Imprimer cette page

Concurrence déloyale : comment agir avant le procès

Évaluer cet élément
(0 Votes)

Obtenir ou conserver la preuve d’actes de concurrence déloyale ou de manœuvres illicites commis par ses concurrents n’est pas toujours chose aisée. Que ces preuves soient matérielles ou dématérialisées, l’utilisation de la procédure d’ordonnance sur requête est devenue un véritable droit de perquisition privée. Le recours à cette mesure s’est multiplié ces dernières années en conduisant les magistrats à mieux en définir les limites.


L’évolution du contexte économique, des pratiques des consommateurs (ROPO1/Showrooming2, ..), l’omniprésence des systèmes d’informations dans l’entreprise, multiplient les opportunités de comportements susceptibles d’être source de responsabilité civile et/ou pénale de leurs auteurs.
Pratiques discriminatoires, détournement de clientèle, de savoir faire ou de données informatiques, sont bien des actes condamnables. Ils se heurtent cependant très souvent dans le cadre du procès civil à la même difficulté : la preuve.

De réelles possibilités d’investigation
Comment établir par exemple l’origine et l’auteur de propos tenus sur des forums de discussions à l’encontre de son entreprise sous un pseudonyme ou bien encore la présence de ses informations confidentielles sur le système d’information de son concurrent sans pouvoir d’identification ou d’investigation ?
C’est précisément l’objet de l’article 145 du code de procédure civile qui permet, sous réserve de justifier de l’existence « d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige », de saisir le juge civil afin qu’il ordonne, le cas échéant de manière non contradictoire, un certain nombre de mesures.
Le juge saisi pourra autoriser un Huissier de Justice, assisté le cas échéant d’un expert et/ou de la force publique, à appréhender des documents, des correspondances ou données électroniques, pour rapporter la preuve des faits dénoncés.
L’Huissier pourra même être autorisé à mener ses opérations tant au siège social de l’entreprise prétendument coupable, qu’au domicile personnel de son dirigeant et/ou de ses salariés.


Jusqu’où aller et comment ?

Si cette disposition légale laisse à penser que la victime dispose en quelque sorte d’un droit de perquisition d’ordre privé, l’exercice de ce droit demeure fortement encadré par les Tribunaux, tant en ce qui concerne ses conditions d’obtention que ses conditions d’exécution.

Schématiquement, la jurisprudence autorise :

- Le recours à une procédure non contradictoire dans deux hypothèses : s’assurer contre tout risque de déperdition d’élément de preuve3 (ce qui est fréquent en matière de données immatérielles4), ou en cas de difficulté d’identification du ou des défendeurs (afin d’obtenir les informations d’identification détenues par un tiers comme Google par exemple)5 .

- Un périmètre de recherche important, par exemple sur l’ensemble du système d’informations d’une entreprise à partir de tel ou tel mots clés et sans que le secret des affaires ne constitue, en lui-même, un obstacle aux mesures d’investigations ordonnées6.

 

Il faut néanmoins prendre garde à ce que les mesures ne soient pas trop générales ou être révélatrices d’une véritable « chasse au trésor ».

Enfin, la partie défenderesse à la mesure d’investigations ne demeure pas sans recours puisqu’elle va disposer, après son exécution, du droit de saisir le juge à l’origine de la décision pour en solliciter sa rétractation ou sa modification.

Dans le cadre de ce recours, le juge devra s’assurer – en présence désormais de l’ensemble des parties - du parfait respect du principe du contradictoire7, de l’absence réelle de procès en cours au moment où les mesures ont été ordonnées8, ou encore du bien fondé du recours à une procédure extraordinaire puisque, par essence, non contradictoire.9

En synthèse
Si l’ordonnance sur requête est une arme de plus en plus utilisée en pratique dans l’administration de la preuve, notamment en matière de concurrence déloyale, sa mise en œuvre et ses conditions d’exécution (déroulement des opérations, signification de la mesure,…) nécessitent une rédaction et une préparation minutieuse, en concertation avec la victime de la pratique, son avocat, l’huissier de justice et, le cas échéant, avec l’expert qui l’assistera pendant son exécution.

A défaut, la sanction judiciaire est quasi-systématique : nullité des opérations et restitution de l’ensemble des informations recueillies10 avec le risque quasi certain de les voir disparaitre pour l’avenir…

Yann CHENET et Thierry PARIENTE

Avocats associés - Cabinet Armand Associés

1 Research Online, Purchase Offline
2 Pratique inverse du ROPO
3 CA Versailles, 13 octobre 1988 : D.1989, somm ; p.278 ; Cass. Civ. 2ème, 25 mai 2000, n°97-17768
4 CA Lyon, Cour d’appel de Lyon 8ème chambre Arrêt du 10 mai 2011, Gutenberg Networks / Knowlink
5 Ordonnance sur requête, Président du Tribunal de Commerce de Paris, 8 novembre 2012
6 Cass. 2e civ. 7 janv. 1999 : Bull. civ. 1999, II, n° 4
7 CA Paris, Pole 1 Ch. 3, 13 mars et 29 mai 2012, n°11/16481 et n°11/16512
8 CA Montpellier, 5° Chambre Section A, 24 janvier 2013, n°12/04990
9 CA Paris, Pole 1 Ch. 2, 9 février 2011, n°10/00629
10 Cass. Civ. 2ème, 9 avril 2009, n°08-12503

Note de la Rédaction : le présent article constitue une information. Il ne saurait s’assimiler ou se substituer à une consultation juridique.

 

Lu 7242 fois Dernière modification le mercredi, 26 août 2015 16:06
Nos contributeurs

Nos contributeurs vous proposent des tribunes ou des dossiers rédigées en exclusivité pour notre média. Toutes les thématiques ont été au préalable validées par le service Rédaction qui évalue la pertinence du sujet, l’adéquation avec les attentes de nos lecteurs et la qualité du contenu. Pour toute suggestion de tribune, n’hésitez pas à envoyer vos thématiques pour validation à veronique.benard@gpomag.fr