Yann Bucaille-Lanrezac, cofondateur des Cafés Joyeux : La fragilité au cœur de la vision de ce dirigeant « Joyeux » 100% solidaire
En 1993, diplômé de l’EM Lyon (Lyon Graduate School of Business), Yann Bucaille-Lanrezac part en 1994 à San Diego où il est équipier de Marc Pajot pour la Coupe de l’America. Il revient à Paris et travaille en tant que Chef de Secteur chez Danone. En 1996, il rentre chez Émeraude, entreprise familiale de transport et de distribution de polymères, puis d’énergies nouvelles dans le photovoltaïque. Il reprend l’entreprise en 1999. Par la suite, avec son épouse, Lydwine Bucaille, ils emploient leur temps à la création de projets solidaires.
En 2010, Yann Bucaille-Lanrezac se consacre à la création d’Émeraude Solidaire, fonds de dotation pour soutenir des actions en faveur des défavorisés, malades ou personnes en souffrance. En 2011, il créé l’association Émeraude Voile Solidaire à Dinard. À bord d’un catamaran (Ephata) d’une capacité d’accueil de 30 personnes (dont des fauteuils roulants), 700 sorties sont alors réalisées avec des prisonniers, des malades, des prostituées, des exclus, des gens de la rue… Au total, 13 000 personnes ont été embarquées depuis cinq ans.
Dans l’intervalle, il fonde une boutique hôtel de 24 chambres à Dinard (Hôtel Castelbrac), « soul haven », refuge de l’âme, avec un restaurant le « Pourquoi Pas », niché dans le cadre intime de l’ancien Muséum d’histoire naturelle, devenu étoilé au guide Michelin grâce à son chef Julien Hennote. C’est à ce moment-là que Yann Bucaille-Lanrezac et son épouse Lydwine, recrutent le premier équipier Joyeux, Vianney, et qu’ils ont l’idée d’aller plus loin et de fonder un café.
En décembre 2017, ils démarrent l’aventure à Rennes du premier Café Joyeux, un service de restauration rapide en centre-ville employant 70 % de personnes porteuses d’un handicap mental ou cognitif.
Labellisée Esus, Entreprise solidaire d’utilité sociale, l’entreprise qui gère désormais 15 cafés-restaurants à Rennes, Paris, Bordeaux, Lyon, Tours, Montpellier, Lisbonne, Cascaï, Bruxelles, est lauréate nationale du prix de l’Engagement sociétal national 2022, dans le cadre du 30e Prix de l’entrepreneur de l’année organisé par EY.
GPO Magazine : Vous êtes cofondateur avec votre épouse Lydwine de Café Joyeux, pouvez-vous nous présenter votre entreprise ?
Yann Bucaille-Lanrezac : C’est en 2013, à bord du catamaran Ephata que Théo, jeune autiste de 20 ans, me demande si je peux lui fournir un métier. De ce fait, il m’a fait prendre conscience que les personnes en situation de handicap avaient besoin d’avoir une profession comme nous. Et cela est devenu l’objectif de Café Joyeux. D’ailleurs, je me demande si la société économique n’est pas elle-même handicapée pour ne pas se rendre compte qu’il faut absolument aider des personnes en situation de handicap qui ont besoin de travailler.
Car il faut être solide lorsque vous n’avez pas de travail et que l’on vous martèle à longueur de journée que l’on n’a pas besoin de vous, que vous n’êtes pas capable et que vous devrez vous contenter de recevoir une subvention. En résumé, on leur dit qu’ils ne servent strictement à rien. En fait, le monde est fou et le rapport avec la performance peut être destructeur. A un moment donné, il faut accepter de renoncer à des optimisations ici ou là. Et donner sa chance à des personnes qui le méritent tout autant que vous et moi.
GPO Magazine : Votre entreprise est dite d’utilité sociale, quelle est la mission de Café Joyeux ? Quelles sont vos valeurs d’entreprise ?
Yann Bucaille-Lanrezac : C’est à la fois une entreprise en construction encore très jeune et en même temps, une belle entreprise comprenant 270 collaborateurs. Avant de créer cette entreprise, nous avons rédigé la mission de Café Joyeux à savoir l’inclusion de la fragilité par le travail, par la formation et par la rencontre.
Nos valeurs sont le Beau, le Bon, le Vrai. Le Beau, car la beauté est pour tous et nous soignons toujours la décoration de nos cafés, avec un code couleur jaune. Nous avons à ce titre un partenariat avec la Maison Sarah Lavoine. Le Bon, c’est Thierry Marx qui nous fait les recettes et s’assure que ces recettes puissent être adaptées à nos équipiers. Enfin, le Vrai parce que personne n’est parfait. Nos équipiers ont du talent, mais comme tout le monde, ils ont des limites et, eux, ne le cachent pas.
GPO Magazine : Quelle est la particularité du parcours de formation Joyeux ?
Yann Bucaille-Lanrezac : La particularité de ce parcours est d’une part, d’être une formation sur site et d’autre part, d’être diplômante, certifiante, reconnue par l’État mais totalement dédiée à des personnes en situation de handicap. Cette formation est unique en France : nous donnons un diplôme à des personnes qui ont toujours été exclues et sont sorties de l’école à 10-15 ans à la suite de leur handicap.
Nous leur permettons de développer des compétences et de les valider par un diplôme. Au-delà de cet apprentissage adapté, nous souhaitons permettre aux collaborateurs de s’épanouir en révélant leur talent, de renforcer leur confiance en eux et même de s’autoriser de nouvelles expériences dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. La première formation a débuté au mois de septembre 2020 pour 20 équipiers Joyeux. En 2025, notre objectif est de former 200 personnes en situation de handicap au sein du CFAJ (Centre de Formation des Apprentis Joyeux). Il s’agit-là d’une promesse phénoménale, celle de permettre à ces apprentis « joyeux » d’être engagés non pas en CDD mais en CDI.
GPO Magazine : Votre gamme de cafés va être vendue dans les magasins Carrefour, au-delà de faire connaître vos cafés à un plus large public, est-ce que cela va vous permettre de recruter plus de personnes en situation de handicap ?
Yann Bucaille-Lanrezac : Notre gamme de Café Joyeux est déjà vendue à la Grande Épicerie de Paris (café d’exception pur arabica) et elle est désormais vendue dans les magasins Carrefour (4 références de café : 2 Café Joyeux moulu origine Pérou et origine Éthiopie, 1 Café Joyeux en grains origine Éthiopie et 1 Café Joyeux en dosettes souples). Il y aura jusqu’à 800 magasins de proximité et 36 hypermarchés Carrefour qui proposeront une sélection de produits de la marque Café Joyeux. Bien entendu, nous vendons également notre autre gamme de café de spécialité sur notre site internet et dans nos cafés-restaurants.
Pour nous, le développement de la marque Café Joyeux n’est pas un coup de marketing : il s’agit de créer un vrai lien entre les magasins Carrefour et le Café Joyeux. C’est la promesse d’une inclusion accessible à tous qui va permettre, grâce au 100% des bénéfices qui contribuent à l’emploi et à la formation de nos équipiers dans nos cafés-restaurants éponymes, de recruter des personnes en situation de handicap.
Nous avons également un partenariat pour le thé Joyeux avec Betjeman & Barton comprenant 6 références de thé et tisanes : Earl Greyl, Breakfast, Thé à la menthe, Rooibos, thé des invités, tisanes. Comme tous nos produits, 100% des bénéfices de ce thé, permettent de continuer le développement de notre mission.
GPO Magazine : Comment voyez-vous l’avenir des Cafés Joyeux dans quelques années ?
Yann Bucaille-Lanrezac : Cette question me fait toujours sourire car je ne sais pas du tout de quoi l’avenir sera fait. Quel que soit l’avenir économique (notre chiffre d’affaires), ce qui compte avant tout pour moi c’est la qualité des soins apportée à chacun de nos équipiers.
Je préfère que nous restions à notre taille actuelle d’entreprise et m’assurer que tous nos équipiers progressent, grandissent et s’épanouissent dans leur travail. Le plus important c’est vraiment qu’ils soient tous heureux et c’est un vrai défi. L’avenir est là, et je suis confiant à cet égard car nous ne sommes pas tenus par des plans de croissance. Nous sommes libres.
©CaféJoyeux
Chiffres clés 2022 des Café Joyeux :
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