Thierry Courtaigne, Medef International – Routard et ambassadeur des entreprises de France
Les décideurs que je rencontre dans le cadre de notre série « Vision d’entrepreneur » ont tous ceci d’étonnant : ils nous réservent toujours des surprises. Thierry Courtaigne, vice-président et directeur général de Medef International, ne fait pas exception à la règle. Il se livre et nous livre ici un éclairage décalé sur les atouts de la France et de ses entreprises, sur le terrain de l’activité internationale. Pourquoi et comment cet homme, à la tête d’une organisation plutôt discrète, fait-il partie de ceux qui, dans l’ombre, contribuent à faire gagner et avancer la France partout dans le monde ? Tentons de comprendre.
Entretien avec Thierry Courtaigne, Vice-Président de Medef International
GPO Magazine : Quels sont, d’après vous, les paramètres de la réussite à l’international ?
Thierry Courtaigne : Compétences, volonté, parler l’anglais… qualité de produits ou de services inscrits dans un concept original, équipe et financements, audace et méthode. C’est banal et en somme assez simple, non ! (sourire, NDLR)
GPO Magazine : Là, il faut nous en dire un peu plus…
T. C. : De deux choses l’une. Soit le chef d’entreprise se cantonne à son marché France, et un jour c’est l’international qui viendra à lui : ce sera par exemple un concurrent étranger qui s’installera en France en lui prenant des parts de marché et, son activité plafonnant, il deviendra vulnérable. Soit le dirigeant affirme sa volonté de regarder le monde tel qu’il est, et il adopte alors une démarche de conquête du champ international. Réussir à l’international requiert les mêmes qualités fondamentales que pour réussir en France. Comment avoir en France durablement du succès sans compétences professionnelles, sans bons produits, sans concepts, sans équipe, sans des finances saines et adaptées ?
GPO Magazine : L’export exige pourtant des qualités spécifiques…
T. C. : Oui, bien sûr, mais l’exportation n’est absolument pas la seule composante d’une activité internationale. Être présent à l’international c’est aussi l’importation, les investissements à l’étranger, les accords de sous-traitance, les voyages d’études, les rencontres bilatérales, le tourisme… etc. Les Allemands, que l’on cite souvent, importent beaucoup de pièces détachées des pays d’Europe de l’Est et les intègrent en Allemagne pour ensuite réexporter des produits finis compétitifs. Le sourcing, le savoir acheter, sont des composantes importantes de l’entreprise qui gagne à l’international. Il faut aussi tordre le cou à une autre idée : réussir à l’international n’est pas une question de taille d’entreprise mais strictement de compétences, de volonté et de moyens.
GPO Magazine : N’arrivons-nous pas là aux qualités spécifiques nécessaires à l’idée même d’une activité internationale ?
T. C. : L’international suppose d’être vigilant sur trois points. D’abord en avoir les moyens. Si par exemple l’entreprise rencontre des difficultés en France, l’international et l’export ne sont certainement pas une solution de sauvetage et ce, pour une raison simple : il faut du temps et de l’argent. Ensuite, il faut constituer une équipe dédiée compétente, parlant l’anglais ! La disponibilité de cette équipe doit être pleine et entière ; l’international, c’est le monde qui vit 24 h/24. Si le chef d’entreprise est le moteur de l’international, il ne peut être présent partout et bon dans tous les registres. Être à la fois gestionnaire, manager, financier, spécialiste export, voyageur de commerce en prospection permanente… je n’y crois pas. Le chef d’entreprise est le chef d’une équipe qu’il anime. Enfin, il faut un esprit d’ouverture. L’international impose d’avoir une vision du monde, je dirais même « des » mondes, en perpétuelle effervescence. Il faut aimer la diversité, être ouvert, s’adapter, inspirer confiance. Comment investir un marché ou une zone du monde sans avoir étudié sa culture, ses pratiques, ses habitudes… et rencontré ses grands acteurs économiques ? C’est d’ailleurs l’une des grandes missions de Medef International.
GPO Magazine : Précisément, qu’est-ce que Medef International ?
T. C. : Comme vous le savez, le Medef est l’organisation qui représente les entreprises de France. C’est un syndicat patronal qui se place dans le débat économique, politique et social. En 1989, François Périgot, alors à la tête du CNPF – devenu Medef – a souhaité créer un outil pour l’international qui s’inscrive bien dans la stratégie de l’organisation. L’idée étant qu’il fallait aider les entreprises françaises à aller plus vite et mieux à l’international que leurs concurrents, en s’appuyant sur le réseau du CNPF en France et à l’étranger. Avec le secrétaire général de l’époque, Denis Zervudacki, François-Xavier Ortoli et moi-même, nous avons créé CNPF International.
Aujourd’hui, Medef International est présidé par Jean Burelle, par ailleurs président d’honneur de Plastic Omnium. C’est une structure autonome, qui parle au nom du Medef et des entreprises, mais uniquement au plan bilatéral et de façon concrète et très opérationnelle. Le « multilatéral » et la politique du commerce extérieur de la France sont gérés par la Direction internationale du Medef, sous l’autorité de Frédéric Sanchez, président du Groupe Fives.
GPO Magazine : Medef International est donc indépendant financièrement ?
T. C. : Absolument ! Medef International est autofinancé à 100 % par ses 450 adhérents et par l’ensemble des prestations qu’il facture à ses 4 000 clients. Ces prestations consistent notamment dans l’organisation de rencontres bilatérales, en France ou à l’étranger, entre les chefs d’entreprises françaises et les décideurs publics ou privés du monde entier.
GPO Magazine : Quelles sont exactement les missions de Medef International ?
T. C. : Nous avons quatre missions majeures.
• Mettre en relation des dirigeants français, petits ou grands, avec les décideurs publics ou privés du monde ; tous ceux qui sont au cœur de l’activité économique.
• Réunir entre dirigeants français les volontés, grouper et informer tous les dirigeants d’entreprises qui souhaitent se positionner sur l’international. En cela nous appliquons notre adage, « quand une entreprise est seule elle va vite, quand elle est réunie et groupée avec d’autres, elle va loin ». De cette façon, nous mutualisons nos expériences, bonnes et mauvaises. Nous échangeons les bonnes pratiques.
• Favoriser les relations des entrepreneurs avec les institutions financières internationales. Savez-vous que chaque année, les bailleurs de fonds internationaux et régionaux financent environ 300 milliards de dollars de projets réalisés par des entreprises, qu’il s’agisse de petits ou de grands marchés ? La mission de Medef International est d’optimiser les échanges sur ce point avec des institutions telles que la Banque Asiatique de Développement, la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, la Banque Européenne pour la Reconstruction Durable (BERD)… etc.
• Agir sur les contentieux collectifs. Sur ce point, nous avons parfois affaire à des pays qui appliquent mal les conventions fiscales bilatérales ; c’est par exemple le cas avec les pays fédéraux qui ont signé des accords nationaux mais dont chaque État méconnaît les règles. Nous intervenons toujours dans le souci de défendre les intérêts des entreprises françaises.
J’ajouterai une 5e mission : appliquer un principe d’ouverture d’esprit à toute idée ou projet lié à l’international.
GPO Magazine : Mais encore ?
T. C. : La France et ses entrepreneurs doivent avoir le souci de très bien connaître ceux avec lesquels ils veulent installer des relations économiques et commerciales durables. Prenons l’exemple des pays du continent africain que Medef International a historiquement toujours aimé et considéré comme une zone stratégique promise à un grand avenir. Après y avoir été très présentes, les entreprises françaises ont négligé l’Afrique. C’est une grave erreur. Nombre de pays de ce continent sont en train de gagner la bataille du développement ; non seulement il ne faut pas en partir mais il faut conforter notre présence ou y aller d’urgence. Dans cette perspective nous avons créé cette année « Rethink Africa »*, une cellule de réflexion et d’analyse des pays et peuples du continent, portant sur leurs visions, leurs attentes, leurs modes de travail, leurs évolutions sociétales, leurs entreprises… mais aussi leurs cultures.
GPO Magazine : Vous semblez très attaché aux valeurs culturelles et humanistes…
T. C. : Assurément ! Qu’est-ce qu’un commerce et des échanges pérennes s’ils ne sont pas installés sur des relations humaines fondées sur la confiance et le respect de l’autre, sur les connaissances mutuelles des us et coutumes, des cultures, des habitudes de vie, et même de l’art… etc ? Comment ce commerce et ces échanges pourraient-ils être « gagnant-gagnant » si ces conditions humanistes ne sont pas réunies ? Elles sont le prérequis à toute démarche internationale.
GPO Magazine : Voilà qui est intéressant ! Aujourd’hui, quelle est l’image de la France et des entreprises françaises à l’étranger ?
T. C. : Vaste sujet ! Au nom de Medef International, je rencontre chaque année des centaines de grands dirigeants et de grands décideurs étrangers du monde entier. Alors qu’ils nous attendent les bras ouverts, tous sont stupéfaits de constater notre manque de confiance en nous et nos propres doutes ! Ils s’étonnent, le mot est faible, d’entendre parfois nos discours. Ils n’attendent qu’une chose : que nous allions vers eux car ils aiment la France et les Français. Ils ont de « l’appétit » pour la France.
GPO Magazine : Les entreprises françaises seraient donc aussi bien armées que les anglo-saxonnes ou les allemandes pour réussir à l’international ?
T. C. : Potentiellement, c’est une évidence ! Je tiens aussi à détruire l’idée selon laquelle la France n’a jamais su s’imposer à l’international. Je n’hésite pas à dire que c’est faux, pourquoi ? Nous avons fait un autre choix que l’Allemagne, qui fonde en grande partie sa balance commerciale sur le volume de ses exportations, dont je rappelle que 60 ou 70 % sont destinées aux autres pays européens.
Les grandes entreprises allemandes aiment épauler leurs PME/PMI sous-traitantes à l’export. Sur ce point nous pourrions effectivement faire mieux. À cela s’ajoute certainement un vrai problème de coûts en France, que le gouvernement essaie de réduire depuis cinq ans. Mais la France a fait aussi un autre choix. Si l’Allemagne a fait celui de bâtir une industrie d’exportation, un tissu industriel s’appuyant sur un réseau puissant de PME, PMI, d’ETI (le Mittelstand), les entreprises françaises ont, quant à elles, davantage fait le choix de l’investissement à l’international. Dois-je rappeler que nous sommes le 3e investisseur international mondial ce qui, avec 65 millions d’habitants, est absolument exceptionnel. Cela veut dire que les entreprises françaises s’implantent lourdement dans le monde, sur les marchés porteurs. Lorsqu’une entreprise française s’implante par exemple au Chili ou au Brésil, n’est-elle pas parfaitement placée pour rayonner sur l’ensemble du continent sud-américain ? Il ne faut donc pas raisonner uniquement en voyant les chiffres de la balance commerciale nationale, il faut raisonner global, export, investissement, tourisme étranger en France, congrès… etc. Nous devons impérativement intégrer cette nouvelle échelle du succès.
GPO Magazine : D’où votre souci de comprendre les cultures et connaître les peuples pour investir « mieux » !
T. C. : Evidemment ! Je vais vous confier un secret. Entre la fin de mes études de management et ma vie professionnelle, j’ai été « routard » durant plus de deux années. J’ai voyagé seul, avec mon sac à dos, en faisant de l’autostop autour du monde, ne sachant pas toujours où j’allais manger et dormir le soir. J’ai sillonné le monde entier.
Cela m’a fait rencontrer des hommes et des femmes extraordinaires, des cultures différentes. J’ai alors compris que ce monde n’était pas limité à notre douce et merveilleuse France, qu’il y avait des richesses fascinantes partout. Depuis plus de trente ans, je prolonge cette aventure personnelle en allant toujours plus loin et plus fort pour les entreprises françaises dans le cadre de Medef International et bien sûr du Medef.
GPO Magazine : De quoi êtes-vous le plus fier ?
T. C. : Professionnellement, de porter haut le drapeau France en aidant, avec mes équipes, les entreprises françaises à l’international. Personnellement, d’avoir des amis partout dans le monde.
GPO Magazine : Avez-vous des passions secrètes ?
T. C. : J’en ai beaucoup ! J’aime passionnément les fleurs, notamment les roses et les hortensias, mais aussi les mille sortes de bambous. J’aime les peintures des pays du monde qui recèlent un charme que je serais bien incapable de vraiment expliquer. C’est ainsi. J’ai des toiles que je ne me lasse pas de regarder et qui viennent du Vietnam, d’Irak, d’Uruguay… J’ai aussi un faible pour les ateliers d’artistes ; il s’en dégage toujours une lumière et une ambiance fascinantes car c’est là que l’artiste crée.
La visite d’un lieu où l’artiste peint est un moment merveilleux… l’endroit de la création ! J’aime aussi les objets insolites dont ma maison est remplie.
GPO Magazine : Si vous deviez vous résumer…
T. C. : J’ai la passion, l’amour du monde. J’aime aller à la rencontre des hommes et des femmes, avec lesquels j’établis des relations vraies, et construire ensemble. Sur cette base, j’aime faire rayonner les entreprises françaises et la France. Elle a tous les moyens et les atouts pour garder sa place dans le concert des nations et des cultures. L’avenir sera beau si on s’en donne les moyens, personnellement et collectivement. C’est simple, non ? (rire, NDLR)
Propos recueillis en entretien par Philippe Dermagne
Les chiffres 2011 450 adhérents 4000 clients 125 rencontres internationales/an 70 conseils patronaux dans le monde Présence dans 150 pays |