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Les enquêtes internes, un outil pour lutter contre le harcèlement en entreprise

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Au cours de leur vie professionnelle, 743 millions de personnes, soit plus d’un travailleur sur 5, ont subi au moins une forme de violence et de harcèlement selon les données recueillies en 2021 par l’Organisation Internationale du Travail1. Face à ce phénomène récurrent, il est apparu nécessaire de trouver et de déployer en France des dispositifs pour apporter des solutions concrètes à ces signalements.

De plus en plus utilisée, l’enquête interne se révèle un outil efficace, bien qu’encore parfois méconnu. Comment déclencher et mener une enquête interne ? Quel résultat peut-on attendre d’elle, notamment pour prévenir le risque judiciaire ? Comment constitue-t-elle un moyen de preuve dans le cadre d’un contentieux ?

Enquêtrice depuis une quinzaine d’années dans le cadre de sa profession d’avocat en droit du travail, Claire Le Touzé, Vice-Présidente d’AvoSial, décrypte les enjeux de ces outils et en quoi ils constituent un mode de preuve loyal.

Qu’est-ce qu’une enquête interne et pourquoi y avoir recours ?

Tenus d’une obligation de sécurité envers leurs salariés, les employeurs doivent prendre des mesures immédiates2 pour faire cesser tout agissement porté à leur connaissance pouvant s’inscrire dans un contexte de harcèlement moral, sexuel, et de façon plus générale, un comportement inapproprié à l’origine éventuelle de risques psycho-sociaux.

Depuis une quinzaine d’années, nous constatons en tant qu’avocats un recours croissant aux enquêtes internes, facilitées par la loi dite « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Venues des pays anglo-saxons et nées de la nécessité de faire évoluer les pratiques de DRH démunis face à des situations de conflits ou des remontées d’alertes, les enquêtes sont aujourd’hui un outil majeur aux mains des employeurs pour assurer la sécurité et la santé de leurs salariés.
Claire Le Touze

En cas de signalement, les entreprises sont fortement incitées à y recourir et peuvent, lorsqu’elles sont dotées d’un service RH et conformité, les mener en interne. Afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêts, il leur est toutefois conseillé de faire appel à des cabinets d’avocats spécialisés en droit du travail qui ont une pratique reconnue en matière d’enquête.

Ce recours à une tierce personne, indépendante et impartiale, permet de préserver la confidentialité, de libérer la parole sur des sujets souvent éminemment sensibles, et de garantir le principe du contradictoire. Dans le respect de la déontologie spécifique et du serment qui l’engage sur la dignité, la conscience, la probité, l’humanité et surtout l’indépendance avec lesquelles il exerce ses fonctions, l’avocat assure un traitement neutre de l’affaire. Ceux qui mènent l’enquête, ont pour objectif d’en constituer une preuve loyale pouvant justifier la prise de mesures de remédiation.

Les enquêtes internes sont véritablement et avant tout un outil qui permet à l’employeur de comprendre ce qui se passe dans son entreprise et de disposer d’une appréciation de l’aspect réel et sérieux des alertes remontées.

En tant qu’avocat enquêteur, comment menez-vous concrètement une enquête interne ?

Prenons le cas d’un employé qui se considère victime de harcèlement par l’un de ses collègues. L’employé peut procéder à un signalement via le canal interne mis en place par l’entreprise dans un tel cas, ou par un canal externe comme le Défenseur des Droits. Une fois l’alerte remontée à la direction, celle-ci doit mener une enquête afin que toute mesure prise à l’égard du salarié mis en cause soit fondée sur un maximum d’éléments pour faire émerger la vérité.

C’est alors que nous, avocats, intervenons toujours à deux afin d’assurer une double écoute, et entendons les salariés qui souhaitent s’exprimer sur le fait de harcèlement remonté. À l’issue de ce travail d’écoute attentive et d’enquête, nous rendons un rapport remis à la direction. Il permet à l’employeur de disposer d’un maximum d’informations liées à son entreprise et à ses salariés afin de l’aider dans sa décision d’une éventuelle sanction.

Si l’affaire de signalement est portée au contentieux, par exemple en cas de contestation de la sanction par le salarié concerné, le rapport de l’enquête interne, bien menée, peut constituer une preuve efficace justifiant que l’employeur a pris une mesure sur la base des faits rapportés.

Quelles sont les perspectives de développement ou les limites de l’enquête interne que vous percevez dans votre pratique quotidienne ?

Il est clair qu’en cas de harcèlement ou de discrimination par exemple, si les employeurs n’ont pas recours aux enquêtes internes, les affaires risquent de s’envenimer. En France, il s’agit d’un mode de preuve en droit du travail qui ne cesse de se développer comme en témoigne la jurisprudence, grâce à une meilleure information des employeurs sur les modalités d’utilisation de l’enquête.

Cependant, cet outil ne bénéficie pas encore de cadre législatif et les statistiques sur son utilisation en France sont rares voire inexistantes. C’est pourquoi notre expertise d’avocat est cruciale. Nous constatons depuis 10 ans en tant qu’avocats, de plus en plus de saisines pour des enquêtes internes. Mais de nombreuses PME n’ont pas encore mis en place de façon claire les canaux internes pour signaler des cas de harcèlement ou de discrimination.

D’autre part, il est important de souligner que les enquêtes ne sont absolument pas les enquêtes « à la solde de l’employeur ». Il ne s’agit pas d’une arme contre les salariés. Bien au contraire ! Menées par des personnes neutres et extérieures à l’entreprise, elles ont pour but d’apporter des clés de compréhension d’une situation afin d’assurer la protection et la sécurité des salariés dans l’entreprise.

Enfin, l’enquête interne est un instrument qui doit être parfaitement maîtrisé par les avocats pour les mener à bien et permettre aux dirigeants de faire la lumière sur le fonctionnement de leur entreprise et ainsi comprendre les enjeux humains. Cela reste un outil, il ne résout pas tout et ne remplace ni une enquête administrative ni une enquête pénale mais c’est un must have à maîtriser.

1 Enquête BIT-Fondation Lloyd’s Register-Gallup dévoilée en décembre 2022.
2 Cass. Soc., 1er janvier 2016, n°14-19-702

Lu 3297 fois Dernière modification le mardi, 10 janvier 2023 09:46
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