Choisir son lieu de télétravail : une liberté encadrée

Si le télétravail a pu être imposé ou subi, notamment durant les périodes de confinement, ce mode de travail est resté très attrayant. Mais peut-on télétravailler librement de n’importe où ?

En cas de télétravail, l’obligation de sécurité de l’employeur repose sur la vérification de la conformité du lieu de travail (vérification rarement réalisée en pratique). En application de ce principe, le salarié est tenu d’informer son employeur de son lieu de télétravail et de fournir les justificatifs d’assurance idoines.

Sous cette réserve, le télétravail peut intervenir au domicile du salarié ou dans tout autre lieu jugé « conforme ».

Mais le salarié est-il libre du choix de son domicile pour télétravailler ?

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pose le principe du libre choix pour toute personne du domicile personnel et familial. La jurisprudence a précisé qu’une restriction à ce droit par l’employeur n’est valable qu’à la condition d’être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée au regard de l’emploi occupé et du but recherché.

En pratique, si cette restriction a longtemps été rarement admise par les juges, elle a pu récemment faire parler d’elle. En effet, la Cour d’appel de Versailles a validé le licenciement d’un salarié ayant refusé, malgré les demandes de son employeur, de rapprocher son domicile de son lieu de travail, impliquant d’importants déplacements susceptibles d’impacter sa santé et donc, indirectement, l’obligation de sécurité à la charge de l’employeur. La Cour a admis que l’employeur ne pouvait pas, compte tenu des conséquences liées à cet éloignement géographique, respecté son obligation de sécurité et son obligation de veiller au repos quotidien du salarié et à l’équilibre de sa vie familiale et de sa vie professionnelle (CA Versailles 10 mars 2022 n°20/02208).

Toutefois, cette décision a été rendue dans l’hypothèse d’un salarié tenu de se rendre en présentiel sur son lieu de travail.

Par conséquent, elle ne permettra pas à un employeur d’imposer à un salarié de télétravailler au sein d’un lieu proche de son lieu de travail.

En revanche, si le salarié doit se rendre disponible en présentiel régulièrement, l’éloignement géographique de son domicile pourra être examiné et sujet à discussion si les journées télétravaillées demeurent exceptionnelles.

Au-delà des restrictions attachées au domicile, quelles sont les autres restrictions rencontrées ?

Beaucoup de chartes, d’accords collectifs et de contrats de travail interdisent le télétravail à l’étranger. Et pour cause ! les incidences ne sont pas neutres.

Au-delà des conséquences en termes d’impôt sur le revenu qui impactent directement la fiscalité personnelle du salarié, le fait d’exercer ses fonctions en dehors de la France est susceptible d’engendrer d’importantes conséquences en droit de la sécurité sociale.

En effet, les règles de droit applicable reposent sur le principe de la territorialité du lieu d‘exécution du lieu de travail. Cette règle ressort tant des dispositions issues des articles L.761-1 et suivants du Code de la sécurité sociale que des règlements communautaires et des traités internationaux.

En principe, et sous réserve de la règlementation internationale applicable, le salarié est affilié à la législation de sécurité sociale de son lieu de travail. Des exemptions sont possibles mais restent limitées dans le temps (maximum 3 ans). Elles sont principalement conditionnées à l’existence d’un « détachement » impliquant un maintien du lien de subordination entre le salarié et l’employeur français.

Faute d’application de cette exemption, le salarié sera logiquement affilié à la sécurité sociale de son pays de résidence impliquant notamment le règlement des cotisations sociales afférentes. Au-delà du casse-tête que devraient gérés les services en charge de la paie, l’employeur devra également, dans certaines situations, maintenir une affiliation au régime de retraite et d’assurance chômage.

Le télétravail à l’étranger entraîne donc des conséquences financières et administratives significatives qui justifient que l’employeur puisse s’y opposer (sous réserve d’avoir prévu cette interdiction contractuellement ou dans les normes collectives).

Plus délicate serait la situation de télétravail à l’étranger alors que l’employeur n’aura pas expressément prévu cette situation…

Enfin, il sera rappelé que, hormis le cas du télétravail à l’étranger et des exceptions évoquées, le salarié reste libre de télétravailler du domicile qu’il aura librement choisi.

Beaucoup de salariés ont d’ailleurs profité de la possibilité qui leur été offerte de télétravailler plusieurs jours par semaine pour choisir un domicile éloigné du lieu de travail en présentiel.

À ce titre, le bulletin officiel de la sécurité sociale précise que tout employeur, de droit privé ou public, est tenu de prendre en charge le prix des titres d’abonnement souscrits par ses salariés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen de transports publics de voyageurs ainsi que les titres d’abonnement souscrits auprès d’un service public de location de vélos. La Cour de cassation a par ailleurs précisé qu’aucune distinction ne doit être réalisée selon la situation géographique de la résidence.

La doctrine administrative précise d’ailleurs que cette obligation étant de portée générale, les salariés dont l’éloignement de la résidence habituelle du lieu de travail relève de la convenance personnelle doivent bénéficier de la prise en charge obligatoire.

Ainsi, sont compris notamment les abonnements ferroviaires longue distance sans que l’employeur ne puisse s’y opposer.

Sous réserve de la conformité du lieu, du respect de l’obligation de sécurité de l’employeur et d’un télétravail sur le territoire français, non seulement le lieu de télétravail reste libre mais le lieu de résidence est laissé au libre choix du salarié sachant qu’une prise en charge des frais de transport pourra être mise en œuvre.

Par Déborah Fallik Maymard, avocate associée chez Redlink Avocats

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