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Méthodes managériales inacceptables et responsabilité des RRH

Méthodes managériales inacceptables et responsabilité des RRH

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Le métier de responsable des ressources humaines implique notamment d’être en charge de la direction de la stratégie de gestion du personnel, tout en ayant vocation à participer à l’amélioration des conditions de travail des salariés. En ce qu’il lui revient de veiller au climat social au sein de l’entreprise, le responsable des ressources humaines occupe un poste crucial engendrant ainsi de grandes responsabilités.

Par son arrêt du 8 mars 2017, (Cass. Soc., 8 mars 2017, n° 15-24.406) la Cour de cassation a pris acte de ce constat pour confirmer le bien-fondé du licenciement disciplinaire d’une responsable des ressources humaines, ayant fait preuve d’une inertie injustifiable face aux agissements de harcèlement moral commis par le directeur de l’établissement, dans lequel elle travaillait, sur ses subordonnés.

En l’espèce, le directeur d’un magasin dans le domaine de la grande distribution se livrait à des comportements inacceptables à l’égard de ses subordonnés hiérarchiques. Après la démission d’un salarié qui dénonçait la politique de harcèlement moral menée par ce directeur, une enquête interne avait été diligentée afin de recueillir les témoignages d’autres salariés. L’audition d’une trentaine de salariés avait révélé le véritable climat de terreur qui sévissait au sein du magasin. La société avait alors licencié le directeur pour faute grave, ainsi que le contrôleur de gestion du magasin et la responsable des ressources humaines pour cause réelle et sérieuse. Il était reproché à cette dernière d’avoir cautionné et participé aux méthodes managériales développées par le directeur du magasin, en ne mettant pas en place de mesures relevant de ses fonctions et nécessaires à la préservation de la santé de ses collaborateurs. Il était ainsi déploré par son employeur qu’elle ait participé à la mise à l’écart de certains salariés, en ayant en réalité nié ou minimisé les faits portés à sa connaissance par des salariés sollicitant son intervention, contrevenant en somme au bon fonctionnement de l’entreprise.

Rappelons que l’employeur est tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs (C. trav., art. L. 4121-1 et L. 4121-2). A ce titre, il doit prendre toutes les dispositions nécessaires afin de prévenir les faits de harcèlement moral (C. trav. art., L. 1152-4). Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible de sanctions disciplinaires (C. trav., art. L. 1152-5), mais il lui incombe par ailleurs de prendre soin, « en fonction de sa formation et selon ses possibilités », de sa propre santé et sécurité ainsi que de celles des autres salariés concernés par ses actes et omissions au travail (C. trav., art. L. 4122-1).

Estimant que l’employeur n’apportait pas la preuve des faits reprochés à la salariée, le conseil de prud’hommes de Castres avait dit son licenciement sans cause réelle et sérieuse. La société avait alors fait appel de cette décision. Pour sa défense, la salariée faisait valoir qu’elle était tenue d’obéir au directeur du magasin en ce qu’il était son supérieur hiérarchique direct, et que son parcours professionnel était irréprochable. Elle mettait de plus en doute les témoignages sur le harcèlement moral mis en exergue par l’enquête interne.

La cour d’appel de Toulouse infirme le jugement (CA, Toulouse, 26 juin 2015, n°12/06838), retenant que la salariée ne produisait pas d’éléments de preuve susceptibles de mettre en doute les témoignages recueillis. La cour soulève que la salariée n’a pas informé la direction des ressources humaines de la société des agissements dont elle avait connaissance, et a, par omission, failli à ses obligations contractuelles et mis en danger la santé physique et mentale des salariés. Elle s’est alors pourvue en cassation, mettant en avant le prétendu comportement fautif de l’employeur.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Observant une très étroite collaboration entre le directeur du magasin et la responsable des ressources humaines, la connaissance par cette dernière du comportement inacceptable de son supérieur, ainsi que son inaction pour mettre fin aux pratiques en question, la Cour juge son licenciement justifié. La salarié avait cautionné, mais de surcroit laissé perdurer les méthodes managériales inacceptables du directeur du magasin. 

En effet, la Haute juridiction retient que l’inertie de la responsable des ressources humaines s’analyse en un manquement à ses obligations contractuelles.

La Cour de cassation fait de la qualité de responsable des ressources humaines un poste à haute responsabilité en matière de harcèlement moral. Elle affirme ainsi qu’il revient au salarié occupant un tel poste de remplir une mission particulière en management, et qu’il relève de ses fonctions de veiller au climat social et à des conditions de travail optimales pour les collaborateurs dans l’entreprise.

Après avoir édicté cette règle générale, elle analyse les obligations contractuelles propres à la salariée en l’espèce, et relève que « la définition contractuelle de ses fonctions précisait qu’elle devait mettre en œuvre, dans le cadre de la politique RH France, les politiques humaines et sociales et que le responsable des ressources humaines est un expert en matière d’évaluation et de management des hommes et des équipes ».

La Cour de cassation en conclut que cela justifie son licenciement pour cause réelle et sérieuse, pour mise en danger de la santé physique et mentale des salariés.

La Cour écarte ainsi le moyen de la salariée tendant à s’exonérer de sa responsabilité en avançant que le directeur du magasin était son supérieur hiérarchique, et que la persistance des agissements résultait d’un manquement fautif de l’employeur qui n’avait mis en œuvre aucun moyen organisationnel lui permettant de dénoncer les agissements de son directeur. La responsable des ressources humaines aurait dû informer la direction nationale des ressources humaines des difficultés dont elle avait connaissance.

Indépendamment de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur, dont les juges du fond doivent vérifier qu’elle est remplie, les responsables des ressources humaines voient ainsi leur responsabilité engagée pour avoir maintenu des conditions anormales de travail de salariés en toute connaissance de cause, par leur inaction. Cette affaire met donc en lumière une responsabilité à trois échelles : le directeur du magasin, acteur direct du harcèlement moral dans cette affaire, la responsable des ressources humaines et le contrôleur de gestion responsables par leur omission alors même qu’ils étaient les subordonnés hiérarchiques du directeur, et enfin l’employeur, qui a à bon droit licencié ces personnes pour faire cesser les agissements et garantir la sécurité et la santé de ses salariés.

Par Sabine Saint-Sans, associée, et Camille Laforest, stagiaire, au sein du cabinet d’avocats Derriennic Associés



Lu 6122 fois Dernière modification le jeudi, 11 mai 2017 09:02
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