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Les pouvoirs oubliés du conciliateur, socle du renouveau des procédures de prévention des difficultés des entreprises

Actu Dirigeant Écrit par  vendredi, 08 février 2019 08:19 Taille de police Réduire la taille de la police Augmenter la taille de police
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La « conciliation », prévue par le livre VI du code de commerce, est une procédure de traitement des difficultés des entreprises dite préventive par laquelle, à la demande du débiteur, le Président du Tribunal de commerce désigne un conciliateur chargé d’assister le débiteur à négocier avec ses créanciers un accord permettant de résoudre ses difficultés. Elle est préventive car elle a vocation à s’appliquer alors que la situation n’est pas encore trop dégradée, et donc susceptible d’être réglée par la négociation.


Il n’est pas si évident de la distinguer du mandat ad hoc, autre procédure de traitement préventif des difficultés, tant les deux « procédures » partagent plus de points communs que de différences.

Différences également largement gommées par la pratique, puisqu’il est très fréquent de débuter des négociations dans le cadre d’un mandat ad hoc, qui pourra laisser place à une conciliation afin que l’accord trouvé puisse bénéficier des effets spécifiques à cette procédure. De la même façon, une conciliation peut parfois être poursuivie dans le cadre d’un mandat ad hoc.

La comparaison omet cependant généralement une différence importante entre les deux, qui tient aux pouvoirs du Président du Tribunal, et, par extension, du conciliateur.

L’article L. 611-6 al. 5 du Code de commerce réserve au Président du Tribunal, uniquement dans le cadre de la conciliation, un large pouvoir d’investigation sur la situation du débiteur. Il dispose ainsi d’un accès particulièrement large à l’information concernant le débiteur, ce qui est une spécificité propre à la conciliation qui n’existe pas en mandat ad hoc. De plus, le Président du Tribunal peut, dans le cadre de la conciliation, « charger un expert de son choix d'établir un rapport sur la situation économique, financière, sociale et patrimoniale du débiteur » et ce pendant toute la durée de la conciliation. Le Président du Tribunal doit transmettre au conciliateur les informations obtenues par l’usage de ses pouvoirs, ce qui permet de considérer les pouvoirs du Président comme étant, par extension, des pouvoirs du conciliateur. Ces pouvoirs, très larges et dérogatoires au droit commun, sont spécifiques à la conciliation mais rarement utilisés car la conciliation ne peut être ouverte qu’à l’initiative du débiteur, qui devrait donc structurellement se montrer coopératif.

Ces pouvoirs pourraient trouver une utilité renouvelée compte tenu de la proposition de directive européenne relative aux « cadres de restructurations préventifs, à la seconde chance, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficience des procédures de restructuration, d’insolvabilité et d’apurement et modifiant la directive 2012/30/UE », qui a notamment pour objectif de faire en sorte que « les entreprises viables en difficulté aient accès à des cadres de restructuration préventive efficaces au niveau national, qui leur permettent de poursuivre leurs activités ».

Elle prévoit à cette fin une nouvelle procédure de prévention, hybride entre les procédures préventives et collectives telles que les connait le droit français pour l’instant.

Le projet de directive innove de façon discrète mais fondamentale en rendant accessible ce cadre préventif à la demande des créanciers, « avec l’accord des débiteurs ».

Tout créancier pourrait donc engager devant un juge le débat avec le débiteur sur l’opportunité de l’ouverture d’une procédure préventive. Sans angélisme, permettre de forcer le débiteur à débattre devant un magistrat de sa situation et de ses conséquences pourrait limiter les cas trop fréquents de déni de réalité de la part des dirigeants.

Cette innovation nous conduit donc à imaginer une conciliation ouverte à l’initiative d’un ou plusieurs créanciers, à laquelle le débiteur consentirait « du bout des lèvres ». La coopération entre le débiteur et le conciliateur ne serait alors plus une caractéristique structurelle de cette procédure.

Les pouvoirs « oubliés » du conciliateur et du Président du Tribunal en matière d’investigation sur la situation du débiteur et de coercition si nécessaire, prendraient alors tout leur sens. Ils deviendraient l’outil central de succès d’une telle procédure de prévention.

Le droit français dispose d’ores et déjà d’un socle plus développé qu’il n’y parait afin de repenser la prévention des difficultés des entreprises pour développer des procédures au sens propre du terme, c’est-à-dire dans lesquelles le Tribunal et le praticien jouent un rôle actif tant de diagnostic que de recherches de solutions, et ce même si le débiteur ne se montre pas initialement coopératif.

Espérons que l’aboutissement de ces réflexions permettra aux praticiens de grande qualité désignés par les tribunaux de mettre leur talent au service d’un plus grand nombre d’entreprises, qui en ont grand besoin mais refusent souvent de l’admettre avant qu’il ne soit trop tard.

Par Sylvain Paillotin, associé au sein du cabinet d'avocats d'affaires Sekri Valentin Zerrouk en charge du restructuring


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