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Julien Tuffery, PDG de l’Atelier Tuffery : La passion du jean, une passion familiale

Julien Tuffery, PDG de l’Atelier Tuffery : La passion du jean, une passion familiale

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Créée il y a plus de 125 ans, l’Atelier Tuffery est une entreprise familiale installée dans le village de Florac, dans les Cévennes. Il s’agit de la plus ancienne manufacture de jeans qui a vu quatre générations d’entrepreneurs se succéder. Depuis toujours, Julien Tuffery se passionne pour ce savoir-faire enseigné par son père et ses oncles.

Et en 2014, il reprend l’entreprise familiale, avec son épouse Myriam, qu’il modernise tout en perpétuant l’héritage de cette maison. Par ailleurs, la gamme de jeans se diversifie tout en conservant une production locale confectionnée dans le respect des traditions textiles et en se souciant des contraintes environnementales.Atelier Tuffery

Enfin, tout récemment, l’Atelier Tuffery s’est inscrit dans la lutte contre le coronavirus en créant des masques avec ses tissus. 85000 masques ont ainsi été produits, d’abord avec ses tissus de fond de poche, et ensuite, étant donné l’afflux des demandes, grâce à ses partenaires. Merci au « made in France » pour cette belle initiative solidaire.

GPO Magazine : L’Atelier Tuffery est né en 1892. Comment cette entreprise familiale s’est-elle développée au fil des années ?

Julien Tuffery : Notre entreprise de jeans a plus d’un siècle d’existence et 4 générations s’y sont succédées. En 1892, Célestin Tuffery, mon arrière-grand-père, alors tout juste âgé de 17 ans, commence à confectionner des vêtements de travail teint à l’indigo (les bleus de travail). II est l’inventeur de ce pantalon en toile de Nîmes. Il y a eu ensuite mon grand-père Jean-Alphonse, qui reprend la manufacture à l’après-guerre. C’est l’apparition de la mode des jeans denim Tuffery, tel qu’on les connaît. L’atelier passe de génération en génération. Dans les années d’après-guerre, Alphonse reprend le flambeau et le jean passe du work-wear à l’article de mode. C’est la belle époque du textile à la française et le début du prêt-à-porter.

Dans les années 60, l’influence américaine se fait sentir avec son vent de liberté, d’audace et d’émancipation particulièrement pour les femmes. Cette période correspond à l’apogée de l’Atelier Tuffery, qui fabrique 500 jeans par jour. Les années 80 ont été une période plus difficile pour la 3ème génération qui est celle de mon père et de mes oncles. En effet, la mondialisation et la délocalisation des entreprises marquent le déclin de l’Industrie textile en France. Et l’atelier Tuffery n’y échappe pas. Notre entreprise était clairement amenée à disparaître mais nous n’avons jamais arrêté notre production.

Avec mon épouse, Myriam, nous commençons alors une carrière professionnelle dans un tout autre milieu (nous sommes, tous les deux ingénieurs, dans l’Industrie). On a tenté de nous racheter, mais nous avons voulu reprendre le flambeau, certainement par passion et pour perpétuer notre histoire familiale.

GPO Magazine : Justement, vous êtes, avec votre épouse Myriam, la 4ème génération d’entrepreneur et votre entreprise ne s’est jamais aussi bien portée. À quoi attribuez-vous cette réussite ?

Julien Tuffery : Nous sommes tous les 2 ingénieurs de formation et nous nous sommes formés dans les grands groupes. Nous avons repris la manufacture Tuffery car cela correspondait à des valeurs qui sont les nôtres.

D’une part, nous avons eu à cœur de poursuivre l’aventure familiale tout en conservant le savoir-faire historique de l’atelier, notre équipe et notre cadre de travail à Florac. Et d’autre part, nous avons voulu développer notre entreprise en la modernisant, en utilisant les outils d’aujourd’hui, tels que le digital et la communication. Bien entendu, notre entreprise s’inscrit aussi dans la temporalité du « made in France » et dans le respect de l’environnement.

La réussite de notre modèle économique est de mixer notre pratique ancestrale avec toutes les technologies récentes permettant de transmettre et traiter les informations.

GPO Magazine : Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui voudrait créer son entreprise ?

Julien Tuffery : Il m’arrive souvent d’intervenir dans des écoles de commerce. Et j’ai pu constater que certains jeunes avaient une approche trop opportuniste. L’immédiateté est leur crédo. Il faudrait juste leur enlever de la tête ce désir obsessionnel de devenir riche et célèbre rapidement en créant une entreprise ! Le temps long est une vertu. Ils doivent comprendre que l’on est dans le monde d’après, dans lequel il faudra relever de nouveaux défis (plus d’agilité, plus de respect de l’environnement…).

Il y a des entreprises fantastiques, dans nos territoires en France, avec un patrimoine vivant qui ne demandent qu’à être dépoussiérées par des jeunes justement. Les Start-up de demain devront saisir ces opportunités. Elles pourraient en sortir gagnantes.

GPO Magazine : Vous faites partie de ces Français solidaires. Pour quelles raisons, avoir pendant le confinement transformé votre entreprise de jeans en entreprise de fabrique de masques ?

Julien Tuffery : Ce choix est venu sur un énorme coup de tête et par pur bon sens. On a voulu répondre favorablement à la demande de la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher qui a appelé « l’ensemble des unités qui le pouvaient à fabriquer des masques ». En outre, on avait envie d’être utile à notre niveau et accomplir un geste citoyen avec nos compétences.

Nous avons voulu faire cela avec un maximum de professionnalisme afin de garantir une haute protection. Afin de fabriquer ces masques, nous avons d’abord utilisé la toile en polyester et coton des fonds de poche de nos jeans. On a pu ainsi en produire des milliers grâce à nos machines et cela a pris une ampleur hallucinante. Nous avons alors demandé à des partenaires de nous adresser une toile plus adaptée pour les masques.

Finalement, nous avons ressenti la nécessité de nous engager par une action concrète pour laquelle notre marque est légitime : fabriquer des masques afin d’aider nos concitoyens.

GPO Magazine : Quels sont vos objectifs dans les prochaines années en France et à l’international ?

Julien Tuffery : Sur le plan du développement territorial de notre entreprise, nous allons continuer à renforcer nos équipes tout en sachant qu’il faut 14 mois de formation pour intégrer un tailleur-confectionneur. En outre, nous réfléchissons sans cesse à la meilleure manière de fabriquer et nous favorisons la polyvalence des postes.

Notre stratégie est également celle d’une diversification de notre gamme de produits car nous produisons des jeans mais également des vestes, des chemises... Nous cherchons à renforcer nos partenariats avec d’autres ateliers en France. Nous ne recherchons pas à tout prix le profit et nous ne voulons pas d’une croissance accélérée mais plutôt, une croissance « low profile ». Nous avons un plafond de développement car nous souhaitons conserver nos valeurs ancestrales et la qualité de nos produits.

Le développement international se fait naturellement car nous sommes de plus en plus sollicités par des pays, notamment le Japon.

Lu 9371 fois Dernière modification le mardi, 15 septembre 2020 15:40
Linda Ducret

Linda Ducret a une double formation : littéraire (hypokhâgne, licence de philosophie) et juridique (maîtrise de droit des affaires, DESS de Contrats Internationaux). En 1987, elle devient avocate et crée son cabinet en 1990. Elle exerce pendant 15 ans dans différents domaines du droit (droit des affaires, droit pénal, droit de la famille…).

Depuis 2005, elle est journaliste avec comme terrains de prédilections : les dossiers stratégie du dirigeant, propriété intellectuelle, nouvelles technologies, Incentive...Mais également les visions et les portraits d’entrepreneurs.

Écrire est l’une de ses passions. En 2009, elle publie un roman policier Taxi sous influence, finaliste du Prix du Premier roman en ligne.

Elle a publié un recueil de nouvelles : Le Ruban Noir ainsi qu’un polar : L’inconnue du Quai Henri IV.