Quelles conséquences pour l’entreprise dont le prestataire emploie des étrangers non munis d’un titre de travail ?
La lutte contre le travail illégal, pour lequel le Ministre du travail Olivier Dussopt a annoncé un grand plan sur la période 2023 à 2027, est venu rappeler que les obligations de vigilance des entreprises sont particulièrement accrues.
S’il paraît naturel qu’une entreprise ait l’obligation de s’assurer de la légalité des conditions de travail de ses collaborateurs, les dispositions de l’article L.8251-2 du Code du travail prévoient que cette obligation s’étend aux services fournis par d’autres employeurs auxquels une entreprise pourrait avoir recours : « Nul ne peut, directement ou indirectement, recourir sciemment aux services d’un employeur d’un étranger sans titre ».
L’entreprise à qui est confiée une mission et qui engagerait un prestataire ou un sous-traitant a l’obligation de vérifier que ces derniers sont en règles avec leurs propres collaborateurs. Il convient toutefois d’appréhender, pour en comprendre la portée, les termes de ces dispositions puisqu’elles font mention de l’adverbe « sciemment » comme condition constitutive du délit concerné.
Dans son rapport du 16 septembre 2010 sur le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, le député-rapporteur Thierry Mariani déclarait : « Par souci de rendre plus cohérent le champ de l’incrimination de l’emploi d’étranger sans titre, la Gouvernement a choisi de saisir l’opportunité de la transposition de la directive du 18 juin 2009 pour compléter et expliciter le droit interne en vigueur. Le nouvel article L. 8251-2 qu’il est question d’insérer dans le code du travail (I)permettra en effet d’imputer l’infraction d’emploi d’étranger sans titre aux personnes physiques ou morales qui recourent sciemment – cette précision ayant son importance car elle exclut de fait les employeurs de bonne foi du champ d’application du dispositif –, directement ou indirectement, aux services d’un employeur d’un étranger sans titre. Il en résultera ainsi une plus grande responsabilisation des grandes entreprises à l’égard du comportement de leurs sous-traitants en la matière ».
Plus tôt, le 14 septembre 2010, le député Christian Hutin avait considéré qu’« Il convient déposer dans la loi une interdiction claire. L’adverbe « sciemment » ne signifie pas grand- chose. Autant le supprimer ».
Pour le rapporteur du projet de loi, ainsi qu’il en ressort du compte rendu n°79 de la Commission des affaires sociales du 14 septembre 2010, cette suppression n’était pas opportune, car : « Dans le code du travail, figure déjà, à l’article L. 8251-1, une prohibition ‘‘objective’’ indépendamment de la conscience qu’en a ou non l’employeur, de l’emploi d’étrangers sans titre de travail. Et l’article L.8254-1 pose également l’obligation de vérifier, lors de la passation d’un contrat de sous-traitance, que le sous-traitant direct respecte les règles. Le projet de loi vise, quant à lui, toute la chaîne de sous-traitance. L’entrepreneur principal ne peut alors être considéré comme co-responsable que s’il était au courant de la situation ».
Cette motivation a dominé l’ensemble des débats puisque ce terme, malgré quelques contestations et désaccords, a finalement été voté et adopté par le Parlement. Le Conseil constitutionnel n’a pas eu à s’exprimer sur ce point. La question prioritaire de constitutionnalité déposée, et que la Cour de cassation a refusé de transmettre, portait en effet sur le point de savoir si les articles L. 8251-1 et L. 8251-2 du Code du travail engendrait une discrimination sur le marché du travail.
Ainsi, les dispositions de l’article L.8251-2 du Code du travail peuvent-elles conduire une personne à être poursuivie du fait des agissements commis par une autre personne ? Nous ne le pensons pas : l’adverbe « sciemment » vise précisément à empêcher une telle confusion car il disculpe l’entreprise principale des embauches frauduleuses effectuées par celle à laquelle il a eu recours si preuve de sa conscience et de sa connaissance de ces agissements n’est pas rapportée.
On peut songer ici aux dispositions de l’article 121-3 du Code pénal, aux termes desquelles « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » et qui trouvent application en matière de droit pénal du travail. Or, si les dispositions de l’article L.8251-2 du Code du travail font mention de l’adverbe « sciemment », c’est pour soutenir que la jurisprudence habituelle en matière d’intention ne saurait leur être applicable : l’élément intentionnel du délit ne saurait être tiré de la seule omission d’une formalité ou d’une obligation légale liée à l’embauche d’un salarié.
L’adverse emporte donc avec lui l’exonération de responsabilité des personnes de bonne foi. Il traduit un élément intentionnel plus fort car les dispositions de l’article L. 8251-2 visent à engager la responsabilité pénale d’une personne pour des actes commis par une autre personne.
Mais les dispositions de l’article L. 8251-2 posent nécessairement la question de l’indépendance effective, dans l’exercice de l’activité professionnelle, de l’employeur d’étrangers non-munis de titre de travail à l’égard de l’entreprise qui a eu recours à ses services.
Cette situation s’applique notamment en matière de sous-traitance où l’accusation se doit de démontrer que l’entreprise principale donneuse d’ordre a eu recours à une entreprise sous- traitante, mais dont elle contrôlait l’activité au point que celle-ci n’a pu accomplir sa mission avec l’indépendance que lui accorde el contrat de sous-traitance. Sur ce point, la Cour de cassation a considéré (Cass. crim. 10 mai 2016, n°15-82.050) : « qu’il y a sous-traitance lorsqu’une entreprise demande à une société tierce de lui fournir un service dont la main d’ouvre est l’accessoire ; que le personnel qui travaille sur le site pour le compte de l’entreprise sous-traitante n’est ni détaché dans l’entreprise principale ni prêté à celle-ci ; que dans ce cas, il y a nécessairement absence de contrôle du donneur d’ordres sur les conditions d’exécution de la prestation et sur les moyens mis en oeuvre par prestataire, le contrôle ne portant que sur le résultat ; (…)».
L’adverbe « sciemment » recouvre donc deux réalités : soit que l’entreprise donneuse d’ordre contrôlait l’activité de son sous-traitant, auquel cas elle ne pouvait ignorer que le sous-traitant engageait des étrangers non-munis de titre ; soit que l’entreprise donneuse d’ordre a eu recours à un sous-traitant dont elle connaissait à l’avance les pratiques illégales en matière d’embauche de salariés non munis de titre, auquel cas elle ne pouvait non plus ignorer que le sous-traitant engageait des étrangers non-munis de titre.
Plus encore, cet adverbe fait obligation à l’accusation de faire la démonstration d’un recours conscient par une autre société à une autre société aux pratiques d’embauches illégales.
Aucune incertitude ne saurait être admise et, si une incertitude devait subsister, elle entrainerait la relaxe des personnes poursuivies de ce chef.
Par Sahand SABER – Avocat au Barreau de Paris, HIRO Avocats