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Crowdfunding : la sécurité des transactions ne peut se dispenser d’une réglementation adaptée au marché

Finance Écrit par  jeudi, 15 janvier 2015 00:48 Taille de police Réduire la taille de la police Augmenter la taille de police
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Ce n’est pas faire preuve d’une grande audace, aujourd’hui, que d’affirmer que l’évolution des nouvelles technologies a complètement recomposé le paysage de la communication entre les individus.


Nous sommes sur Facebook, LinkedIn, Viadeo, Twitter, Google +, pour ne citer que ces sites internet et constatons que la résonnance que nous donnent les réseaux sociaux déplace les limites de notre communication personnelle, démultipliant de surcroît la mobilisation sur une idée, ou un projet.
C’est bien l’utilisation de ce lien social et des réseaux sociaux, qui a permis, d’abord aux Etats-Unis avant sa généralisation aux autres pays, de voir la mise en place du crowdfunding, ou financement participatif, visant à utiliser le lien social pour financer un projet, sans faire appel aux acteurs traditionnels du monde bancaire et financier.

Rappelons que, selon l’Association Financement Participatif France, 32329 projets ont été financés avec succès en 2013, pour un montant total de fonds collectés s’élevant à 78,3 M€.
Au premier semestre de l’année 2014, le montant total des fonds collectés s’est établi à 66,4 M€, contre 33 M€ en 2013 sur la même période.
Au regard de l’ampleur que prend le financement participatif, dérogeant, pour partie, au monopole bancaire, mais aussi dans un souci de sécurisation des transactions, un cadre réglementaire a été mis en place en France cette année.

 

Le nouvel environnement réglementaire du financement participatif

C’est l’Ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014, dont la mise en œuvre au 1er octobre 2014 a été précisée par le décret n° 2014-1053 du 16 septembre 2014 et un arrêté du 22 septembre 2014, qui détermine le périmètre réglementaire du financement participatif.

Notons que l’ordonnance prévoit deux formes de financement participatif :

➢    D’abord, le financement participatif sous forme de titres financiers (actions, obligations) ;

➢    Et  le financement participatif sous forme de prêts ou de dons.


1) Le financement participatif sous forme de titres financiers

Le financement participatif sous forme de titres financiers met en relation trois intervenants qui sont, d’une part, l’entreprise en recherche d’investisseurs en fonds propres pour le financement de son projet, d’autre part, l’internaute qui va contribuer au financement dudit projet et la plate-forme qui va structurer la relation de financement entre l’entreprise et l’internaute.
C’est pourquoi, au regard de ce rôle de pivot de la plate-forme, la réglementation française lui a attribué un rôle particulier au travers de la création du statut de conseiller en investissement participatif (CIP) visés aux articles L. 547-1 à L. 547-9 du Code monétaire et financier (CMF).
Ainsi, l’article L. 547-1 précité, nous indique que l’activité du CIP est une activité réalisée à titre professionnel par une personne morale, de fourniture de conseils en investissement portant sur des offres d’actions et d’obligations par le biais d’un site internet remplissant des caractéristiques fixées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Le CIP, qui doit s’immatriculer à l’ORIAS (L. 547-2 du CMF), ne peut cumuler cette fonction avec d’autres statuts tel que celui d’agent d’assurance, ou d’agent immobilier par exemple.

Il se doit également, en application des dispositions de l’article L. 547-9 du CMF, notamment de :

➢    Se comporter avec loyauté et agir avec équité au mieux des intérêts du client ;
➢    Mettre en place une politique de gestion des conflits d’intérêts ;
➢    Mettre en garde ses clients ou clients potentiels des risques auxquels ils s’exposent avant de donner accès au détail des offres sélectionnées ;
➢    S’enquérir auprès de ses clients ou de ses clients potentiels de leurs connaissances et de leur expérience en matière d’investissement ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d’investissement ;
➢    Communiquer à ses clients la nature des prestations fournies aux émetteurs des titres financiers et les frais perçus.

Ces obligations de conseil du CIP, vis-à-vis de ses clients, se combinent, sur le plan de l’exercice professionnel, par la nécessité de devoir :

➢    Adhérer à une association professionnelle agréée par l’AMF (L. 547-4 du CMF) ;
➢    Souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle (L. 547-5 du CMF) ;
➢    S’interdire de recevoir des fonds autres que ceux destinés à rémunérer leur activité (L. 547-6 du CMF) ;
➢    Se soumettre aux règles du démarchage bancaire et financier (L. 341-1, 7° et L. 341-3, 6° du CMF) ;
➢    Respecter les règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux (L. 561-2, 6° du CMF).

En cas de manquement aux dites obligations professionnelles, compétence de régulation est donnée à l’AMF.

S’agissant de l’émission de titres financiers, l’ordonnance du 30 mai 2014 considère qu’une offre ne constitue pas une offre au public, conduisant à l’établissement d’un prospectus, si les trois conditions cumulatives suivantes sont réunies, à savoir :

➢    Ne porte  que sur des titres financiers mentionnés au 1 et au 2 du II de l’article L. 211-1 (actions et obligations) qui ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation ;
➢    Doit être proposée par l’intermédiaire d’un prestataire de services d’investissement ou d’un CIP au moyen d’un site internet remplissant les caractéristiques fixées par le règlement général de l’AMF ;
➢    Porte sur un montant total inférieur à 1.000.000 d'€ (cf. décret du 16 septembre 2014) calculé sur une période de 12 mois suivant une précédente offre dans les conditions fixées par le règlement général de l’AMF.


2) Le financement participatif sous forme de prêts ou de dons

En ce qui concerne le financement participatif sous forme de prêts ou de dons, il convenait pour la réglementation d’envisager cette pratique en dérogeant au monopole bancaire.

Ainsi, l’article L. 511-6 du CMF a été complété dans le sens où il permet désormais aux personnes physiques qui, agissent à des fins non professionnelles ou commerciales, à consentir des prêts dans le cadre du financement participatif de projets déterminés.

Comme pour le financement participatif sous forme de titres financiers, le financement participatif sous forme de prêts ou de dons est une opération mettant en présence trois personnes qui sont, certes le porteur de projet, le prêteur, mais aussi la plate-forme qui prend au cas particulier, selon la réglementation, le statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP) et qui a vocation à réceptionner les fonds représentatifs des prêts ou des dons.

Pour ce faire, l’IFP, qui ne peut être qu’une personne morale, devra faire l’objet d’un agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et sera placé sous son contrôle en termes de régulation.

L’IFP, également immatriculé à l’ORIAS aussi, est aussi tenu au respect de règles de bonne conduite visées à l’article L. 548-6 du CMF, telles que :

➢    La fourniture au public, de manière lisible et compréhensible, toute information permettant d’être identifié et contacté ;
➢    L’information du public des conditions de sélection des projets et des porteurs de projets ;
➢    La publication d’un rapport annuel d’activité ;
➢    La mise en garde des prêteurs sur les risques liés au financement participatif de projet, notamment les risques de défaillance de l’emprunteur, et des porteurs de projets sur les risques d’un endettement excessif ;
➢    La fourniture aux porteurs de projet et aux prêteurs ou donateurs les informations concernant la rémunération de l’IFP, ainsi que l’ensemble des frais exigés ;
➢    Au respect des règles relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux.


Sur le plan de la pratique professionnelle, l’IFP devra souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle, et aura accès au fichier bancaire des entreprises (FIBEN) pour vérifier la solidité financière des entreprises sollicitant un financement participatif.

Les établissements de crédit, les sociétés de financement, les établissements de paiement, les établissements de monnaie électronique, les entreprises d’investissement, les agents de prestataire de services de paiement ou encore les CIP, pourront également exercer l’activité d’IFP.

Quant aux caractéristiques des prêts octroyés, elles ont été précisées par le décret du 16 septembre dernier.

Ainsi, le crédit ne peut excéder un montant de 1.000 € par prêteur et par projet. Ce plafond est fixé à 4.000 € pour un prêt sans intérêt, étant précisé qu’en tout état de cause, un porteur de projet ne peut pas emprunter plus de 1.000.000 € par projet.

Quant à la durée du crédit, elle ne peut excéder 7 ans et le taux d’intérêt ne doit pas être usuraire et doit s’établir en conformité avec les articles L. 313-3 du Code de la consommation et L. 313-5-1 du CMF.

L’IFP devra mettre à disposition sur son site internet, un contrat de prêt type, dont le contenu, fixé par le décret précité (R. 548-6 du CMF), doit intégrer notamment le montant du crédit, la durée du crédit, les modalités d’amortissement du crédit, le montant des frais dus à l’IFP, ou encore, l’existence ou non d’un droit de rétractation…

 

Enfin,  l’IFP qui ne présente sur son site internet que des appels aux dons, sera tenu de respecter les dispositions liées notamment :

➢    A l’information générale de présentation concernant l’IFP ;
➢    Aux conditions d’éligibilité et de sélection des projets et des porteurs de projets ;
➢    Aux conditions de déblocage des fonds et leur mise à disposition.

Cette nouvelle réglementation attachée au financement participatif a pour objectif de sécuriser les transactions liées, ce qui, sur le plan financier, est une bonne chose.
Néanmoins, la limitation de levée des fonds à 1.000.000 € par période de 12 mois n’est-elle pas une contrainte qui va restreindre le développement du financement participatif ?

En d’autres termes, si nous voulons que le financement participatif soit un nouveau relais de financement et de croissance, il convient déjà de faire évoluer les limites existantes, très probablement, trop restrictives.


Michel KUKULA-DESCELERS
Avocat associé, Droit des sociétés - Cabinet Cornet Vincent Ségurel

 

Lu 7252 fois Dernière modification le jeudi, 27 août 2015 14:55
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