Imprimer cette page
Repas d'affaires : l'open bar ?

Repas d'affaires : l'open bar ?

Évaluer cet élément
(1 Vote)

« Dans une entreprise, la plupart des décisions sont prises pendant un déjeuner ou un dîner, pourtant il n’existe aucun module de MBA qui en traite », Peter F. Drucker.
Si les MBA ignorent l’importance des repas d’affaires, l’Administration française semble l’avoir bel et bien assimilée mais, fidèle à sa tradition, en ne manquant pas d’y apporter des limites.

Néanmoins, elle a dernièrement assoupli le traitement social des repas d’affaires, ainsi qu’il en ressort de la mise à jour du Bulletin Officielle de la Sécurité Sociale en date du 1er août 2021.

Ce qui ne change pas

Salariés membres de la sphère dirigeante, cadres commerciaux, chefs de projets, chargés de mission… sont amenés à rencontrer la clientèle, les décideurs publics, les fournisseurs et encore leurs propres collègues.

Le principe reste que les dépenses engagées par le salarié à l’occasion des repas d’affaires « et dûment justifiées » constituent des frais professionnels, qui peuvent être remboursés par l’employeur sans acquitter de contributions et cotisations sociales.

Le repas d’affaire n’est pas défini, en tant que tel. Il est juste précisé qu’il doit avoir un caractère exceptionnel, c’est-à-dire « irrégulier et limité ».

Pour illustration, la Cour de cassation a récemment considéré qu’un repas organisé par l’entreprise 3 fois par an avait bien ce caractère exceptionnel. (Cour de cassation - Deuxième chambre civile — 8 octobre 2020 - n° 19-16.898).

Rien n’impose, en outre, que le repas d’affaires, notion non définie, se déroule exclusivement avec des tiers à l’entreprise.

À cet égard, la Cour de cassation avait, dans la même décision, considéré comme repas d’affaires les cas suivants :

• rencontres auxquelles sont conviés les collaborateurs de la société,
• évènements organisés dans chaque magasin, par service, qu'ils consistent en des repas à l'extérieur dans un restaurant situé à proximité du magasin, ou une soirée bowling ou karting,
• budget de 30 euros par salarié pris en charge directement par la société, les éventuels excédents étant payés par les salariés,
• soirées ayant lieu en semaine et le soir, en dehors du temps de travail,
• seuls les salariés y sont conviés, jamais les conjoints
• participation des salariés non obligatoire

Repas daffaires

La Cour de Cassation a ainsi validé la position du Juge d’appel qui concluait que ces repas « sont manifestement un moment d'échanges permettant de renforcer la cohésion des collaborateurs au sein d'un même service et favorisant une réflexion sur leurs méthodes de travail et ce, même si aucun thème de discussion et de travail n'est préalablement déterminé, si aucun retour rapport n'est exigé à l'issue de ce repas, et si le fait de ne pas y participer n'est assorti d'aucune sanction ».

Nul besoin donc de restreindre la notion de repas d’affaires au schéma archétypal de la rencontre entreprise / client autour d’un repas du midi !

La limite posée est toujours « l’abus manifeste ».

Toutefois, cette notion était envisagée négativement et enfermée dans des repères stricts : l’ancienne doctrine prévoyait qu’il n’y avait pas d’abus manifeste « lorsque le salarié bénéficie d’un repas d’affaires par semaine ou cinq repas par mois ».

Au-delà de ce quota, le repas d’affaire remboursé par l’employeur était considéré comme avantage en nature.

Ce qui change

L’Administration assouplit aujourd’hui ce régime, bien consciente de l’inanité de ce repère « 1 repas / semaine, 5 repas / mois » pour le moins arbitraire.

Il est, en effet, pour le moins incongru, de considérer comme avantage en nature le 6ème repas d’affaire mensuel d’un Directeur commercial alors qu’un salarié sans fonction de prospection ou de représentation pourrait bénéficier d’un repas hebdomadaire sans que le contrôleur URSSAF y voie à redire.

L’Administration rénove donc sans se renier.

La référence aux repas hebdomadaires ou mensuels est conservée comme définissant une absence d’abus manifeste mais la nouveauté se niche dans le dépassement du quota. Désormais, l’abus manifeste ne sera plus automatique mais s’appréciera « en fonction des missions du salarié et de la part que peuvent représenter notamment la prospection ou la représentation, sur justificatifs ».

En d’autres termes, si un salarié est chargé de prospecter et/ ou de représenter son employeur, il est admis qu’il puisse bénéficier de repas d’affaires au-delà du quota.

Il s’agit manifestement d’une nouvelle souplesse qui appelle néanmoins à la prudence et à une minutieuse préparation.

Comment s’adapter

Les nouvelles dispositions intéressent donc les entreprises dont les salariés seront amenés à dépasser le quota « 1 repas / semaine, 5 repas / mois ».

La clé de voute de la nouvelle doctrine réside dans les missions du salarié et la part que peuvent représenter, notamment la prospection ou la représentation, dans ses missions.

Ainsi, il est recommandé de bien identifier les salariés ayant une fonction de prospection et de représentation, qu’elle soit accessoire ou centrale : conquérir des marchés, évaluer la concurrence, approcher ou développer la clientèle, représenter l’entreprise notamment dans l’élaboration ou le suivi d’un projet…

Il peut être nécessaire, à titre probatoire, de réviser les fiches de postes voire les intitulés de poste afin que ces missions soient plus apparentes.

Bien entendu, l’URSSAF s’attachera, en priorité, à la réalité des fonctions exercées : cette recherche passera par l’examen des tâches effectivement assurées par le salarié et tout élément de preuve, en ce sens, sera précieux.

Enfin, il semble important de conserver une trace de l’organisation de chaque repas, notamment par conservation des agendas et autres invitations : qui invite qui, à quel sujet ou dans quel cadre ?

Cette refonte des pratiques peut donner lieu à l’établissement d’une note de service détaillée et communiquée largement, rappelant les bonnes pratiques :

• Repas limités au quota si possible
• Invitations strictement réservées à des intervenants professionnels
• Veiller à ce que l’objet du repas soit conforme à l’intérêt de l’entreprise (entretenir des relations, obtenir des informations stratégiques, arbitrer des points de friction, suivre un projet)…
• Fixer au préalable du repas un « ordre du jour »
• Éventuellement process de validation préalable du repas par le N+1 ou la DRH

Dans tous les cas, et que le quota soit ou non dépassé, il reste impératif de collecter et conserver les pièces comptables relatives à ces repas, en premier chef l’addition devant, par son détail, faire apparaître le nombre de repas, les dates et heures.

Ces pièces devront être présentées au contrôleur URSSAF qui s’assurera que les conditions de la doctrine administrative sont remplies.

On peut donc légitimement douter que cet assouplissement simplifie les choses : attention à l’indigestion !

Par Régis Debroise, avocat en droit social et Caroline Hénot, avocat associé du bureau de Lille - cabinet Cornet Vincent Ségurel

Lu 11469 fois Dernière modification le mardi, 19 octobre 2021 14:25
La rédaction

Le service Rédaction a pour mission de sélectionner et de publier chaque jour des contenus pertinents pour nos lecteurs internautes à partir d’une veille approfondie des communiqués de presse pour alimenter les rubriques actualité économiques, actualités d’entreprises, études ou encore actualités sectorielles. Pour échanger avec notre service Rédaction web et nous faire part de vos actualités, contactez-nous sur redaction@gpomag.fr