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Fusions-acquisitions : comment assurer la transmission du « savoir-faire » de la société cible ?

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Racheter une entreprise pour notamment bénéficier de son « savoir-faire » : tel est le leitmotiv évoqué lors des opérations de fusions-acquisitions.

Chaque entreprise dispose dans son patrimoine de Savoir-Faire et d’atouts spécifiques qui lui permettent de créer de la valeur, de fidéliser ses clients et de conquérir de nouveaux marchés. Généralement consciente de l’existence de ces éléments de valeur, le Management ne sait pas toujours où ils sont localisés, ni comment les protéger, ce qui peut poser des difficultés notamment lors d’opération de cession. Le risque de déperdition est d’autant plus élevé lorsque le savoir-faire est lié à des talents individuels et/ou détenu collectivement mais sans identification, ni protection particulière.

Tous les savoir-faire ne peuvent pas être brevetés

On distingue principalement deux catégories de savoir-faire : les savoir-faire techniques et les savoir-faire commerciaux. Les premiers recouvrent l’ensemble des étapes de conception d’un produit ou d’un service, tandis que les savoir-faire commerciaux recouvrent le plus souvent des éléments d’organisation et de relation client. Si les conditions le permettent, l’innovation est protégée par un dépôt de brevet qui peut alors entrer dans l’actif valorisable de l’entreprise. Atout indispensable pour une entreprise innovante, le brevet participe de l’augmentation de valeur du patrimoine, et constitue un élément facilement identifiable pour un acquéreur. Il est alors considéré, comme pour les autres titres de propriété industrielle du cédant, comme un facteur de sécurité de l’investissement, d’autant que le transfert de propriété de ces titres est facilement réalisable s’il est bien anticipé et organisé dans le cadre des opérations de cession.

Toutefois, tout le savoir-faire d’une entreprise ne peut faire l’objet de dépôt de titre de propriété industrielle, soit pour des raisons structurelles (si les conditions de dépôt ne sont pas remplies), soit pour des raisons de choix et notamment par souci de préserver la confidentialité et de laisser le savoir-faire secret au sein de l’entreprise.

Comment protéger un savoir-faire sans avoir recours à un brevet ?

La question de la protection des savoir-faire « non brevetés » devient néanmoins primordiale dès lors qu’une société est la cible d’une opération de rachat. L’acquéreur veut alors s’assurer que ces savoir-faire seront correctement évalués et transmis lors du rachat puis préservés à l’issue de l’opération.

Le cédant souhaite pour sa part s’assurer que les savoir-faire ne vont pas être ‘’capturés’’ pendant la phase des négociations.

Il est dès lors impératif d’organiser le processus de vente (que l’on soit positionné côté vendeur ou côté acheteur) pour répondre à cette problématique. Trois étapes doivent être suivies. D’une part, identifier l’ensemble des savoir-faire de la société-cible par la mise en place d’équipes pluridisciplinaires (avocats et ingénieurs scientifiques). D’autre part, confronter ces savoir-faire à ceux des autres entreprises du secteur, de manière à comprendre ce qui les distingue fondamentalement de la concurrence. Enfin, formaliser ces savoir-faire de manière à les protéger par une technique juridique ad hoc.

Parmi les solutions envisageables, des contrats spécifiques peuvent être conclus au sein de la cible pour assurer la transmission de ces savoir-faire en leur donnant ainsi une valeur à la fois commerciale et juridique, sans pour autant qu’ils soient rendus publics comme ils l’auraient été en déposant un brevet. Ces dispositions peuvent être complétées par des mesures visant à conserver le secret de ces savoir-faire, par exemple en définissant des restrictions d’accès dans les systèmes informatiques et logistiques, ou en prévoyant dans les contrats de travail ou de prestation des clauses spécifiques de protection. Transposée dernièrement en droit français (Loi du 30 juillet 2018 et son décret d’application du 11 décembre 2018 dite Loi sur le Secret des Affaires), la directive européenne sur la protection des savoir-faire et des secrets d’affaires, apporte de nouveaux outils juridiques permettant de mieux protéger et valoriser cet actif incorporel transmissible.

Quand et comment le savoir-faire doit-il être révélé à un acquéreur ?

Une question sensible se pose de façon récurrente dans chaque opération d’acquisitions où la notion de savoir-faire est centrale : quand et comment organiser la « divulgation » des savoir-faire entre le cédant et son acquéreur ? Cette problématique constitue parfois un enjeu central dans le processus de cession de la société-cible, particulièrement lorsque le savoir-faire est lié à une technologie non brevetée (cas de certaines entreprises innovantes qui ne concourent pas à la course au brevet et qui ne déposent pas de brevet pour conserver une avance technologique vis-à-vis de leurs concurrents).

Dans l’hypothèse d’une divulgation trop en amont ou trop précise, la cible peut ressortir fragilisée du processus en ayant révélé des informations stratégiques à ses concurrents alors que la cession n’est pas finalisée et que l’un des concurrents ainsi informé peut se retirer du process de vente.

Du point de vue de l’acquéreur, l’idéal est bien évidemment d’obtenir la révélation complète des informations le plus en amont possible ou, a minima « un instant de raison » avant la cession, de sorte que ce dernier puisse réaliser l’acquisition en toute connaissance de cause.

Il y a donc une nécessité de concilier des intérêts qui ne sont pas toujours alignés et d’encadrer ce partage d’informations dans des conditions satisfaisantes pour les parties.

A titre d’exemple, il est possible de ne révéler les informations sensibles que dans le cadre d’une data room spécifique et dont l’accès est restreint à 2 ou 3 acquéreurs potentiels (généralement en phase 2, après un premier tri des acquéreurs potentiels), tout en sélectionnant avec attention les éléments qui seront divulguées.

Il est également possible d’avoir recours à la technique dite de « black box » : Dans un tel cas les informations cruciales ne sont révélées qu’à des experts externes (généralement avocats ou encore tiers-sachant signataires d’un NDA spécifique soumis à la Loi sur le Secret des Affaires pour assurer la confidentialité des informations transmises pendant un délai qui doit être adapté au contenu des éléments soumis au secret et supérieur à la durée de 3 ans usuellement retenue).

Une autre technique, en aval de l’acquisition, peut être envisagée en mettant en place un plan de formation dit de ‘’transmission du savoir-faire’’, particulièrement lorsqu’il s’agit de savoir-faire lié à un process. Dans un tel cas, un expert choisi par les parties détermine si les étapes de transmission et la formation dispensée garantissent une acquisition pleine et entière du savoir-faire. Dans un tel cas, la rétention d’une partie du prix de cession est un élément de motivation d’une formation et d’une transmission correctement effectuées.

En définitive, ces techniques soulignent la valeur trop souvent ignorée des savoir-faire techniques et commerciaux de la société-cible. La mise en place d’un process encadré selon une méthodologie et une stratégie bien définie (en d’autres termes d’un savoir-faire combinant expertises juridique et scientifique !) permet d’une part d’assurer un contrôle de la divulgation lors des opérations d’acquisition et, d’autre part de préserver la valeur ‘’savoir-faire’’ au bénéfice mutuel des parties concernées.

Par Olivier Josset, Associé Directeur du Département Corporate M&A, et Caroline Jouven, Avocat – Directeur de mission au sein du Département Propriété Intellectuelle de Fidal PARIS

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