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Droit et lobbying européen : les entreprises doivent s'impliquer

Tribunes libres Écrit par  mardi, 23 septembre 2014 15:50 Taille de police Réduire la taille de la police Augmenter la taille de police
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Le droit européen impacte de plus en plus la vie des entreprises. Les dirigeants et cadres managers le connaissent mal. Comment s'en servir ou s'en prémunir ? Dans quelles occasions ? A l'occasion d'une conférence organisée conjointement avec la DFCG et animée par Pascal Ferron, vice-président de Baker Tilly France, Yves-Marie Moray, avocat spécialiste du droit européen et président d'Eurolaw, a expliqué les différentes possibilités pour les entreprises d'influer sur les décisions européennes.

 

Le droit européen est encore une notion floue pour les 511 millions de citoyens européens, dont des directeurs financiers, des chefs d'entreprise, des patrons de business unit, de services juridiques... Le processus décisionnel, relativement complexe, de l'Europe, est mal connu. Or l'Europe est un outil incontournable de compétitivité économique pour les entreprises. Un grand marché unique sans frontières est un élément important pour la croissance et pour l'attractivité mondiale de l'Europe.

 

> Une contradiction entre le besoin d'Europe et l'euroscepticisme

Après les élections européennes du 25 mai 2014, l'on ressent plus que jamais une contradiction entre le nécessaire besoin d'Europe pour réaliser les enjeux stratégiques de l'Union et l'euroscepticisme, lequel procède pour une large part d'une méconnaissance de ceux-ci due à un flagrant déficit d'information.

 

Petit rappel des institutions :

Le conseil européen donne le souffle politique. La Commission européenne a le pouvoir législatif. Le Parlement (voix des citoyens) compte 751 députés dont 74 Français, chaque Etat membre dispose de voix en fonction de sa population. Pour l'adoption d'une loi, 55 % des Etats correspondant à 65 % de la population doivent être d'accord. Le Conseil des ministres (voix des Etats) : chaque Etat envoie à Bruxelles le ministre concerné selon le thème. La Cour de justice veille à l'application du droit de l'Union et à l'uniformité de son interprétation sur le territoire de l'Union. Le Comité économique et social est la voix de la société civile (patronat, syndicats, professions libérales, artisans, agriculteurs...) ; il a un avis consultatif obligatoire. Le Comité des régions, 353 membres, est la voix des régions et des villes dans l'Union européenne. La Cour des comptes européenne examine les finances de l'Union.

 

L'Union européenne n'est pas une organisation internationale classique dans le sens où elle produit un droit qui lui est propre.

 
> Trois principes fondamentaux en droit européen

Les entreprises doivent impérativement connaître les principes du droit européen pour pouvoir s'en servir :

1- L'applicabilité immédiate : le droit européen devient immédiatement du droit positif pour les Etats membres. Il s'intègre de plein droit dans le droit national et doit être appliqué par le juge national.

2- L'effet direct : les normes de droit européen peuvent être invoquées directement devant le juge national.

- Les traités sont le socle d'une coopération démocratique fondée sur le droit.

- Les règlements sont d'une portée générale, obligatoires dans tous leurs éléments.

- Les directives lient les Etats membres quant au but à atteindre, mais les laissent libres en ce qui concerne les moyens et la forme. Ils doivent respecter un délai pour la transposition en droit interne.

3- La primauté : le droit européen prime sur le droit national. Le juge national est le juge européen de droit commun.

Ces trois principes fondamentaux servent à régler les rapports entre l'ordre juridique européen et les ordres juridiques nationaux. La jurisprudence de la Cour européenne de justice est très importante dans la définition de ces principes, qui créent des obligations à la charge des Etats membres et des droits pour les justiciables, personnes physiques et morales.

 

> Comment les entreprises peuvent utiliser le droit européen

Le droit européen peut devenir une arme de combat concurrentiel : dans les années quatre-vingt, Bergasol était le premier produit cosmétique solaire, avec 40 millions d'unités vendues. En face, Bayer avait des ambitions de croissance. Ce laboratoire a réussi à faire interdire par l'Europe une certaine molécule utilisée dans le Bergasol, prétextant qu'elle était cancérigène. Mettant en oeuvre le principe de précaution, l'Europe a fait interdire le Bergasol. L'entreprise a déposé le bilan, alors que quelque temps plus tard ce produit a été reconnu tout à fait sain. Le mal était fait. Dans le milieu économique, cette affaire a fait prendre conscience de l'importance d'être en veille des réflexions en cours à Bruxelles.

A l'inverse, un exemple récent démontre en quoi le droit européen peut venir à la rescousse d'une entreprise. Une société française soumise à une procédure d'insolvabilité a des créanciers dans d'autres pays d'Europe. Aucun des organes de la procédure collective n'avait informé le créancier néerlandais de cette procédure. Or, à partir du moment où un créancier étranger est informé que son client est insolvable, il a quatre mois pour faire valoir sa créance. Les quatre mois étant écoulés, le créancier néerlandais allait devoir mettre une croix sur un million d'euros. Or, dans le règlement de 2000, il est précisé qu'une procédure d'insolvabilité doit être notifiée aux créanciers étrangers par les organes de la procédure collective. Toutefois le règlement ne prévoyait pas de sanction. Et il n'existait aucune jurisprudence. Le créancier néerlandais a été débouté en première instance. Mais pour la première fois, une cour d'appel, en l'occurrence celle d'Aix-en-Provence, énonce qu'à défaut de notification par les organes de la procédure collective, le délai n'a pas commencé à courir, et qu'en conséquence, le créancier pouvait faire valoir sa créance. Les administrateurs judiciaires se sont pourvus en Cour de cassation, qui a confirmé l'arrêt de la cour d'appel (arrêt du 17 décembre 2013).

 

> Le lobbying : plusieurs techniques pour préserver ses marchés

Comment influer sur les décisions de Bruxelles ? L'exemple des professionnels de la piscine est un cas d'école. Une norme visait à imposer les spécificités sécuritaires, draconiennes, des piscines publiques aux piscines privées. Impensable. Dans l'urgence, une fédération européenne des constructeurs de piscines a été créée. Elle a organisé un événementiel à Bruxelles permettant aux professionnels européens de se connaître, de se faire connaître des décideurs à Bruxelles, de leur faire des propositions, de leur démontrer l'inadéquation de ce projet... lequel a été abandonné.

 

> La règle d'or : agir le plus en amont possible

Qu'est-ce que le lobbying pour une entreprise française ?

Le lobbying consiste à influencer les décisions européennes avant que celles-ci ne soient prises. Le facteur temps est primordial.

Une règle d'or : plus l'entreprise sera active en amont, plus elle aura des chances de succès.

 

Comment s'y prendre ?

Etre en veille et identifier les réflexions en cours à Bruxelles concernant son secteur d'activité, les produits ou les techniques utilisées.

Identifier à quel niveau en est le projet.

L'entreprise pourra ensuite faire intervenir son lobbyiste interne (une fonction qui se développe) ou des lobbystes agréés. Quatre à cinq mille lobbyistes sont officiellement enregistrés dans le registre mis en place par l'Union européenne. Mais le chiffre réel communément cité se situe autour de 15 000.

Les techniques sont variées : enquêtes et études pour démontrer un point de vue, événementiels, communication institutionnelle, relations presse, rendez-vous directs...

 

Selon Pascal Ferron : « Bien loin de ne considérer l'Europe comme un seul bouc émissaire de tous nos maux, et bien plus pragmatiques que nos gouvernants, les chefs d'entreprises, quelle que soit la taille de ces dernières, et les managers ne peuvent plus méconnaître ces nouveaux enjeux très stratégiques. Ils doivent impérativement être sensibilisés à temps pour se mobiliser fortement, par eux-mêmes ou à travers leurs fédérations ou leurs groupements professionnels, voire en en créant ad hoc, de manière à anticiper pour rester dans la course et faire partie des gagnants de demain. »

 

 

Lu 3117 fois Dernière modification le lundi, 01 juin 2015 13:28
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