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La fiducie-sûreté, outil de croissance pour les TPE et PME

Tribunes libres Écrit par  vendredi, 21 janvier 2022 09:35 Taille de police Réduire la taille de la police Augmenter la taille de police
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Peu ou mal connue sur le marché français, la fiducie se révèle être un allié de taille pour les TPE / PME. Instrument juridique innovant (il a fait son entrée au code civil en 2007), il permet, notamment, à des entreprises d’obtenir des financements pour leur projet de développement ou de croissance.

Comme par exemple, s’attaquer à de nouveaux marchés à l’international ou encore acquérir des nouvelles unités de production. L’activité fiducie-sûreté en France est aujourd’hui très prometteuse mais encore loin de celle existant en Allemagne par exemple, où plus de 70 % du crédit aux entreprises passe par la mise en fiducie d’un bien meuble ou immeuble.

Qu’est-ce que la fiducie-sûreté ?

Thierry QuentinLa fiducie-sûreté est un mode de garantie offerte aux créanciers d’une entreprise. Elle a pour objet de garantir l’engagement pris par le constituant envers un créancier ; les bénéficiaires de la fiducie seront le créancier en cas de défaillance du constituant débiteur de l’engagement et subsidiairement le constituant pour l’excès éventuel de valeur du gage par rapport à la créance et le constituant au terme sans défaillance.

La fiducie-gestion a principalement pour objet l’exécution d’obligations, contractuelles ou non.

Dans la pratique, force est de constater que fiducie-sûreté et fiducie-gestion sont très souvent combinées.

Pourquoi la fiducie-sûreté est-elle attractive et accessible pour les TPE et PME ?

Un des avantages de la fiducie-sûreté est que le constituant débiteur qui transfère un actif (immobilier ou mobilier) en fiducie pour garantir sa dette envers le créancier bénéficiaire de la fiducie-sûreté, conserve, s’il le souhaite, la jouissance dudit actif qui peut être nécessaire à l’exploitation du constituant, au moyen d’une convention de mise à disposition temporaire.

Dans le cadre de la recherche d’un financement, quel que soit l’objet dudit financement, la mise en place d’une fiducie-sûreté et donc le transfert par l’emprunteur (le constituant) de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire permet d’assurer au prêteur (le bénéficiaire), l’exclusivité dudit patrimoine fiduciaire en cas de défaut de l’emprunteur dans le remboursement du prêt qui lui a été consenti.

Dans un schéma classique (nantissement de titres, hypothèque, gage, etc.), et dans l’éventualité de la survenance d’une procédure collective, le prêteur se trouverait contraint par le droit commun et la mise en œuvre de sa garantie se heurterait aux divers super-privilège et autres privilèges dont bénéficient certains créanciers (salariés, trésor public, créanciers « New Money », etc.) et qui viendraient réduire, voire anéantir ses chances de récupération ; un créancier titulaire d’une sûreté ne vient qu’en 5ème position ; par ailleurs, il serait contraint de participer aux comités de créanciers et subirait les négociations de délais et de réduction du montant des créances.

Dans un schéma de fiducie-sûreté, le prêteur bénéficiaire de ladite fiducie-sûreté, se voit octroyer un droit exclusif sur les biens, droits ou sûretés, transférés par l’emprunteur constituant dans le patrimoine d’affectation du fiduciaire. En cas de défaillance de l’emprunteur dans le remboursement de son prêt, la créance du prêteur devient immédiatement exigible et il ne se trouve en concurrence avec aucun autre créancier de l’emprunteur pour obtenir du fiduciaire le paiement de la sûreté à son profit.

Ainsi, la fiducie-sûreté s'impose en droit français comme la solution la plus efficace en matière de garantie.

Mais la mise en œuvre d’une fiducie-sûreté est jugée assez coûteuse et relativement lourde sur un plan administratif, ce qui peut dissuader les TPE/PME d’avoir recours à cette « super garantie ».

Quelles sont les types d’opérations de croissance qui peuvent être réalisées grâce à la fiducie-sûreté ?

La fiducie-sûreté est l’outil par excellence d'encadrement et d'atténuation du risque et élargit le champ des possibles pour les entreprises de toutes tailles, en sécurisant les financements et en leur permettant un accès facilité au crédit bancaire pour leur développement.

Les applications possibles de la fiducie-sûreté sont :

Sécurisation de financement :

    Pour se financer dans des termes espérés et pallier le risque de crédit ; les sûretés traditionnelles sont peu adaptables et peu efficaces en cas de procédures collectives.

Sécurisation de « new » et « old money » :

    Une société en procédure amiable ou judiciaire doit rechercher un nouvel équilibre avec ses créanciers historiques et de nouveaux investisseurs/financeurs ; la fiducie-sûreté est l’outil qui permet de sanctuariser certains actifs qui serviront à sécuriser les créanciers « new money » qui acceptent d’investir, mais aussi à protéger les droits des créanciers « old money », en organisant une répartition précise et ordonnée des droits sociaux et financiers entre eux.

Monétisation d’actifs immobiliers :

    Une société propriétaire d’un bien immobilier peut avoir à faire face à un déficit de trésorerie ; les créanciers traditionnels seront hésitants dans ce contexte ; la société peut mettre son bien immobilier en fiducie pour sécuriser le financement dont elle a besoin ; la fiducie a l’avantage pour le constituant d'être plus économique qu’une cession ou qu’un « sale & lease back » car elle est neutre fiscalement. 

Organisation de « debt to equity swap » :

    Dans le cas d’une société qui afficherait un taux d’endettement jugé trop important et qui ne disposerait pas d’actifs utilisables en garantie, les créanciers bancaires et/ou obligataires qui accepteraient de maintenir ou de renforcer leur exposition pourraient demander le transfert en fiducie de titres de la société ; en cas de défaut, plutôt que de devoir reconnaître une perte définitive sans aucune possibilité de récupération, les créanciers se verraient attribuer les titres de la société et, en tant que nouvel actionnaire, bénéficieront du transfert de valeur qui s'opérera lors de la conversion des créances en capital. 

Sécurisation d’obligations convertibles en actions :

    Une société qui sortirait fragilisée d’un temps de crise et qui devrait renforcer ses fonds propres par une émission d’obligations convertibles, pourrait sécuriser cette émission par une fiducie dans laquelle seraient transférés certains de ses actifs qui seraient automatiquement restitués au constituant le jour du remboursement des obligations convertibles ou de leur conversion en actions.

Sécurisation de la Supply Chain :

    Une société en grande difficulté pourrait perdre la confiance de ses fournisseurs qu’il faudrait sécuriser pour obtenir le maintien de leurs engagements commerciaux ; la société met en fiducie ses créances commerciales ; le fiduciaire est chargé de leur recouvrement et de la répartition des sommes reçues entre les différents fournisseurs, déduction faite de la marge qui est rétrocédée à la société ; la sanctuarisation de ces flux financiers dans un patrimoine autonome permet non seulement de sauver l’activité mais aussi de sécuriser la Supply Chain.

Sécurisation de cash-flows :

    Dans un projet de financement d’infrastructure, les revenus tirés de l’actif sont à long terme et sans risque ; néanmoins, la société d’exploitation est fortement endettée et les créanciers s'inquiètent d’un bilan se fragilisant, interposé entre eux et le flux de revenus ; les créances futures liées à l’exploitation de l’actif peuvent être apportées en fiducie ; le fiduciaire est chargé du règlement des sommes dues directement entre les mains des créanciers, qui auront par ailleurs procédé à un refinancement concomitant à la mise en place de la fiducie.

Sécurisation de crédits vendeurs :

    Un cédant accompagne le repreneur d’une filiale en lui consentant un crédit vendeur ; pour atténuer le risque de crédit du cédant, les titres de la société sont apportés en fiducie ; le fiduciaire est chargé du contrôle des étapes du crédit vendeur et du transfert des titres au cessionnaire une fois le règlement final effectué ou, dans le cas contraire, de les retourner au cédant. 

Sécurisation de PSE :

    Une société en difficulté engage des mesures de restructuration qui exposent fortement ses salariés ; des liquidités sont transférées dans un patrimoine fiduciaire au bénéfice des salariés, sécurisant leurs indemnités en cas de plan de sauvegarde de l’emploi ou de licenciements ultérieurs ; les salariés sont protégés, irrévocablement et durablement ; la fiducie constitue un outil de protection et de fluidification des rapports sociaux.

Sécurisation de contrôle et de gouvernance :

    Tout ou partie des titres d’une société peuvent être apportés en fiducie, dont le contrat règlera la répartition des droits sociaux et financiers entre le constituant et le bénéficiaire, selon des conditions préalablement convenues entre les parties ; le contrat déterminera aussi les conditions dans lesquelles le fiduciaire sera amené à exercer le mandat social ou à le confier à un tiers.

Séquestre fiduciaire :

    Dans le cadre d’un contentieux ou d’une transaction, une société pourrait devoir sécuriser une autre partie par une somme déposée en garantie ; si la solvabilité de la partie devant consentir la garantie est discutable, alors les liquidités pourraient être mises en fiducie, permettant de s’assurer qu’elles ne soient pas rappelées dans une éventuelle procédure collective, ce qu’un séquestre civil ou un nantissement de compte courant assorti d’une clause de blocage n’aurait pas pu éviter.

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 est venue à point nommé pour placer la fiducie-sûreté aux côtés de la cession de créance et de la cession de somme d’argent à titre de garantie permettant à ce mécanisme de gagner en souplesse et en efficacité. Ceci devrait stimuler l’intérêt des acteurs économiques pour la fiducie-sûreté et élargir davantage le champ des projets réalisables en sécurisant les financements mis en place.

La fiducie-sûreté représente aujourd’hui un enjeu essentiel en droit français des sûretés, de nature à contribuer pleinement au dynamisme du tissu économique. Il faudra peut-être encore un peu de temps pour « acclimater » les créanciers à cet outil mais l’émergence d’une offre de fiducie-sûreté professionnelle et spécialisée ne peut qu’y contribuer.

Par Thierry Quentin avocat spécialisé en matière des droits des sociétés et associé d’Exponens Avocat

Lu 25815 fois Dernière modification le vendredi, 21 janvier 2022 11:15
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