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Michel Hervé, Groupe Hervé - Un pionnier de la démocratie concertative au sein de l’entreprise

Michel Hervé, Groupe Hervé - Un pionnier de la démocratie concertative au sein de l’entreprise

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Aujourd’hui président du conseil de surveillance du Groupe Hervé, Michel Hervé a créé il y a plus de 40 ans ce groupe spécialisé dans la conception, l’installation et la maintenance de systèmes et technologies utilisés dans le bâtiment. Et même si le Groupe Hervé est désormais dirigé opérationnellement par l’un de ses fils, Emmanuel Hervé, président du Directoire, Michel Hervé continue de mettre en pratique au sein même de son groupe sa philosophie d’entreprise, appuyé par Thibaud Brière qui occupe l’étonnante fonction de « philosophe de l’organisation ».
L’homme que nous avons rencontré a eu plusieurs vies : entrepreneur, maire de Parthenay pendant 22 ans, député des Deux-Sèvres, député européen de 1989 à 1994 et professeur associé à l’université Paris VIII. Également président national de l’Agence pour la création d’entreprises (APCE), président fondateur de l’IDPC (institut financier de capital risque)…. De quoi vous donner le tournis. Pourtant, Michel Hervé affiche les qualités des grands entrepreneurs : enthousiasme, détermination et humilité. Un exemple à suivre et dont l’organisation inspire déjà plus d’un dirigeant d’entreprise…

 

GPO Magazine : Comment trouvez-vous le temps de tout faire : entrepreneur, homme politique… ?
Michel Hervé : L’histoire du Groupe Hervé a commencé en 1972 avec la création de la société Hervé Thermique. Ingénieur de formation, j’avais 26 ans lorsque j’ai créé cette entreprise, laquelle comptait 174 salariés répartis sur trois sites.
Aujourd’hui, le Groupe comprend 2 800 collaborateurs dans une trentaine de sociétés en France et à l’étranger (Suisse, Belgique et Maroc). À l’époque, mon organisation était faite selon le principe de la subsidiarité, le responsable n’intervenant que lorsque ses collaborateurs le lui demandent. Progressivement, lorsque ces derniers se sont montrés efficaces, je me suis retrouvé à travailler à mi-temps ce qui m’a permis de me consacrer à mon travail d’élu de la ville de Parthenay en 1979, de député des Deux-Sèvres en 1986 et de député européen en 1989. Par ailleurs, j’ai fondé en 1982 une société de capital-risque dédiée aux PME, et à partir de 1991, j’ai présidé l’Agence nationale pour la création d’entreprises.
Dans les années 80, il s’agissait vraiment d’une organisation atypique car le dirigeant d’une entreprise était encore considéré comme le chef de bande et comme celui qui avait donc le dernier mot. Mais très vite, je me suis aperçu qu’il fallait que les décisions soient prises par le groupe. En effet, ce dernier est un formidable réservoir de savoirs, d’expériences et de contacts, et le fait de réfléchir ensemble a pour conséquence d’en démultiplier le champ d’application. C’est la force du collectif et chaque collaborateur doit se comporter en véritable entrepreneur à l’intérieur du groupe.

GPO Magazine : C’est ce que vous appelez un « intra-entrepreneur », qu’entendez-vous par là ?
M. H. : Une entreprise doit pouvoir s’appuyer sur des collaborateurs dotés d’une faculté d’adaptation rapide aux besoins de ses clients. Ses collaborateurs doivent être autonomes quant à leurs moyens et leurs objectifs. Ils ont toute latitude pour prendre, dans les plus brefs délais, la décision qui convient à chaque situation. Ils doivent se comporter en véritables entrepreneurs à l’intérieur du groupe. Concrètement, au sein du Groupe Hervé, nous n’avons qu’un seul objectif : faire de chaque collaborateur un intra-entrepreneur. C’est ainsi que l’entreprise est structurée de manière fractale, l’unité de base étant une équipe autonome d’une quinzaine de personnes. Ces équipes sont ensuite regroupées en territoires, à raison d’une quinzaine d’équipes par territoire. Et la quinzaine de territoires constitue l’ensemble du Groupe Hervé. Chacune de ces 180 équipes fonctionne comme une PME et chaque équipe a un manager d’activités qui a un rôle d’animation du collectif et de porte-parole de l’équipe vis-à-vis du niveau supérieur.

GPO Magazine : Plus précisément, qu’est-ce qu’un entrepreneur aujourd’hui : un col bleu, un col blanc ?
M. H. : C’est plutôt un col tricolore. En effet, l’entrepreneur doit être un col bleu, c’est-à-dire un opérateur doté d’une énergie physique, un col blanc qui sera un analyseur avec une intelligence rationnelle et enfin, un col rouge qui aura une intelligence émotionnelle et sera donc un adaptateur. Aujourd’hui, dès lors que l’un de nos collabora­teurs est en relation avec un client, il doit posséder ces trois fonctions, y compris la dernière qui lui permet de mieux comprendre la problématique de ce client.

GPO Magazine : Pas si évident d’être ce col tricolore…
M. H. : Effectivement, cela est d’autant moins évident que dans la France du xxe siècle, on avait tendance à ranger d’un côté les commerçants qui ont cette capacité émotionnelle, de l’autre ceux qui ont des capacités d’analyse, et enfin ceux qui travaillent physiquement. Or, actuellement, dans les entreprises de services notamment, on a besoin de profils qui ont ces trois qualités. Et on peut arriver à développer ces spécificités dans les entreprises d’aujourd’hui, sans stress pour les salariés car le stress inhibe l’inventivité.

GPO Magazine : À ce propos, vous citez une phrase d’Einstein, « une personne qui n’a jamais commis d’erreurs n’a jamais innové » : à votre avis, il faut savoir prendre des risques dans une entreprise ?
M. H. : Il faut savoir favoriser la pédagogie par l’erreur. Le manager ne doit pas punir la faute et le collaborateur d’une entreprise ne doit pas avoir peur de mal faire ou d’échouer. Quand quelque chose ne va pas, cela doit être l’occasion de découvrir, d’apprendre. Seule la liberté sans contraintes peut permettre de créer et d’innover. Bien entendu, prendre des risques fait partie de l’ADN de l’entrepreneur. Mais pour faire ce chemin, il convient d’avoir confiance en soi et parfois de sauter dans l’inconnu. En revanche, le manque de confiance en soi entraîne la peur de l’échec et le besoin d’appuis subsidiaires. Quant à la fausse confiance : c’est la plus dangereuse car elle conduit à une mauvaise évaluation du risque.

GPO Magazine : Jusqu’à une période récente, vous étiez président du Groupe Hervé, vous considériez-vous comme le « patron » du Groupe Hervé ou plutôt comme son « chef d’orchestre » ?
M. H. : Je ne me suis jamais considéré comme le patron du Groupe Hervé mais plutôt comme son chef d’orchestre. Dans un orchestre philharmonique, le chef d’orchestre est au service du groupe, et non le groupe à son service. Un tel dirigeant sert alors seulement de référent extérieur chargé de l’harmonie de l’ensemble. Mais il faut garder à l’esprit qu’il ne peut pas y avoir d’harmonie sans règles préétablies. Reste à trouver un équilibre entre le trop-plein de règles, qui rend la coopération fastidieuse et complexe (c’est le cas de notre code du travail) et l’absence de règles, qui la rend impossible.

GPO Magazine : Vous aimez vous définir comme un philosophe contrarié : quelle est votre philosophie d’entrepreneur ?
M. H. : Le philosophe c’est celui qui est dans le doute et se pose des questions. Il n’a pas de certitude et continue à avancer. C’est la maxime de Socrate : « je sais que je ne sais rien ». En ce sens, le véritable entrepreneur est un chercheur perpétuel : recherche de nouveaux produits, de nouveaux clients… Et s’il n’est plus dans cette perspective, il n’est plus un entrepreneur. Il faut donc qu’il soit un véritable créateur qui capitalise sur l’avenir.

GPO Magazine : Vous avez développé l’idée d’une démocratie concertative au sein de l’entreprise… L’entreprise est-elle compatible avec la démocratie ?
M. H. : L’exemple du chaman dans les tribus pri­mitives nous rappelle que l’autorité du manager catalyseur, dans une équipe de travail collaborative, vient d’abord de la reconnaissance par les pairs. C’est sur la possibilité d’un tel fonctionnement de pairs à pairs, donc strictement égalitaire, que se fonde l’idée de démocratie, suivant la formule de Montesquieu : « n’avoir pour supérieurs que ses égaux ».
À mon sens, il faut réformer en profondeur les entreprises. Et la clé de voûte de cette transfor­mation doit être la démocratie. Je pense qu’il faut passer de l’aristocratie autoritaire, encore présente dans nombre d’entreprises, à la démocratie concertative. En effet, on ne peut plus se contenter d’informer et de consulter les salariés. Il convient également de les faire participer aux décisions et de leur déléguer le pouvoir.

GPO Magazine : La démocratie concertative, est-ce là l’une des clés de la réussite du Groupe Hervé ?
M. H. : En effet, au sein du Groupe Hervé, il n’y a pas de hiérarchie pesante mais il y a une réflexion en groupe qui permet à un projet d’aboutir, d’affecter des bénéfices ou tout simplement de partager des expériences. Bien entendu, chacun agit dans le cadre d’une pensée globale, dans l’intérêt collectif.

GPO Magazine : Pensez-vous être un homme heureux ?
M. H. : En tant qu’entrepreneur, je me suis amusé toute ma vie. La prise de risque, la joie de la réussite et l’apprentissage par essai/erreur font partie du bonheur au sein de l’entreprise. Le chemin doit se faire en marchant et non dans l’obsession du but, mais il faut savoir sauter dans l’inconnu sinon aucune innovation n’est possible. Il ne s’agit pas de demander à tout le monde de créer son entreprise, mais d’envisager sa vie comme sa propre création.

GPO Magazine : Mais en dehors de l’entreprise, comment vous ressourcez-vous ?
M. H. : J’aime voyager : cela permet d’élargir l’horizon, d’où mon parcours atypique, d’aller à la rencontre d’autres cultures ou croyances.

GPO Magazine : Peut-on encore être optimiste aujourd’hui et pensez-vous que la nouvelle ère soit riche de promesses ?
M. H. : Je suis résolument optimiste : j’ai foi en l’avenir mais je sais que la bataille est loin d’être gagnée. Il faut réussir à transformer l’école, l’État et l’entreprise. Une nouvelle ère concertative s’est ouverte depuis une vingtaine d’années et cette nouvelle ère est riche de mille promesses. À nous d’avancer en conjuguant nos forces, notre créativité et nos diversités.

Propos recueillis en entretien par Linda DUCRET

 

Le Groupe Hervé en quelques chiffres

Création : 1972
CA : 485 millions d'euros
Effectif : 2 800 personnes
25 Sociétés dans 3 pôles distincts
Implantations : France, Belgique, Suisse, Maroc

Lu 87542 fois Dernière modification le mardi, 13 octobre 2015 14:36
Linda Ducret

Linda Ducret a une double formation : littéraire (hypokhâgne, licence de philosophie) et juridique (maîtrise de droit des affaires, DESS de Contrats Internationaux). En 1987, elle devient avocate et crée son cabinet en 1990. Elle exerce pendant 15 ans dans différents domaines du droit (droit des affaires, droit pénal, droit de la famille…).

Depuis 2005, elle est journaliste avec comme terrains de prédilections : les dossiers stratégie du dirigeant, propriété intellectuelle, nouvelles technologies, Incentive...Mais également les visions et les portraits d’entrepreneurs.

Écrire est l’une de ses passions. En 2009, elle publie un roman policier Taxi sous influence, finaliste du Prix du Premier roman en ligne.

Elle a publié un recueil de nouvelles : Le Ruban Noir ainsi qu’un polar : L’inconnue du Quai Henri IV.