Dans le Rapport Gallois, les thèmes de la compétitivité française et du rôle de l’industrie dans l’économie sont omniprésents dans les débats publics ou pas. Ambitieux, systémique, le rapport s’articule autour de quatre thèmes majeurs ; l’ambition industrielle, la solidarité du tissu industriel, la politique industrielle française et européenne, et le pacte social. Ce rapport a également un mérite rare ; celui de coller à la réalité vécue au sein des entreprises. Habitude française, le rapport utilise fréquemment la comparaison avec l’Allemagne.

La plupart des managers et entrepreneurs qui ont travaillé en Allemagne et en France décrivent l’environnement allemand de la manière suivante :
* Des patrons visionnaires passionnés par l’industrie et qui restent en poste longtemps
* Des comportements des grands groupes et des banques envers les PME en général très différents de ceux rencontrés en France
* Un sens aigu de l’écosystème d’affaire et une certaine solidarité entre ses membres
* Un sens du consensus traversant toute la société
Tels sont précisément les grandes composantes du rapport Gallois.

Redonner le goût pour la technologie
L’avance technologique a toujours été l’une des caractéristiques essentielles des sociétés avancées. On ne peut contester qu’une civilisation forte soit une civilisation en avance du point de vue technologique. Le rapport Gallois mentionne ce fait mais en le cantonnant au domaine économique ; « Les pays les plus industrialisés sont ceux qui résistent le mieux à la crise ». En France malheureusement, le manque d’intérêt pour la technique est l’attitude dominante. Les élites qui s’autoproclament « humanistes » ont depuis longtemps oublié que les esprits universels sont également curieux de science et de technique.

Changer le comportement des grands groupes et du système bancaire et financier
Il est largement admis que les problèmes de trésorerie et les difficultés de financement sont les principaux freins à la croissance des PME ainsi que leur première cause de mortalité. A la source du problème on retrouve les délais de paiement des grandes entreprises – appelés pudiquement crédit inter-entreprises – et le rôle des banques qui – de façon très schématique – préfèrent prêter aux riches.
Quelques initiatives ont été prises par de grands groupes publics et privés pour améliorer les comportements d’achat mais il reste beaucoup à faire. La 17ème proposition du rapport
Gallois propose un processus de contrôle des pratiques de paiement par les Commissaires aux Comptes et des sanctions en cas de manquement aux règles. On a envie d’ajouter que les bonnes pratiques de paiement devraient être la base de la Responsabilité Sociale des Entreprises.
Quant aux banques, la comparaison entre France et Allemagne est cruelle, ce pays disposant d’un réseau de banques, souvent régionales, dont le financement des PME est la première raison d’être. La 9ème proposition du rapport Gallois se contente de proposer un système d’actions sans droit de vote mais à la rémunération privilégiée. On envisage donc de mieux financer les PME et ETI mais en se rémunérant plus grassement. Est-ce vraiment très sain ?

Une Vision et de l’ambition pour monter en gamme
L’une des faiblesses les plus menaçantes des entreprises industrielles françaises est leur positionnement sur le milieu de gamme qui les expose à la concurrence sur les prix et au handicap d’un Euro fort.
Pour répondre à ce challenge et monter en gamme, le rapport Gallois met un fort accent sur la recherche et sur sa valorisation. C’est très bien mais ça n’est pas suffisant. Un meilleur financement et l’accès aux fruits de la recherche sont sans aucun doute des facteurs clés pour redonner de la compétitivité à nos entreprises, mais ces moyens ne sont utiles que s’ils trouvent un terreau favorable ; une véritable Vision et l’ambition de faire toujours mieux.
Lorsqu’on analyse en profondeur les raisons du succès de PME et ETI américaines ou allemandes opérant à l’international, on retrouve toujours une Vision forte, partagée avec les salariés et les clients. On retrouve également presque toujours une approche stratégique de l’Excellence Opérationnelle (ou Lean Management) qui focalise toute l’Entreprise sur l’écoute du client et sur l’optimisation continue des ressources et des processus. Correctement mise en œuvre, une telle approche permet de réduire le besoin en capital tout en accélérant la croissance profitable ; il s’agit donc d’un outil indispensable pour rester compétitif. Quoique courantes parmi les meilleures PME & ETI françaises, ce niveau d’ambition et cette combinaison de Vision et d’utilisation de l’Excellence Opérationnelle restent loin d’être la norme. Aujourd’hui, parler de Vision et d’Excellence Opérationnelle à des dirigeants français, c’est souvent s’exposer à un scepticisme poli. Pourtant, pour redevenir compétitive et le rester, nos entreprises industrielles ont besoin d’équipes dirigeantes visionnaires et qui, de plus, savent mettre l’Excellence Opérationnelle au cœur de leur stratégie et de leur culture, ce qui réclame un engagement fort de la part des dirigeants.

Reconnaître le rôle crucial des entrepreneurs
Ce n’est pas une surprise, le rapport Gallois n’hésite pas à affirmer que les entrepreneurs se sentent mal-aimés par la société et mal supportés par l’administration. Il est difficile de le contredire. A nouveau, la comparaison avec nos voisins européens (Allemagne, Italie, Grande-Bretagne) est cruelle. A quel point les salariés d’entreprises de toutes tailles, les managers de grandes entreprises, les fonctionnaires sont-ils prêts à se remettre en question pour mieux apporter leur support aux entrepreneurs ? L’ensemble des Français est-il prêts à reconnaitre l’importance de ceux qui créent des emplois ?

L’importance des écosystèmes
Comme évoqué au début de cet article, une différence fondamentale entre France et Allemagne est la puissance de la notion d’écosystème dans ce pays. Quelle que soit leur taille, les entreprises qui opèrent dans un même secteur perçoivent leur intérêt commun et collaborent pour les défendre.

Très souvent il n’en va pas de même en France ce que le rapport Gallois exprime sans détour : « Toutes les entreprises qui fournissent des groupes français et des groupes américains ou allemands disent constater la différence ».
Il y a bien sûr en France des contre-exemples, par exemple avec des groupements d’entreprises dans le secteur du matériel ferroviaire où notre pays reste très fort. Néanmoins, l’amélioration de la compétitivité passe également par une généralisation de cette approche d’écosystème à un plus grand nombre de secteurs et de filières. Pour cela, il faut un meilleur sens de la collaboration de la part de tous les acteurs, moins de suffisance de la part des grandes entreprises, plus de confiance en elles de la part des petites.

La nécessité absolue d’un changement culturel
Un proverbe anglo-saxon affirme que « la Culture dévore la Stratégie au petit-déjeuner ». En clair : de nombreuses initiatives stratégiques sont irrémédiablement vouées à l’échec si la culture de l’organisation ne change pas. Il en va de même avec l’amélioration de la compétitivité française.
Toutes les propositions du rapport Gallois, même les plus techniques, ne sont réalisables et ne seront efficaces que si les différents acteurs sont capables de modifier leurs points de vue et leurs comportements.
Le rapport parle de la création d’« un véritable patriotisme » d’adhésion du corps social et de persévérance pour conclure en affirmant que « C’est donc un pacte de confiance que le pays doit nouer avec lui-même ».
Passer de la défiance à la confiance, travailler ensemble, utiliser l’intelligence collective ; vaste défi pour la société française…Y répondre doit être l’œuvre de tous, pas celle d’un gouvernement. Les Français en ont-ils capables ?

Olivier Rivière
ATOEM Consulting