Transparence salariale dans les entreprises d’ici juin 2026 : à l’aube d’une évolution du marché du travail
La fin des inégalités salariales serait-elle pour 2026 ? La directive européenne 2023/970 du 10 mai 2023 a en tout cas été créée dans cet esprit, et les pays membres de l’Union européenne ont jusqu’à juin 2026 pour modifier leur législation afin de se mettre en conformité avec cette loi et imposer un niveau de transparence salariale aux entreprises. Sur le papier, finie l’incertitude concernant sa propre rémunération : les salaires médians pour chaque type de poste seront publiés par les entreprises.
A presque un an de cette échéance, quelles sont les habitudes et les attentes des salariés en recherche d’emploi (appelés simplement « les salariés » par la suite) et des recruteurs français en matière de transparence salariale ? Indeed et PageGroup révèlent aujourd’hui les résultats de leur récente étude conjointe (menée avec OpinionWay) à ce sujet.
Parler de rémunération reste assez tabou dans notre société, ce qui favorise les inégalités
Parler de son salaire se fait essentiellement dans la sphère privée : c’est avec leur conjoint et leur famille que les salariés interrogés abordent ce sujet en priorité. Mais si 83% déclarent qu’il leur arrive de l’évoquer avec leur conjoint(e), ils ne sont plus que 69% à en parler en toute transparence (en révélant par exemple le montant de leur rémunération).
31% – pas loin d’un tiers – n’abordent donc pas totalement ce sujet au sein de leur couple. L’étude révèle qu’à l’inverse, 38% des salariés parlent en toute transparence de leur salaire à leur manager (hors demande d’augmentation), et que 23% abordent même la question ouvertement avec les personnes qu’ils managent, ne craignant donc pas particulièrement de créer des jalousies.
Car c’est aussi de cela dont il s’agit : parler de sa rémunération, c’est aussi prendre le risque de conséquences négatives potentielles – la crainte la plus répandue (pour 59% des salariés interrogés) étant de découvrir qu’ils sont moins bien payés que leurs collègues à des postes équivalents.
Parmi les collaborateurs ayant déjà parlé de salaire avec leurs collègues, 38% l’ont regretté (cela représente 51% chez les moins de 35 ans). 15% estiment que cela a créé des tensions dans leur équipe. Les sondés de moins de 35 ans et ceux qui gagnent moins de 2000 euros par mois indiquent (bien plus que les autres personnes interrogées) que parler de leur rémunération avec leurs collègues leur a fait perdre confiance en eux. On note quand même qu’une large majorité (60%) des employés qui ont parlé de salaire avec leurs collègues ne l’ont jamais regretté.
Les jeunes abordent plus ouvertement leur salaire que les autres tranches d’âge
83% des recruteurs constatent une parole plus libérée chez les salariés les plus jeunes, et 74% considèrent d’ailleurs qu’il est plus facile d’aborder ce sujet quand on est au début de sa carrière, peut-être parce que les salaires sont moindres à ce moment, et moins hétéroclites qu’en fin de carrière.
Mais attention, parler ouvertement de son salaire peut déranger les autres : 50% des salariés interrogés considèrent que les jeunes en parlent trop, y compris les jeunes eux-mêmes (45% des moins de 35 ans) !
Parler de salaire avec ses collègues en rejoignant une nouvelle entreprise, une bonne idée ?
61% des salariés de moins de 35 ans disent qu’ils seraient prêts à demander à leurs nouveaux collègues qu’ils leurs disent combien ils gagnent, contre 48% de l’ensemble du panel de salariés (non recruteurs) interrogés. Pourtant, 65% de ces jeunes auraient peur de se rendre compte à cette occasion qu’ils sont moins payés que leurs collègues. 44% des salariés (et 49% chez les moins de 35 ans) estiment qu’ils seraient gênés, à l’inverse, de gagner davantage que leurs collègues.
Les salariés sont donc tiraillés entre leur envie d’en parler aux autres pour se comparer et « mettre les choses à plat », et la crainte de créer un malaise parmi les équipes. 31% des salariés interrogés disent d’ailleurs craindre la réaction de leurs collègues quand les salaires médians dans leur entreprise seront révélés.
« Le rapport à la transparence salariale est complexe : les salariés la souhaitent en grande partie pour être sûrs de ne pas être (ou se sentir) lésés vis-à-vis de leurs collègues, tout en craignant les conséquences de telles révélations sur la cohésion des équipes. Mais ne pas en parler ou disposer d’informations transparentes à ce sujet, c’est « jouer à l’aveugle » pour négocier son salaire, et ce flou ne profite clairement pas à tout le monde. La transparence salariale est donc un instrument clé de lutte contre les inégalités au travail », analyse Eric Gras, expert du marché de l’emploi chez Indeed.
La transparence des salaires comme remède aux inégalités de traitement et à des niveaux très variables de confiance en soi
L’étude révèle aussi qu’1 salarié sur 6 ne sait pas du tout où il se situe en matière de rémunération par rapport à la moyenne (à poste comparable) dans son entreprise (17%). Les femmes (22%) et les personnes touchant les plus faibles revenus (19%) sont sur-représentées parmi ces salariés totalement « dans le flou » concernant leur rémunération.
Parmi les 83% de salariés qui pensent, eux, savoir où ils se situent par rapport à la moyenne dans leur entreprise, 32% estiment qu’ils sont moins bien payés que la moyenne. 12% s’estiment à l’inverse mieux payés que la moyenne dans leur entreprise.
La directive européenne devrait mettre fin à ces estimations « au doigt mouillé », pour plus d’égalité entre les salariés qui occupent des postes comparables. Cela redonnera un caractère objectif à la rémunération : certaines personnes s’estimant sous-payées réaliseront peut-être que ce n’est pas le cas.
L’injustice salariale (réelle ou perçue) est très mal vécue par les salariés et donne envie de démissionner
54% des salariés ont déjà eu envie de démissionner parce que, par rapport à leurs collègues occupant un poste similaire, à expérience et compétences égales, ils avaient un salaire plus faible.
Ce chiffre atteint 59% chez les moins de 35 ans. Une plus faible proportion (18%, ce qui n’est pas négligeable du tout) sont allés au bout de cette envie et ont quitté leur entreprise pour cette raison.
A noter d’ailleurs : les personnes appartenant à des catégories socio-professionnelles (CSP) populaires ont davantage eu envie de démissionner en raison d’une injustice salariale (56% versus 51%), mais les « CSP+ » sont ceux qui sont le plus passés à l’action quand ils ont ressenti ou constaté une inégalité salariale (19% versus 16%), peut-être en raison d’une confiance accrue dans leur capacité à trouver un emploi mieux rémunéré.
69% des salariés (80% des moins de 35 ans) pensent que l’obligation de transparence salariale dans les entreprises va libérer la parole et offrir des conditions permettant d’aborder ce sujet bien plus facilement. 29% des recruteurs sont néanmoins inquiets de la réaction des salariés quand ils connaîtront le salaire médian dans leur entreprise pour leur type de poste ; même si la grande majorité des recruteurs n’exprime pas d’inquiétude à ce sujet.
« La transparence salariale ne se limite pas à une obligation légale, c’est un véritable levier de transformation culturelle au sein des entreprises. Attendue par les salariés, elle impose aux ressources humaines une préparation approfondie, une révision éventuelle des grilles de rémunération et une communication adaptée. Plus qu’un simple ajustement réglementaire, cela va induire une politique de conduite du changement plus ou moins importante selon les structures », explique Stéphanie Lecerf, Managing Director, Global Employee Relations chez PageGroup.
Transparence salariale lors du recrutement : un échange simplifié entre recruteur et candidat
Selon les résultats de l’étude, les salariés en recherche d’emploi espèrent augmenter leur salaire d’en moyenne 16,9% en changeant d’entreprise. Pour ne pas perdre de temps et d’énergie (ni en faire perdre aux recruteurs) en postulant inutilement à des emplois incompatibles avec cette envie, ils ont besoin de transparence salariale dans les offres d’emploi.
Or, aujourd’hui 29% des recruteurs déclarent ne mentionner que rarement ou jamais le salaire prévu pour un poste dans l’offre d’emploi qui s’y rapporte, alors que 89% des recruteurs trouvent que la transparence salariale dès le début du processus de recrutement est un atout.
Les raisons principalement invoquées par les recruteurs qui ne divulguent pas d’information liée à la rémunération dans les offres d’emploi sont :
- la volonté de garder une marge de manoeuvre selon le profil et l’expérience des candidats (40%)
- le fait que les salaires proposés par leur entreprise ne sont pas suffisamment compétitifs (23%)
- la peur de dissuader les candidatures de profils qui attendent une meilleure rémunération que celle publiée (20%).
La rémunération n’est pourtant pas le seul argument ou atout pour recruter
Si le salaire reste un point essentiel du processus de recrutement, les autres types d’avantages (primes, assurances santé, congés supplémentaires, chèques vacances…) ne sont pas négligeables : 82% des recruteurs les considèrent comme un atout pour recruter.
Et si 90% déclarent bien connaître ceux proposés par leur entreprise, 82% aimeraient tout de même bénéficier d’une formation afin de mieux s’en servir comme argument lors d’un entretien d’embauche. Côté télétravail, le proposer dès les premiers échanges est pour 80% des recruteurs un véritable atout.
La transparence salariale va modifier les habitudes des recruteurs
L’étude révèle que les recruteurs ont encore très largement l’habitude de demander aux candidats quelle est leur rémunération actuelle pour adapter directement leur offre. 68% des recruteurs le demandent : 45% souvent, et 23% systématiquement.
La transparence salariale va induire des changements importants dans les usages courants que l’on peut observer lors des processus de recrutement, notamment dans la façon d’appréhender la négociation salariale, aussi bien chez les candidats que les recruteurs.
Méthodologie
Cette étude a été réalisée par OpinionWay pour Indeed et PageGroup du 6 au 14 janvier 2025, en interrogeant deux échantillons de population :
– 527 salariés « recruteurs » – salariés qui encadrent au moins une personne et participent au processus de recrutement dans leur entreprise ;
– et 526 salariés « job-seekers » – salariés en emploi et qui recherchent activement ou passivement un nouvel emploi.
Les deux échantillons ont été constitués selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de secteur d’activité et de taille d’entreprise. OpinionWay a réalisé cette enquête en appliquant les procédures et règles de la norme ISO 20252.