Thibault Lanxade, Medef – Le « marathon man » de l’entrepreneuriat et de l’engagement collectif

Homme d’action sans retenue ni doute sur la pertinence de ses idées, Thibault Lanxade fait de son engagement au service du collectif son second credo. Petit dormeur – 5 heures de sommeil lui suffisent – il est sur tous les fronts. Dirigeant de grande entreprise, entrepreneur, fondateur d’associations professionnelles, engagement syndical patronal, créateur d’émission de TV et de think tank, depuis 2006 auteur de 8 livres qui dérangent… suivre cet homme qui pétille de bon sens ne doit pas être simple. Coureur de fond, il fait 60 km par semaine, plus quelques trails ambitieux chaque année, ce jeune vice-président du Medef bouleverse le paysage et l’image d’un patronat qui en a bien besoin !

Entretien avec Thibault Lanxade, Vice-Président du Medef, Président du Pôle Entrepreneuriat et Croissance.

GPO Magazine : Quels sont, d’après vous, les qualités qu’un entrepreneur doit développer pour réussir ?
Thibault Lanxade :
Sa capacité à gérer un risque global aux facettes multiples.

GPO Magazine : Là, il faut nous en dire plus …
T. L. : La capacité de gestion du risque est le plus important des dénominateurs communs des entre­preneurs, mais ce risque revêt différents aspects.
L’entrepreneur qui prend un risque est avant tout personnellement engagé sur sa fortune et ses biens personnels. Accepter ce risque financier caractérise l’entrepreneur. Mais il existe d’autres facteurs qui ne sont pas matériels. Il doit accepter de se mettre en danger sur sa vie privée, tant il se consacre corps et âme à son entreprise. La vie d’un entrepreneur est faite de choix, de priorisations, de décisions, de sacrifices. Toute réussite démontre que l’entrepreneur a su concilier sa vie privée et sa vie professionnelle.
Pour preuve de cet engagement sans limites réelles : lorsqu’un entrepreneur faillit, il doit affronter ce cycle infernal qui est le dépôt de bilan, la dépression et pour finir le divorce.
Mais il existe un autre risque, je veux parler du risque de réputation. L’entrepreneur mise sa fortune, embarque ses investisseurs, engage le bonheur et la sérénité de sa famille… S’il faillit, il risque donc sa réputation et son image dans tous les registres.
C’est pour cela, qu’à mon sens, il faut davantage saluer les entrepreneurs que les chefs d’entreprises. Le « simple » dirigeant est nommé dans une position de salariat. Il peut être remarquable mais il n’a pas investi son argent. Certains ont des réussites exceptionnelles ayant permis à des groupes français de devenir des leaders mondiaux… mais ils ne doivent pas être assimilés à l’entrepreneur.

GPO Magazine : Leur différence ?
T. L. : Une prise de risques maximale, tous azimuts, sans parachute.

GPO Magazine : Faire faillite en France est-il donc toujours une honte ?
T. L. : Aujourd’hui encore la faillite en France est une marque et une cicatrice pratiquement indélébiles. Dans d’autres pays, notamment aux USA, c’est plutôt perçu comme une « médaille » obtenue au front qui permet de rebondir en démontrant qu’on a accumulé de l’expérience. En France, nous en sommes loin et les stigmates de la faillite durent très longtemps. L’entrepreneur peut même être atteint et blessé dans sa légitimité par des tiers ou par les salariés lorsqu’il prend des décisions jugées non adaptées ou non acceptées. Lorsqu’il commet des erreurs – mais qui n’en commet jamais ? – la jeune génération ne lui fait aucun cadeau.

GPO Magazine : Que voulez-vous dire ?
T. L. : Je parle de la génération Y apparue au début des années 2000. Cette génération demande au patron d’être exemplaire à la fois dans son savoir-faire et dans son savoir-être. Cette génération remet facilement en cause l’autorité. Il y a encore quelques années, lorsqu’un jeune intégrait une entreprise, le boss était le boss. On l’aimait ou on ne l’aimait pas, mais on reconnaissait son autorité. Aujourd’hui, ce côté rebelle est fortement marqué. Il ne peut être maîtrisé que si la légitimité du dirigeant est parfaitement reconnue.

GPO Magazine : Ces comportements annoncent-ils la fin de toute hiérarchie dans l’entreprise ?
T. L. : Ne nous racontons pas d’histoires ! L’entreprise était, est et sera toujours un univers hiérarchique. L’autorité y est un élément indispensable. On pourra toujours vouloir gommer cet aspect pyramidal en prétendant mettre en place un management collégial… ce n’est pas vrai ! Il faudra toujours un chef dans une entreprise, celui qui au final décide et prend le risque. L’entrepreneur peut déléguer, peut faire adhérer par des méthodes plus ou moins acceptées, mais au final, il décide et il est seul.

GPO Magazine : Les start-up des années 2000 ont-elles bouleversé cet ordre des choses ?
T. L. : Non, pas vraiment ! Souvenons-nous de la bulle Internet. Toutes ces start-up pensaient réinventer le management, en expliquant qu’il devait devenir totalement transversal, avec des salariés tous soumis au même régime des stocks options. Elles mettaient des toboggans, des fontaines de soda, des canapés douillets, des baby-foot, etc. Cela n’a pas fonctionné. Dans ce type d’organisation, le cadre N+1 n’était pas réellement un N+1. Quant il a fallu retourner à la réalité, les restructurations de certaines entreprises ont été lourdes et souvent humainement cruelles. Lors de la réorganisation, cet ex-faux N+1 s’est révélé être finalement un vrai N+1 ; cette situation a généré des tensions, des drames, des trahisons… parce que certains étaient des amis mais avec des relations qui étaient finalement impropres au bon fonctionnement de toute entreprise.

GPO Magazine : Mais pourquoi cette génération Y est-elle si rebelle ?
T. L. : Cette génération est arrivée au tout début des années 2000, période où la remise en cause de la valeur travail portait à plein. On donnait à cette génération leurs droits avant même de leur demander leurs devoirs. Par ailleurs les nouvelles technologies leur ont donné le sentiment de pouvoir embarquer la maison au travail et pas l’inverse. Si l’on ajoute à cela l’explosion des outils intrusifs tels que les réseaux sociaux, les Facebook, les Skype, etc. Tout cela a radicalement perturbé le quotidien.

GPO Magazine : Vous considérez-vous comme un rebelle ?
T. L. : Je suis à la bascule. Et ce qui est très surprenant, c’est que, malgré l’étroitesse de la différence d’âge, le décalage est très important. Je me sens plus proche de la génération de mes pères que de la génération Y.  

GPO Magazine : Entrepreneur dans l’âme, vous avez créé plusieurs entreprises à succès, notamment Aqoba en 2007 et AlgoLinked en janvier 2014…
T. L. : J’avais beaucoup travaillé sur l’ouverture du marché de l’énergie, mon secteur professionnel historique. Pour Aqoba, j’ai découvert cette niche lors d’une conférence sur la dérégulation des marchés des paiements, un milieu également en pleine effervescence. Tous les banquiers présents craignaient la création d’un nouveau type de banques light… je me suis alors dit qu’il y avait un truc à imaginer. Par ailleurs, une norme européenne permettait de créer un établissement financier, une sorte de banque low cost. Aqoba a été le premier acteur dans ce domaine sur un marché naissant. Personne n’avait osé avant nous. Nous avons eu des débuts difficiles avec la crise, mais nous avons tenu bon, monté les équipes ; nous remportions de beaux succès commerciaux avec une authentique pertinence technique… puis nous avons vendu à un grand groupe, preuve que notre idée était bonne. Quant à la récente création d’AlgoLinked, c’est parti une nouvelle fois d’un constat simple : la difficulté pour toute structure d’assurer des relations presse efficaces sans dépenser des fortunes. AlgoLinked propose un nouveau pilotage des RP en se fondant sur des technologies innovantes pour un coût réduit.

GPO Magazine : Revenons au collectif. Pourquoi cet engagement ?
T. L. : J’ai créé des associations professionnelles dans chaque univers où je me suis investi. Mais cet engagement a changé d’envergure en 2006 avec « Géné­ration 35 Heures », un livre qui était le fruit de nombreuses notes prises sur les nouveaux comportements de la génération Y. Sur un ton humoristique j’ai décliné 35 petites histoires vraies, avec des exemples renversants : le jeune qui arrive en retard le matin avec un mot d’excuse de son père en oubliant qu’il n’était plus à l’école ou encore la jeune salariée qui, ayant un chat malade, décide de prendre une semaine de congé pour le soigner ; son argument : « ma convention collective m’autorise à m’occuper d’un proche qui est malade… mon chat est un proche », etc. Ce livre a remporté un franc succès. Mais on m’a aussi dit qu’il n’était qu’un constat sans offrir de solutions.
Alors j’ai créé une nouvelle association, Positive Entreprise, un think tank qui travaille au renforcement des liens entre jeunesse et entreprise. Puis j’ai écrit un second livre : « Jeunes et Entreprises, réussir la connexion ».
Avec ma volonté d’engagement au service de la cité, et une fois découvert le fonctionnement du Medef, je me suis dit que je pouvais aller un peu plus loin en portant des propositions innovantes. Cela m’a poussé à me présenter à la présidence en faisant de mon programme un livre : « Un patronat, pour quoi faire ? ». Le Medef est une grosse machine qui regroupe quelques 800 000 adhérents, dont l’essentiel est finalement constitué de PME et de TPE. Nous devons apporter des réponses concrètes et des solutions pratiques à leurs problèmes : délais de paiement, relations inter-entreprises, accès au crédit, etc.

GPO Magazine : Très bien, mais notre code du travail n’est-il pas le cœur du problème ?
T. L. : Libérer l’emploi est effectivement la problématique principale. Le code du travail comporte 3 600 pages ! Il est impossible de le faire évoluer et illusoire de vouloir l’alléger. Il faut le supprimer purement et simplement et le remplacer par un document, totalement nouveau, de 300 ou 400 pages. Ensuite on laisserait la possibilité aux entreprises de définir elles-mêmes leurs accords ou peut-être au niveau des branches.

GPO Magazine : Cette solution n’est-elle pas utopique ?
T. L. : Il y a plusieurs conditions. 1, il faut donner le droit aux entreprises de définir leurs accords avec le dialogue social… le vrai ! 2, le politique doit prendre des décisions en revisitant les structures syndicales et patronales. Comment voulez-vous réformer ce pavé qu’est le code du travail quand on sait qu’il existe encore plus de 800 branches professionnelles au Medef et que les syndicalistes ne revisitent pas de fond en comble leurs modes de fonctionnement ? Je pense que c’est au patronat de commencer en montrant l’exemple de la simplification de ses structures.

GPO Magazine : Que pensez-vous du slogan « 1 million d’emplois » mis en avant par le Medef ?
T. L. : Je le dis avec tout le respect et le soutien sur le projet de Pierre Gattaz, mais moi, je ne veux pas 1 million d’emplois, je veux 1 million d’activités nouvelles. Il faut arrêter le tout salariat qui tue l’entrepreneuriat. Depuis des dizaines d’années, le discours des politiques porte sur la flexibilité des contrats, sur l’assurance chômage, sur la prime de précarité du CDD… on ne pense plus activités, on ne pense plus liberté. Depuis 30 ans, on ne fait que protéger l’emploi et le jeune n’a qu’un objectif : obtenir un CDI pour acheter sa voiture ou louer son appartement. C’est légitime, mais il faut libérer les talents, encourager les initiatives. Il faut sortir de cette logique du salariat.

GPO Magazine : Donnez-nous un exemple de décision concrète pour y parvenir.
T. L. : Pôle Emploi devrait être scindé en deux : un Pôle Emploi et un Pôle Activités.
Autrement dit, nous poserions la question au jeune qui recherche un job : veux-tu te faire embaucher ou veux-tu toi-même un jour embaucher en créant ton activité ? Un autre exemple : il faudrait assouplir et ouvrir encore plus le statut d’auto-entrepreneur. Il faut tout miser sur l’entrepreneuriat en réalisant que ce ne sont pas seulement les Bac +5 qui créent des entreprises. Ce sont tous ceux qui ont une idée, de l’ambition et du courage. C’est exactement dans cet esprit que j’ai imaginé l’émission « 3 minutes pour convaincre », avec BFM TV, une idée dont je suis fier à double titre : c’est devenu une institution et j’ai su la pérenniser en transmettant le flambeau.

GPO Magazine : D’où vous vient cette volonté d’agir pour le collectif ?
T. L. : C’est peut-être génétique. Mon grand père et mon père étaient de grands militaires. Mon père était amiral…dans la Marine, le mot solidarité a un sens. C’est une grande valeur.

GPO Magazine : Où puisez-vous votre équilibre ?
T. L. : Au plan physique, dans le sport, je cours 50 à 60 km par semaine et je m’impose de participer à 5 ou 6 trails de très bon niveau chaque année. Au plan psychique et affectif, tout repose sur ma famille. Ma femme et mes enfants me soutiennent sans faille.

GPO Magazine : Que souhaiteriez-vous qu’on retienne de notre entretien ?
T. L. : La reconnaissance de mon engagement patronal, aussi bien côté entreprise que syndical et mon souci de transmettre à d’autres ce que j’ai initié.

GPO Magazine : Vous prenez-vous parfois au sérieux ?
T. L. : « Avoir la grosse tête c’est quand on commence à croire ce qu’il y a d’écrit sur son CV ». J’espère aimer trop l’humour pour prendre le risque de la grosse tête. Mais lorsque le risque de dérapage apparaît, croyez-moi, mes enfants se chargent très vite de me ramener les pieds sur terre.

Propos recueillis en entretien par Philippe DERMAGNE

Philippe Dermagne

En 1980, il crée sa propre société, une agence de publicité dédiée au BtoB, à la communication par l’écrit et à la motivation des forces de ventes. En 1995, il fonde l’une des toute premières agences multimédia française, en mettant en place un développement international en Suède, UK et Brésil. Depuis 2007, il est un journaliste qui présente la particularité d’avoir plus de 30 années d’expérience en tant qu’entrepreneur. Ses terrains de prédilections : les RH, le développement durable, la gestion de flotte automobile. Son second métier : l’animation de colloques, tribunes et grands séminaires d’entreprise.

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