager activement, et loyalement, dans des négociations. À défaut, elles s’exposent à un risque de retard dans leur processus électoral, voire à un risque de contentieux.

L’option à privilégier reste donc l’anticipation et la planification des différentes échéances électorales afin d’éviter les situations d’impasse.

Par Christine Artus, avocate associée au cabinet K&L Gates


Sources :

1 Cass. Soc. 8 novembre 2023, n°22-22.524
2 Article L.2311-2 du Code du travail
3 Article L.2314-4 du Code du travail
4 Cass. Soc. 9 octobre 2019, n°19-10.780 ; Cass. Soc. 22 mars 2023, n° 21-18.085
5 Article L.2314-14 du Code du travail
6 Article L. 2314-13 du Code du travail
7 Article R.2316-2 du Code du travail
8 Cass. Soc., 12 juill. 2022, n° 21-11.420
9 Cass. soc. 12-7-2022 n° 21-11.420

Lu 3565 fois Dernière modification le mardi, 19 décembre 2023 15:06
Nos contributeurs

Nos contributeurs vous proposent des tribunes ou des dossiers rédigées en exclusivité pour notre média. Toutes les thématiques ont été au préalable validées par le service Rédaction qui évalue la pertinence du sujet, l’adéquation avec les attentes de nos lecteurs et la qualité du contenu. Pour toute suggestion de tribune, n’hésitez pas à envoyer vos thématiques pour validation à veronique.benard@gpomag.fr