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Le voyage d’affaires face aux défis des bouleversements sociétaux

Le voyage d’affaires face aux défis des bouleversements sociétaux

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L’arrivée sur le marché du travail des jeunes générations, conjuguée au développement du digital et des préoccupations environnementales, n’est pas sans conséquence sur la gestion des déplacements professionnels. Face à ces défis, les entreprises n’ont d’autre choix que de repenser et d’adapter leur politique voyages pour, in fine, remplir leurs objectifs de maîtrise des coûts, tout en respectant les enjeux sécuritaires et environnementaux d’aujourd’hui.

Les bouleversements sociétaux sont intemporels et souvent induits par les renouvellements générationnels. Ces derniers introduisent toujours des changements, notamment en termes de comportements d’achats, y compris dans le voyage d’affaires. Selon une étude GBTA/Cvent publiée en septembre 2019, un acheteur de voyages sur quatre affirme que plus de 40 % de ses voyageurs d'affaires font partie de la génération des Millennials. Plus de la moitié des acheteurs (54 %) affirment que les Millennials ont tendance à repousser les limites de la politique voyages et les trois quarts (73 %) affirment qu’ils exigent des outils différents, plus proches du consommateur et du programme de voyages de leur entreprise.

« La nouvelle génération de voyageurs pousse ainsi les entreprises à revoir la cartographie de leurs prestataires de voyages et à l’élargir à de nouveaux partenaires, tels que les acteurs issus de l’économie collaborative, souligne Sébastien Delannoy, directeur Business Development SAP Concur. Cette démarche est importante à mener afin notamment d’améliorer la marque employeur de l’entreprise. En effet, face au raz-de-marée actuel des Start-up qui emploient de nombreux jeunes, les entreprises peinent parfois à recruter ou à fidéliser ces profils. Le recours aux nouveaux outils liés à l’organisation des déplacements professionnels peut donc contribuer à leur attractivité. Mais au-delà de cette attraction, elle participe surtout à une meilleure adhésion des collaborateurs à la politique voyages de l’entreprise ».

Le voyage d’affaires face au défi du digital

Le développement des nouveaux outils digitaux, et en particulier ceux liés à la mobilité des collaborateurs, pose en effet le problème de la traçabilité et de la Valerie Maindronmaîtrise des dépenses liées aux déplacements professionnels. « Le développement des nouveaux outils digitaux va de pair avec l’évolution des comportements d’achats des collaborateurs en entreprise, précise pour sa part Valérie Maindron, Product Manager Notilus Travel chez Dimo Software. En effet, ils privilégient souvent les offres qui récompensent leur fidélité. Ils préfèrent également se tourner vers des sites de réservation dont l’ergonomie est plus conviviale ou qu’ils ont l’habitude d’utiliser à titre personnel, se détournant ainsi des canaux de réservation préconisés par leur entreprise. Le risque, pour l’entreprise, est alors de perdre les données voyages. Or, ces données sont indispensables au pilotage et à la maîtrise des coûts inhérents aux déplacements professionnels ».

Face à cet enjeu, les entreprises n’ont d’autre choix que d’intégrer dans leur politique voyages les prestataires que plébiscitent leurs collaborateurs. Les professionnels du voyage et en particulier les fournisseurs de plateformes de réservation ont d’ailleurs, à ce sujet, un rôle prépondérant à jouer. Ils s’attachent de plus en plus à développer des systèmes d’information « communicants », capables de s’interfacer avec différents acteurs du marché. « Afin d’aider les entreprises à mieux capter l’ensemble des données voyages, nous signons des partenariats avec, par exemple, les plateformes d’hébergements comme CDS mais également des solutions en ligne de réservation des transports comme le portail SNCF, que nous intégrons dans Notilus, notre outil de réservation des voyages d’affaires », explique Valérie Maindron. La captation des données peut également être optimisée par le recours à une carte logée ou à une carte virtuelle. « Les données cartes sont alors injectées automatiquement dans notre outil de gestion des notes de frais, précise Valérie Maindron. Le collaborateur sera ainsi plus enclin à effectuer ses réservations sur les outils proposant un paiement par carte logée ou carte virtuelle, plutôt que de faire lui-même les avances de frais. Une manière comme une autre de l’inciter à réserver sur les canaux préconisés par l’entreprise qui, pour sa part, gagnera ainsi en visibilité sur ses coûts voyages ».

Éparpillement de la donnée : quels enjeux sécuritaires ?

Cette récupération des données est d’autant plus importante qu’elle n’a pas pour seul et unique corolaire la maîtrise des coûts voyages. Elle est également indispensable à la traçabilité des collaborateurs en déplacement non à des fins de « surveillance », mais plutôt en cas d’incidents, quels qu’ils soient : climatiques, sanitaires, terroristes, etc. 

L’enjeu est d’autant plus important pour l’entreprise qu’elle est légalement et pénalement responsable de ses voyageurs. Les entreprises ont en effet une responsabilité légale en matière de santé et sécurité au travail (article Clement TetuL.4121-1 du Code du travail). Depuis les jurisprudences de « Jolo » en 2006 et de « Karachi » en 2004, l’employeur a également l’obligation d’informer ses collaborateurs sur les risques encourus lors de déplacements (agression, enlèvement, attentats, etc.) et de mettre en oeuvre des mesures pour en assurer la protection. Une obligation dont les conséquences, notamment financières, peuvent être lourdes. « Au-delà de ces obligations légales, nous constatons que les entreprises sont de plus en plus sensibles à ces risques, notamment depuis les attentats de 2015 en France », précise Clément Têtu, Development Manager du cabinet de conseil en sûreté et en gestion de crise Iremos

Par ailleurs, l’absence de politique sécuritaire peut également avoir des conséquences sur l’image et la réputation de l’entreprise. D’où la nécessité, pour les entreprises, de mettre en place des démarches de prévention et d’analyse des risques, puis de formation et de sensibilisation des collaborateurs et, enfin, d’assistance et d’assurance. « L’entreprise doit en effet être en mesure d’évaluer les risques (criminels, terroristes, sanitaires, naturels, sociopolitiques) liés au pays de destination, indique pour sa part Juliette Descamps, consultante chez Iremos. Elle a l’obligation d’informer ses collaborateurs sur les risques qu’ils encourent lors d’un déplacement (jurisprudence Jolo) et, dans la mesure du possible, les former à prévenir et à réagir face à ces mêmes risques. En fonction de la situation sécuritaire du pays, elle se doit de mettre en place des procédures d’accompagnement pour assurer la protection de ses collaborateurs en déplacement ». 

L’hyperconnectivité favorise le risque cyber

Au-delà des risques liés à la sécurité des voyageurs, leur hyperconnectivité soulève également l’épineux problème de la protection des données de l’entreprise. D’autant que plus des deux tiers des incidents « cybers » proviennent d’un collaborateur actif au sein des effectifs (Deloitte, 2018). L’humain reste ainsi le plus important vecteur de risque de ces intrusions, qu’il soit malintentionné ou pas. « Le risque est d’autant plus important que les cybermenaces tendent actuellement à se développer et que les possibilités d’accès aux systèmes d’information de l’entreprise sont aujourd’hui multiples, notamment en raison des pratiques des voyageurs d’affaires qui peuvent se connecter de n’importe où (halls de gare, Lounges d’aéroport, chambres d’hôtel), poursuit Clément Têtu. Autant de pratiques qui, si elles ne sont pas réalisées de manière sécurisée, augmentent les risques d’intrusions non autorisées ».

Ainsi, dès lors qu’il est en déplacement professionnel, un collaborateur peut perdre, oublier ou se faire voler son ordinateur portable, son smartphone ou sa tablette. Les intrusions dans les systèmes d’information ou des vols ciblés portant sur des données stratégiques, de recherche et développement ou des secrets d’affaires peuvent également être lourds de conséquences pour les entreprises (pertes de contrats, diminution de marges brutes, licenciements…). « Pour éviter ces écueils, il convient d’y sensibiliser le collaborateur et d’adopter quelques bonnes pratiques, indique pour sa part Flore Picard, consultante chez IremosLes collaborateurs étant particulièrement vulnérables à l’espionnage industriel lors de leurs déplacements, il est recommandé notamment de se déplacer avec des ordinateurs vierges, d’enregistrer les données sensibles ou stratégiques pour l’entreprise sur des supports chiffrés, de ne pas se connecter aux WiFi publics et de s’abstenir d’évoquer des dossiers sensibles dans les espaces publics fréquentés ».

La protection de l’environnement, un nouveau défi à relever

Les bouleversements sociétaux ne concernent pas uniquement le recours massif au digital par les jeunes générations. Ils intègrent également l’appétence croissante de chacun pour l’environnement. Selon une étude YouGove de juillet 2019 sur « les transports et l’écologie » , 70 % des Français se déclarent prêts à changer leurs habitudes pour réduire l’impact écologique de leurs déplacements. « Les entreprises tendent à s’emparer de cet enjeu car leurs collaborateurs y sont de plus en plus sensibles, souligne Sébastien Delannoy. Cette démarche répond également à leur volonté de « verdir » l’image de leur entreprise et de développer ainsi la captation de nouveaux talents sensibles au sujet de l’environnement ». Une réflexion que les entreprises mènent également sous l’impulsion de la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM). Dans le cadre de cette démarche, elles mettent en œuvre différentes actions. « Elles suivent notamment de plus en plus l’évolution des émissions de CO2 liés aux déplacements de leurs collaborateurs », précise Romain Dremaux, consultant voyage d’affaires chez Euklead.

Quelques prestataires du voyage ont d'ailleurs développé des outils à cet effet. C’est notamment le cas de SAP Concur qui propose aux entreprises des rapports sur l’impact environnemental des déplacements de leurs collaborateurs. « Nous consolidons à cet effet les données anonymisées fournies par les prestataires du voyage de nos clients avec celles de cabinets spécialisés sur l’analyse des impacts environnementaux, poursuit Sébastien Delannoy. Sur la base de ces éléments, nous pouvons établir des analyses sur chaque type de déplacement de l’entreprise et les taux moyens d’émission de CO2 qui y sont associés ». Un certain nombre de prestataires s’attachent également à afficher l’emprunte carbone de chaque déplacement. C’est notamment le cas de Rydoo dans sa solution de gestion des réservations et des notes de frais, mais aussi sur le site OUI.sncf ou encore, depuis septembre dernier, sur le site Mappy. L’assistant de mobilité a en effet intégré dans son comparateur de déplacements une nouvelle fonctionnalité de calcul de l’empreinte carbone. Elle indique une estimation de la quantité de CO2 émise pour chaque trajet. Les utilisateurs peuvent ainsi choisir leurs parcours et modes de transports en fonction de leur pertinence et de leur impact environnemental. « Pour inciter leurs voyageurs à choisir le mode de déplacement le plus vertueux, certaines entreprises vont même jusqu’à développer la gamification et à les incentiver », ajoute Romain Dremaux.

Au-delà de ce suivi et des incitations, les entreprises commencent également à repenser les modes de déplacement de leurs collaborateurs et à leur proposer des solutions alternatives limitant l’emprunte carbone. « Aujourd’hui, en Île-de-France, nous constatons ainsi que les demandes pour des modes de transports alternatifs tels que les parcs de vélos ou les pools de véhicules électriques se multiplient, ajoute Sébastien Delannoy. D’autres privilégient de plus en plus la visioconférence, en particulier pour les réunions internes ».

Romain Dremaux« C’est ainsi que le secteur du Business Travel s’ouvre de plus en plus à de nouveaux acteurs de la mobilité, en particulier aux loueurs longue durée de véhicules ou aux prestataires du covoiturage ou de l’autopartage, conclut Romain Dremaux. Nous pouvons ainsi supposer que le sens de l’histoire et les contraintes gouvernementales vont inciter à la mise en place de solutions convergentes ». Des solutions qui permettront aux entreprises d’aller encore plus loin dans leurs démarches RSE.

Lu 2971 fois Dernière modification le mercredi, 02 septembre 2020 14:58
Anne Del Pozo

Elle collabore depuis près de 20 ans à différents magazines en qualité de journaliste.

Elle y traite de sujets articulés essentiellement autour de la finance, des flottes automobiles, du voyage et du tourisme d'affaires ou encore des ressources humaines. Anne del Pozo participe également à la rédaction de nombreux témoignages clients et de newsletters d'entreprise.