GPO Magazine : En tant qu’entrepreneur, quelles sont d’après vous les clés de la réussite ?
Pierre Duchesne : Jeune entrepreneur manquant de recul, répondre à cette question est délicat. Ayant en partie réalisé mon cursus universitaire en summer school aux USA, j’ai une vision très américaine du sujet, tout en gardant mes valeurs françaises. Je suis dans le mode « thinking out of the box », oser prendre des chemins de traverse, être un casseur de process ! Je vous rappelle qu’Avob signifie « Alternative Vision Of Business ». Je suis certain d’une chose : sur notre créneau, le seul impératif pour le succès et la croissance c’est de traquer l’hyper innovation. Ensuite, je crois qu’il faut être persévérant, ne jamais douter de ses visions quitte à faire parfois des erreurs et à corriger le tir. J’ajouterai aussi qu’à mon âge, il faut être un peu fou, sans famille, sans enfants, sans voiture (il n’a pas son permis NDLR)… dans la tranche 25-35 ans, il ne faut penser qu’à son business. Je ne vois pas comment j’aurais le temps de penser à autre chose.

GPO Magazine : Quelles sont les racines de cette volonté précoce d’entreprendre ?
Pierre Duchesne : En 2006-2007 avec mes camarades de l’École Centrale d’Électronique Jean-Charles Matamoros, Sébastien Lavayssière et Damien Valentini, nous animions le Bureau des élèves dont j’étais le Président. L’organisation de soirées était annexe, nous avions surtout la volonté de nous mettre au service des étudiants. C’est ainsi que nous avons créé un site web centrale d’achats, avec l’idée de regrouper les achats de plusieurs écoles et faire ainsi bénéficier les étudiants de prix très attractifs. Nous nous sommes mis une pression énorme.
C’était une véritable micro-entreprise qui fonctionnait sur le mode associatif non pyramidale avec vingt-deux personnes travaillant bénévolement. J’ai toujours voulu faire partager mes idées et mon objectif était d’amener tout le monde au bout du projet. Cela a bien marché. En deux ans notre chiffre d’affaires frisait les 200 000 €.
Nous avons vu cette expérience comme un « bac à sable » et finalement ce BDE a joué le rôle d’in­cubateur. Cela nous a permis de savoir que nous pouvions travailler ensemble, chacun avec son caractère. Aujourd’hui nos positionnements res­pectifs sont précis et partagés. Je suis considéré comme le développeur « visionnaire infatigable », Jean-Charles Matamoros est le gestionnaire « juste méthodique » et Damien Valentini le commercial « créatif convivial ».

GPO Magazine : Aussitôt diplômé vous vous lancez dans l’aventure ?
Pierre Duchesne : Presque ! Je passe trois mois chez Bouygues Telecom où je développe un service applicatif sur 3 millions de mobiles, puis deux mois chez SFR où je revisite intégralement la grille tarifaire sur la partie machine to machine (Coyote, Tom Tom, Linky… etc). Je démarre donc la société avec à peine six mois d’entreprise. Je vous le disais, il faut être fou. Mais une folie qui est fondée sur une obser­vation et une vision très nette du premier marché qu’Avob ciblait au début.

GPO Magazine : C'est-à-dire ?
Pierre Duchesne : Il y a 600 millions de PC dans le monde dont 20 millions en France. Avob est associé au projet mondial de la Climate Savers Computing Initiative. Objectif : réduire de 54 millions de tonnes les émissions de CO2 générées par les parcs informatiques. Cette réduction est l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre de 11 millions de voitures. En France, cela représente la production de quatre centrales thermiques comme Porcheville, soit encore 75 000 tonnes de CO2. L’enjeu est de l’ordre du térawatt/an, soit environ 600 millions d’euros d’économies pour les entreprises. Le potentiel est gigantesque.

GPO Magazine : La France, dont on dit parfois qu’elle bride la volonté d’entreprendre, était-elle le meilleur pays pour cette création ?
Pierre Duchesne : Pour une société innovante telle que la nôtre – nous avons le statut de Jeune Entreprise Innovante - la France est un véritable paradis économique, social et fiscal. Nous béné­ficions d’aides, de subventions, de crédits d'impôt recherche et d’accompagnements divers et variés, y compris à l’international. Tout ceci n’existe dans aucun autre pays au monde.

GPO Magazine : Vous vous attaquez désormais à un autre marché, celui des économies d’énergie dans les immeubles du tertiaire ?
Pierre Duchesne : Nous venons de lancer notre solution Building Energy Viewer. Il s’agit d’optimiser l’efficacité énergétique des bâtiments avec, à la clé, une réduction très importante de la facture d’énergie. Atout complémentaire d’Avob : nous ne sommes pas une société de consulting. Nous ne facturons jamais d’honoraires. Notre rémunération est fondée sur un pourcentage des économies réa­lisées par nos clients. Notre monnaie d’échange, c’est le KWh.

GPO Magazine : En quoi est-ce innovant ?
Pierre Duchesne : Elle place les employés utilisateurs au cœur de la stratégie énergétique de l’entreprise. Plus question par exemple de régler la température moyenne d’un bâtiment tout entier d’après les exigences d’une personne frileuse qui dicte sa loi à la communauté. En nous transmettant leur ressenti, les utilisateurs deviennent des acteurs de la politique énergétique de l’entreprise. Sinon, c’est une catastrophe écologique et un gaspillage énergétique considérables. Les frileux n’ont qu’à mettre un pull-over de plus ! C’est ce que j’appelle la démocratie énergétique. Les solutions Avob permettent de récupérer et d’exploiter l’intelligence commune. De cette compilation d’informations individuelles nous édictons des règles dans le cadre d’une logique globale de gestion énergétique.

GPO Magazine : Pourquoi avoir rapidement ouvert deux bureaux aux USA ?    
Pierre Duchesne : Il était impensable de développer notre business sans signer des partenariats globaux avec des Intel, Microsoft, Apple, Cisco… Pour y parvenir il faut être implanté aux USA. De plus, tous les grands leaders mondiaux de l’énergie sont français : EDF, GDF Suez, Véolia, Dalkia, Schneider Electric, Alstom Grid, Total, etc. La France a tous les atouts pour prendre la main sur l’énergie de la planète. Avob doit faire partie de l’aventure.

GPO Magazine : Revenons à votre personnalité. Vous vous considérez comme un visionnaire. Votre égo n’est-il pas surdimensionné ?
Pierre Duchesne : À ce jour toutes mes visions ont été validées par le succès des solutions développées par Avob. J’ai un problème avec l’humilité. Je pense que l’humilité est une espèce de négation du retour d’expérience. La vérité, c’est que j’ai envie de conquérir le monde et d’aller contre ce que d’autres considèrent comme impossible. Sans arrogance, rien n’est impossible à mes yeux.

GPO Magazine : Vous êtes un adepte de la sérendipité**. Pouvez-vous nous en dire plus sur le sujet ?
Pierre Duchesne : Tout le monde croit que je suis un... faiseur de chances ! Couramment utilisée dans la recherche scientifique, la sérendipité est une observation méthodique suivie d'une induction correcte. Dans les faits, à un moment j’ai accumulé tellement d’informations sur un sujet donné que mon cerveau ne peut plus suivre (sourire, NDLR). Je fais donc appel à mon inconscient en étant très attentif aux signes qui m’entourent. Que voulez-vous que je vous dise, cela marche très bien ainsi depuis trois ans. La chance n’a donc nullement sa place ici.

GPO Magazine : Vous considérez-vous comme un killer, comme un money maker ?
Pierre Duchesne : Non, l’argent personnel n’est vraiment pas la première de mes préoccupations. Je vis bien, mais ce qui m’importe, c’est d’avancer, d’innover, d’assurer la croissance, la satisfaction des investisseurs et le bonheur de nos employés. En revanche lorsque je perçois des comportements qui vont à l’encontre de mes valeurs, là, oui, je peux devenir féroce. Chez Avob aujourd’hui, nous nous éclatons. Nous aidons des entreprises, des villes, des gouvernements, des pays entiers même à réduire leurs factures énergétiques. À 25 ans peut-il y avoir mission plus exaltante que celle-là et dont l’enjeu est planétaire ?

Propos recueillis en entretien par Philippe Dermagne

* sur les parcs informatiques et les immeubles de bureaux

** don ou faculté de trouver quelque chose par hasard et l'exploiter alors qu'on cherchait autre chose