Imprimer cette page
Les Beigbeder : l’audace en partage

Les Beigbeder : l’audace en partage

Évaluer cet élément
(12 Votes)

Frédéric Beigbeder a raconté dans « Un roman français » son histoire familiale. Son grand-père, Charles Beigbeder, n’a pas hésité à quitter son poste d’avoué pour créer une dizaine de sanatoriums dans le Béarn. Bien différent est le parcours de son père, Jean-Michel Beigbeder, qui après de hautes études va devenir pionnier des chasseurs de têtes, être distingué par Business Week, et figurer parmi les 50 chasseurs de têtes les plus influents dans le monde.

Charles et Frédéric ont-ils été « coachés » par leur père ? Rien n’est moins sûr. Charles s’est imposé tout seul dans le club très fermé des entrepreneurs français. Il créé des entreprises innovantes dans des secteurs où il existe un déficit d’offres (Self-Trade, Poweo, AgroGénération,…). En 2006, il lance Audacia, une société de gestion indépendante, laquelle a financé plus de 300 PME non cotées et en croissance.

Quant à Frédéric, c’est l’amour des mots qui va faire de lui un concepteur-rédacteur dans la publicité, un critique littéraire, et en même temps un écrivain à part entière (prix Interallié et Renaudot). Mais il est également « chef d’orchestre » lorsqu’il devient directeur du magazine Lui, dirige la maison d’édition Flammarion, ou encore des acteurs en passant derrière la caméra pour réaliser l’adaptation de ses romans.

Enfin, pour la première fois, les deux frères unissent leurs talents et lancent le 25 juin 2020, « Le Philtre », une vodka bio ultra premium, ouvrant ainsi la voie à l’hédonisme responsable.

Jean Michel BeigbederGPO Magazine : Messieurs, quels sont vos parcours respectifs ?

Jean-Michel BEIGBEDER : J’ai fait des études littéraires (hypokhâgne, khâgne) en vue de préparer Normale Sup. Je suis également titulaire d’une maîtrise de droit (1er prix du concours général de droit constitutionnel) et diplômé de Sciences Po. En 1961, je suis parti aux États-Unis et j’ai obtenu un MBA à Harvard Business School.
En 1964, je suis rentré chez Spencer Stuart (Cabinet de référence et leader mondial de la recherche en cadres dirigeants) et j’y suis resté 20 ans. Le marché français de chasse de têtes ne représentait que 5 % des implantations, j’ai donc créé des bureaux partout dans le monde, avec un modèle économique qui a généré des profits très importants.
En 1985 et jusqu’en 2014, j’ai monté ma propre société, Beigbeder Ceo Advisory, et j’ai conseillé des dirigeants désireux d’être accompagnés et conseillés sur leurs priorités humaines et organisationnelles.
En 2016, j’ai lancé Happy Job Consulting afin de répondre à un réel besoin des dirigeants qui ne trouvaient pas d’emploi pour diverses raisons. J’ai alors imaginé un processus inverse à la chasse de têtes afin de leur trouver un job (job hunting). Bien entendu, cela nécessite un accompagnement et un coaching de carrière qui vont permettre au dirigeant de s’épanouir.

Charles BEIGBEDER : Après le baccalauréat, j’ai pu intégrer l’École Centrale de Paris. Puis, j’ai été durant huit ans dans la Banque d’Affaires à Paris chez Paribas, au Crédit Suisse et MC-BBL Securities à Londres. Cependant, je voulais absolument créer mon entreprise. C’était le début de la bulle Internet et de la dérèglementation qui permettait d’être soi-même agent de change lorsque l’on n’est pas du sérail.
En 1997, j’ai donc créé d’abord Self-Trade (courtage boursier en ligne) et ensuite, grâce à la dérégulation du marché, Poweo en 2002 (premier fournisseur indépendant d’électricité et de gaz) et depuis 2006, Audacia, laquelle accompagne en fonds propres et en dette, des projets entrepreneuriaux. Mais la société structure des solutions d’investis sement innovantes (Coliving, Quantonation, premier fonds de capital-risque dédié aux technologies quantiques).

Frédéric BEIGBEDER : J’ai fait Sciences Po et le Celsa (DESS en marketing publicité). J’ai mené de front une carrière dans la pub et en même temps,  d’écrivain. Jusqu’au jour où la publication de 99 francs m’a obligé à faire des choix puisque j’ai été licencié. À partir de ce moment-là, il fallait vivre de ce métier parallèle. Et je suis devenu écrivain à temps plein.

GPO Magazine : De quoi êtes-vous le plus fier dans vos carrières respectives ?

Jean-Michel BEIGBEDER : D’avoir racheté Spencer Stuart à son fondateur, le groupe qui m’avait employé à la sortie de mon MBA d’Harvard.

Charles BEIGBEDER : Je suis particulièrement fier du fonds Quantonation, lancé fin décembre 2018, qui commence à faire parler de lui. Il s’agit-là de l’un des atouts de la France concernant les technologies quantiques. Quantonation en est l’un des moteurs, un acteur clé d’un écosystème naissant qui permet de dénicher et d’accompagner les pépites de ces technologies.

Frédéric BEIGBEDER : La démarche artistique. En effet, ce n’est pas si différent de créer un alcool et d’écrire un livre. Et je n’ai pas l’impression d’être totalement incompétent ou de découvrir un nouveau monde. Trouver un nom de marque est comme chercher un titre de livre, réfléchir à la forme de la bouteille ressemble à la quête de l’expression juste… la création est toujours de la création quel que soit le domaine.

GPO Magazine : Dans votre profession de recherche de talents et de Job Hunting, comment construisezvous une relation de confiance avec un dirigeant ?

Jean-Michel BEIGBEDER : L’humilité et l’écoute sont essentielles afin de construire cette relation de confiance avec un dirigeant. Il faut savoir être franc, lui dire la vérité, sans jamais le flatter. Il convient aussi d’être diplomate : le client n’a pas toujours raison mais il est roi. C’est un art de comportement et il n’y a pas de technique. Par ailleurs, la confidentialité est essentielle car tout ce qui se dit entre nous ne sort pas de mon cabinet.

Charles BeigbederGPO Magazine : Comment intervenez-vous auprès des Start-up dans votre activité de capital-risqueur ?

Charles BEIGBEDER : Mon rôle va bien au-delà du financier s’agissant de petites entreprises qui viennent d’être créées et il faut tout faire (recruter, trouver des bureaux et des premiers clients, aller chercher des subventions à Bruxelles ou à la BPI, préparer la prochaine levée de fonds). Il s’agit d’une symbiose car l’on est spécialement investi. Après l’entreprise grandit, s’organise et va voler de ses propres ailes mais nous sommes toujours présents, y compris lors d’une éventuelle introduction en bourse.

GPO Magazine : Dans le domaine de la physique quantique, comment arrivez-vous à convaincre ?

Charles BEIGBEDER : Il y a 350 Start-up quantiques dans le monde et nous les avons toutes vues. En fait, elles sont toutes venues à nous car nous sommes le seul fonds de cette catégorie. Il convient ensuite de convaincre les investisseurs de nous confier des capitaux et cela prend du temps. Il faut rencontrer les fonds de pension, les caisses de retraite, les family offices. Il est nécessaire aussi de créer un cercle d’amis du fonds qui voit les développements, prend confiance et investit.
Nous devons progres sivement vérifier, qui, dans notre équipe de trois associés gérants (dont l’un est docteur en physique quantique), va émettre un avis sur cette science. En outre, nous avons la possibilité d’interroger un réseau d’experts mondiaux à ce sujet. À un moment, on juge que cette Start-up est intéressante et que l’on peut investir. Je fais aussi de la vulgarisation afin de décoder un tant soit peu la physique quantique.

GPO Magazine : Êtes-vous des « Serial entrepreneurs » ?

Jean-Michel BEIGBEDER : Je suis resté dans le même domaine durant toute ma carrière, j’ai créé des entreprises mais je ne suis pas ce que l’on appelle un « serial entrepreneur ». Bien sûr, j’ai une mentalité d’entrepreneur car j’ai créé des bureaux en grand nombre. En fait, j’ai trouvé une bonne idée : « la chasse de têtes » que j’ai développée pendant 40 ans. C’est un marché qui était en croissance exponentielle. D’ailleurs, j’ai été au début le seul sur le marché français.

Charles BEIGBEDER : J’ai créé plusieurs entreprises et en ce sens, je suis un « serial entrepreneur ». On pourrait dire aussi un « parallèle entrepreneur » car je gère plusieurs sociétés en même temps. C’est plutôt amusant mais il faut trouver les bonnes personnes. Il est impossible d’être PDG à 100 % de plusieurs boîtes en parallèle. Si on a besoin de lever des capitaux, il faut que dans l’équipe le porteur ou la porteuse de projet apparent ait moins de 50 ans. À défaut, les investisseurs ne vont pas vouloir investir. Au fond, cela n’est pas si mal car cela permet une diversification des âges.

GPO Magazine : Et vous Frédéric, plutôt un entrepreneur « hédoniste » ?

Frédéric BEIGBEDER : Je n’ai pas vraiment créé d’entreprise à part la dernière sur la vodka. En revanche, je suis hédoniste. On peut me mettre cette étiquette-là sans problème. Je n’ai jamais voulu choisir un métier plutôt qu’un autre et je me suis retrouvé à faire beaucoup de métiers qui passent par les mots (journaliste, animateur, réalisateur de films…).Le côté chef d’orchestre me plaît bien (manager des équipes, fixer un cap…). J’ai été directeur du magazine Lui et on doit, à cet effet, organiser les rubriques, faire des comités de rédaction. Pour Flammarion, il y a aussi des réunions notamment marketing, même si c’est un peu plus solitaire.
La publicité m’a beaucoup servi, car j’ai dû réfléchir sur le lancement de produits, avec toutes les contraintes et la communication que cela implique. Du coup, je n’étais pas perdu avec le lancement du « Philtre ».

GPO Magazine : « Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie » disait Goethe. Faut-il prendre des risques en créant une entreprise ? Lesquels ?

Jean-Michel BEIGBEDER : À un moment donné, il faut se lancer, créer son entreprise. Et ce n’est plus aussi grave qu’auparavant d’échouer. Il faut parler de ses échecs. Il n’y a pas besoin de le cacher sur un Curriculum Vitae. Le vrai risque serait de ne pas prendre de risques.

Charles BEIGBEDER : Il y a une force créative lorsque d’une idée de départ (en supposant qu’elle soit bonne), vous la faites passer à l’état de projet, puis de business plan et elle devient enfin réalité. On se met autour d’une table, on y travaille et des gens vont pouvoir acheter des biens ou des services qui découlent de cette idée. C’est absolument fascinant. Bien sûr, il y aura peutêtre un échec à la clé mais il faut oser. Car on apprend de ses échecs et ils peuvent aider à se reconstruire.

Frédéric BEIGBEDER : Je rebondirai avec une autre phrase de Cocteau : « Ce que l’on te reproche, cultive-le. C’est toi ». Tout ce que l’on a fait avec cette vodka c’est de désobéir aux règles de la communication et du marketing, du marché et de la beauté normée avec ce flacon cabossé.

GPO Magazine : Quel est le fil conducteur de tous vos projets ?

Jean-Michel BEIGBEDER : L’expérience m’a montré que c’est la vérité qui s’impose dans les rapports professionnels. J’ai toujours cherché à nouer une relation de confiance avec mon interlocuteur (dirigeant, haut cadre…). Et la vérité dans la façon de porter un regard franc sur leur parcours m’a toujours guidé.

Charles BEIGBEDER : L’autodérision, l’humour et l’audace. Oser faire des choses que les autres ne font pas. En interne, il faut s’assurer que chacun respecte l’autre. Bannir à tout prix les comportements de petits chefs. Il y a un premier de cordée mais ce qu’il ordonne, il doit le faire lui-même.

Frédéric BEIGBEDER : Je dirai Liberté, Innovation et Beauté. On ne se prend pas au sérieux avec Le Philtre mais nous tenions à préserver l’environnement, à avoir un produit de qualité et qui va dans le sens de l’hédonisme écologique. On est arrivé à un tournant et beaucoup d’entrepreneurs se disent qu’il faut changer leur façon de produire.

GPO Magazine : Comment avez-vous eu l’idée de créer une vodka ? Quelles sont ses caractéristiques ?

Frederic BeigbederFrédéric BEIGBEDER : Un soir d’été 2018, assis sur la plage de Guéthary, avec Charles et Guillaume Rappeneau (mon ami d’enfance), nous avons fait le constat que consommation rimait avec destruction. Nous avons eu alors l’idée de créer une vodka qui ne détruirait pas la planète. Le Philtre était né. Il s’agit d’une vodka Française (distillée et embouteillée dans la région de Cognac). Elle est bio (élaborée à partir de blé issu de l’agriculture biologique), écoresponsable (ne nuit pas à l’environnement avec son flacon réalisé à partir de déchets de verre récupérés puis recyclés) et innovante à plus d’un titre (aucun additif chimique et aucun sucre ajouté).

GPO Magazine : La communication pour votre vodka est volontairement décalée, comment les entreprises doivent-elles communiquer aujourd’hui ?

Frédéric BEIGBEDER : Il y a encore trop d’entreprises qui sont coincées dans une démarche de communication où la créativité fait défaut. Fort heureusement, des marques osent franchir le pas avec audace en innovant, en prenant des risques. On s’est très vite dit qu’il ne fallait pas se prendre au sérieux. Le produit, c’est une vodka avec tout ce que cela implique (univers de la « night », mais également convivialité autour d’un apéro). On a donc choisi un petit film qui reflète bien notre univers.

GPO Magazine : Quels sont vos rêves d’entrepreneur ?

Charles BEIGBEDER : Le New Space serait l’un de mes rêves mais j’ai déjà fort à faire avec la physique quantique. Le monde d’en bas est très subtil et recèle une énorme richesse informationnelle. C’est la citation de Shakespeare dans la Tempête : « Nous sommes faits de l’étoffe de nos rêves… ».

Jean-Michel BEIGBEDER : Mon rêve, c’est que tu me fasses comprendre un jour ce qu’est la physique quantique.

Frédéric BEIGBEDER : Mon rêve serait que notre vodka touche des consommateurs qui ont les mêmes préoccupations que nous concernant la qualité d’un produit, le bio et le respect de l’environnement.

GPO Magazine : Comment vous ressourcez-vous ?

Jean-Michel BEIGBEDER : Je lis beaucoup, j’essaye d’écouter les bonnes sources. Car très vite, on peut être dépassé. Il y a des changements perpétuels et il faut se mettre à jour. Cela est vrai dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la banque d’affaires, du droit, de la finance…

Charles BEIGBEDER : Je marche beaucoup en montagne et j’écoute des podcasts ou de la musique. Cela m’aide à trouver de bonnes idées.

Frédéric BEIGBEDER : J’ai un métier solitaire, celui d’écrivain. J’avoue que je suis content d’avoir quitté Paris et de vivre avec ma famille à Guéthary, au bord de l’océan Atlantique. Je me ressource en lisant un ou deux livres par semaine (pour le feuilleton du Figaro Magazine). C’est une ouverture sur la vie et le monde. Et c’est une fête !

Lu 14574 fois Dernière modification le jeudi, 15 avril 2021 08:22
Linda Ducret

Linda Ducret a une double formation : littéraire (hypokhâgne, licence de philosophie) et juridique (maîtrise de droit des affaires, DESS de Contrats Internationaux). En 1987, elle devient avocate et crée son cabinet en 1990. Elle exerce pendant 15 ans dans différents domaines du droit (droit des affaires, droit pénal, droit de la famille…).

Depuis 2005, elle est journaliste avec comme terrains de prédilections : les dossiers stratégie du dirigeant, propriété intellectuelle, nouvelles technologies, Incentive...Mais également les visions et les portraits d’entrepreneurs.

Écrire est l’une de ses passions. En 2009, elle publie un roman policier Taxi sous influence, finaliste du Prix du Premier roman en ligne.

Elle a publié un recueil de nouvelles : Le Ruban Noir ainsi qu’un polar : L’inconnue du Quai Henri IV.