Imprimer cette page
La valeur juridique d’un e-mail

La valeur juridique d’un e-mail

Évaluer cet élément
(4 Votes)

L'e-mail créé il y a plus de 40 ans par l’ingénieur Raymond Tomlinson1 est aujourd’hui présent dans toutes les sphères de la vie, notamment dans le cadre du travail. L’utilisation aujourd’hui incontournable de cet outil est étroitement liée à une infusion croissante de l’informatique dans tous les aspects du quotidien.

Les individus échangent à l’aide de courriers électroniques aussi bien pour évoquer des sujets légers que pour communiquer officiellement avec des tiers, notamment un employeur ou encore les administrations. Il semble alors naturel de vouloir se fonder sur un tel document afin de démontrer la véracité d’un propos ou d’une situation donnée.
Dès lors, il est indispensable de s’interroger sur la réelle valeur juridique d’un e-mail. Ainsi, comme toute chose, sa force en tant qu’élément de preuve va dépendre de sa qualification juridique. Seront alors abordés successivement son régime juridique et sa valeur juridique en tant que preuve.

Le régime juridique de l’e-mail
L’expression « e-mail » correspond à la notion de courrier électronique qui est introduite au sein de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Le courrier électronique y est défini comme « tout message, sous forme de texte, de voix, de son ou d’image, envoyé par un réseau public de communication, stocké sur un serveur du réseau ou dans l’équipement terminal du destinataire, jusqu’à ce que ce dernier le récupère ». Ainsi, l’e-mail jouit d’une réelle existence juridique.
Il est également visé implicitement au sein du Code civil depuis que la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 est venue préciser que l’écrit pouvant constituer une preuve « consiste en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support » (article 1365 du Code civil).
Cette formulation, volontairement ouverte, inclut le courrier électronique dans les écrits capables de constituer une preuve juridique et hisse ainsi ce dernier au même rang que l’écrit sur support papier, principe affirmé formellement dans la lettre de l’article 1365 du Code civil.

La valeur probante du courrier électronique
Sous réserve de l’authentification de la personne, dont émane l’écrit élec- tronique et de la garantie de l’intégrité du courrier électronique, le courrier électronique peut potentiellement accéder à la qualification de preuve écrite (Cour de cassation, chambre commerciale, 1er décembre 1997, n°95-14-251, n°2431 P).
Toutefois, cette affirmation doit être prise avec prudence car les conditions instaurées par l’article 1365 sont interprétées de manière très stricte par la jurisprudence.
C’est ainsi que sont exclus des débats des courriers électroniques dont on ignore la provenance et ne figurant pas dans la boîte d’envoi de l’expéditeur prétendu lorsque leur authenticité est contestée par celui à qui on les oppose. En effet, il faut rappeler qu’un e-mail peut faire l’objet de modification a posteriori et que le nom de son expéditeur réel peut être falsifié (Cour de cassation, chambre sociale, 22 mars 2011, n°09-43.307).
Plus encore, la Cour de cassation refuse d’admettre le courrier électronique comme étant un écrit électronique s’il ne remplit pas les conditions de fiabilité attendues concernant sa création et sa conservation, mais également s’il ne comporte pas de signature électronique (Cour de cassation, 1re chambre civile, 30 septembre 2010, n°09-68.555n n°803). Il en ressort que le courrier électro- nique ne peut être considéré comme un écrit au sens des articles 1365 et 1366 du Code civil qu’à condition qu’une signature électronique y ait été apposée au moyen d’un dispositif sécurisé de création certifié et que cette signature ait été vérifiée par l’utilisation d’un certificat électronique qualifié, ce qui s’avère très rare en pratique (article 1316-4 du Code civil, article 2 du décret n°2001-272 du 30 mars 2001).

Nous terminerons toutefois en précisant que, si une grande rigueur est réservée à la qualification de l’e-mail en tant qu’écrit électronique, il n’en reste pas moins que, même s’il ne remplit pas les conditions requises, il peut être accueilli pour prouver un fait juridique, la preuve d’un tel fait demeurant libre (Cour de cassation, 25 septembre 2013, n°11-25.884 ; Cour de cassation, 2ème chambre civile 13 février 2014, n°12-16.839, n°255).

Par Alice HERVAGAULT, Juriste et Romain WAISS-MOREAU, Avocat associé - Cabinet LLC Avocats et Associés

1 Stéphane Lauer, Mort de Raymond Samuel Tomlinson, l’inventeur de l’e-mail www.lemonde.fr/disparition-de-raymond-samuel-tomlinson - Le Monde, 7 mars 201

Lu 12095 fois Dernière modification le mercredi, 10 mai 2017 08:02
Nos contributeurs

Nos contributeurs vous proposent des tribunes ou des dossiers rédigées en exclusivité pour notre média. Toutes les thématiques ont été au préalable validées par le service Rédaction qui évalue la pertinence du sujet, l’adéquation avec les attentes de nos lecteurs et la qualité du contenu. Pour toute suggestion de tribune, n’hésitez pas à envoyer vos thématiques pour validation à veronique.benard@gpomag.fr