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Utilisateurs de bases de données : prudence !

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Note de la Rédaction : Dans un monde ouvert où tout le monde se sert de tout ce qui semble être en libre accès et disponible sur la toile, les éditeurs de bases de données doivent se protéger. Le cas décrit dans cette tribune qui condamne un utilisateur, pourtant sûr de son fait, est applicable dans de nombreux domaines. Éditeurs, verrouillez vos données au plan juridique. Utilisateurs, ne prenez pas vos désirs pour des réalités. 

La CJUE* a considéré valables les restrictions contractuelles imposées par la compagnie aérienne Ryanair qui interdisaient toute réutilisation à des fins commerciales de ses données de vol (données pourtant non couvertes par une protection légale), justifiant une condamnation des pratiques d’une société (PR Aviation) qui se servait de ces données dans le cadre de son activité commerciale.

1. Quels étaient les faits à l’origine de la décision ?
Ryanair exploite un site Web sur lequel sont disponibles ses données de vol. PR Aviation utilisait ces données pour alimenter son service commercial de comparaison et réservation, sans l’accord notifié de Ryanair.
Ayant saisi les juridictions hollandaises, Ryanair a d’abord invoqué son droit d’auteur ainsi que son droit de producteur de base de données (droit sui generis), sur le fondement de la Directive communautaire 96/9 (du 11 mars 1996 « concernant la protection juridique des bases de données »).


Ayant vu ses demandes intégralement rejetées en l’absence d’originalité et de preuve « d’investissements substantiels », dans la création de cette base de données, Ryanair a alors saisi la cour suprême des Pays-Bas en invoquant un manquement contractuel de PR Aviation. En effet, l’accès à son site était conditionné à l’acceptation de Conditions Générales d’Utilisation (CGU) contenant la clause suivante : « vous pouvez utiliser ce site Internet uniquement aux fins privées et non commerciales (…). L’utilisation (…) des données (…) à des fins commerciales (…) est interdite à moins que des tiers n’aient conclu directement avec Ryanair une convention de licence écrite ». PR Aviation n’avait conclu aucun accord avec Ryanair dont elle utilisait les données.


2. Le préjudice : la question posée à la CJUE et sa réponse  
Les restrictions contractuelles imposées par les CGU de Ryanair pouvant être considérées comme contraires à l’article 15 de la Directive 96/9 (lequel article prohibe les clauses visant à interdire à l’utilisateur légitime d’une base de données son « utilisation normale »), la Cour suprême des Pays-Bas a soumis à la CJUE, en substance, la question suivante :
- Le producteur d’une base de données non protégée (par le droit sui generis) est-il soumis aux règles issues de la Directive 96/9 interdisant certaines restrictions d’usage envers les utilisateurs légitimes ?

« Non » répond la CJUE, les dispositions de la Directive 96/9 « ne sont pas applicables à une base de données qui n’est protégée ni par le droit d’auteur, ni par le droit sui generis en vertu de ladite Directive, de sorte que celle-ci ne fait pas obstacle à l’adoption de clauses contractuelles ayant pour objet des conditions d’utilisation d’une telle base de données » (point 39).

3. Quels enseignements tirer de cette décision ?
À tous les utilisateurs de données, cette décision enseigne qu’il faut redoubler de vigilance en vérifiant que le cadre de leur utilisation ne contrevient à aucune restriction, non seulement légale, mais aussi et surtout contractuelle.
Aux producteurs de bases de données, cette décision rappelle que le contrat est un outil efficace pour rendre protégeables des biens immatériels qui ne bénéficient d’aucune protection légale. Lorsque cela sera possible, cette protection – qui reste relative, car opposable uniquement aux personnes ayant accepté le contrat, et peu efficace vis-à-vis des tiers – devra être utilement complétée par une protection légale (ici le droit sui generis) qui est opposable à tous.


Conclusion : Les producteurs de bases de données seraient donc toujours bien inspirés de se constituer systématiquement des dossiers d’investissements pour bénéficier également du droit sui generis.

* Cours de Justice de l’Union Européenne

 

Amira BOUNEDJOUM
Avocat, département propriété intellectuelle - Droit des technologies de l’information - KGA Avocats

Matthieu BOURGEOIS
Avocat associé, spécialiste en droit des nouvelles technologies, de l'informatique et de la communication - KGA Avocats

 

 

Note de la Rédaction : le présent article constitue une information. Il ne saurait en aucun cas s’assimiler ou se substituer à une consultation juridique en bonne et due forme.

 

 

Lu 5917 fois Dernière modification le mercredi, 21 octobre 2015 13:58
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