Salaire : comment bien négocier dans une conjoncture tendue ?
Le climat s’annonce compliqué pour les négociations salariales de cette fin d’année : entre conjoncture économique morose et incertitude budgétaire, les entreprises prévoient de limiter les augmentations à un modeste 3% en 2025. Et seules un tiers d’entre elles prévoient une augmentation générale de leurs salariés[1].
Dans ce contexte, la rémunération individuelle, au mérite, redevient essentielle… tout comme les capacités de négociation de chacun. Quels leviers actionner pour tirer son épingle du jeu cette année ?
Le point avec Sacha Kleynjans, fondateur de la solution de gestion des rémunérations Ferway, et directeur du pôle tech du cabinet de conseil Spartes.
Parler du sujet du moment : la transparence salariale
Dès le 7 juin 2026, les entreprises de plus de 100 salariés devront appliquer la directive européenne sur la transparence salariale qui les obligera à préciser, au minimum, une fourchette de salaire pour toute offre d’emploi. Autre nouveauté : les collaborateurs en poste pourront, à tout moment, demander à leur direction de leur communiquer le montant moyen des rémunérations de leurs collègues, et de leur expliquer sur quels motifs se fondent d’éventuelles inégalités salariales.
« Certaines entreprises ont déjà mis en place cette directive, et la majorité d’entre elles s’y préparent, affirme Sacha Kleynjans. Ce qui permet à tout salarié de demander quelles informations peuvent lui être communiquées aujourd’hui sur le niveau de rémunération de ses pairs. Cela lui donne alors la possibilité de faire remarquer l’existence d’un écart, et de demander à ce qu’il soit rattrapé ».
Cette même directive impose aussi aux entreprises d’expliquer clairement quels éléments peuvent faire passer le salarié dans une tranche de rémunération supérieure. Au collaborateur donc de se faire préciser ces points, et de prouver qu’il a bien rempli ces conditions.
Démontrer l’adéquation entre ses efforts et les objectifs de l’entreprise
Cette année plus que jamais, il importe de soigneusement se renseigner sur les objectifs affichés par l’entreprise avant de parler rémunération. Au-delà de ses objectifs de croissance, l’entreprise peut aussi, par exemple, vouloir progresser en termes de rétention de clients, de parité, de respect de l’environnement… autant de domaines dans lesquels chacun peut mettre en avant ses résultats ou les actions mises en place.
« Il s’agit, plutôt que de parler du besoin d’un meilleur salaire, de démontrer sa contribution à la réussite de l’entreprise, précise Sacha Kleynjans. Autre impératif, préparer finement ses arguments pour montrer comment cette contribution va encore progresser à l’avenir : organisation mise en place, outils de suivi… tout ce qui peut montrer que l’apport du salarié est structuré et durable fera pencher l’employeur en faveur d’une augmentation ».
Négocier son variable plutôt que son fixe, et se montrer proactif
La rémunération variable redevient une composante essentielle de la rémunération. Aujourd’hui, 71 % des OETAM (Ouvriers, Employés, Techniciens, Agents de Maîtrise) et 85 % des cadres en France bénéficient d’une forme de rémunération variable[2].
« Les entreprises ont tendance à généraliser ces mécanismes de rémunération, et à déplafonner le montant des primes, reprend Sacha Kleynjans. Le salarié peut donc négocier en ce sens, à condition de s’assurer que les objectifs qui lui sont fixés sont bien accessibles, et qu’il dispose des moyens nécessaires pour les remplir. A lui également de faire preuve de créativité dans la fixation et la mesure des objectifs : comment démontrer qu’il s’est montré innovant, ou qu’il a su manager efficacement ses équipes ? Plus il proposera de solutions « clé-en-mains », alliant définition, mesure des objectifs et calcul du variable, plus il aura de chances d’être entendu ».
Elargir la négociation au-delà du salaire
En cette période de restriction budgétaire, le thème du salaire reste délicat à aborder pour la plupart des employeurs. Pour ne pas s’enfermer sur ce terrain, et éviter la crispation des deux parties, mieux vaut, pour le salarié, avoir préparé d’autres propositions d’évolution : il peut ainsi demander à participer à des projets prestigieux, ou à suivre une formation structurante, ou encore proposer de développer un projet spécifique, et pour cela de disposer de moyens et d’autonomie.
« Par exemple, il peut s’agir de défricher un pan de marché aujourd’hui peu exploité par l’entreprise, ou d’améliorer un process existant, détaille Sacha Kleynjans. Au salarié d’expliquer pourquoi son idée lui semble prometteuse, de préciser de quels moyens dont il a besoin pour la tester, et de préciser la façon dont son succès pourra être mesuré et récompensé. Si ce projet entre dans la stratégie de l’entreprise, et qu’il présente un risque limité, l’employeur pourra convenir d’une augmentation de salaire différée dans le temps, en fonction des résultats obtenus. Il sera en tout cas sensible à cette démarche du salarié, qui montre sa capacité à se projeter dans le futur, aux côtés de l’entreprise ».
Aborder la question du partage de la valeur… et rappeler l’échéance pour les petites entreprises
Dès le 1er janvier 2025, les entreprises de 11 à 49 salariés, rentables sur les trois dernières années, devront proposer à leurs salariés au moins un mécanisme de redistribution d’une part de leurs bénéfices. Pour ce faire, elles pourront choisir entre la mise en place d’un plan d’épargne salariale, ou le versement d’une prime de participation, ou d’intéressement, ou enfin d’une prime de partage de la valeur (ex « Prime Macron »).
« Si la plupart des grandes entreprises ont déjà mis en place un mécanisme de ce type, les plus petites ne s’y sont pas forcément préparées, rappelle Sacha Kleynjans. Plus de 50% ignorent même qu’elles sont concernées ! Le salarié peut donc demander où en est son entreprise par rapport à l’extension de cette obligation, et profiter de l’occasion pour indiquer quel mécanisme lui semble le plus efficace. Il ne s’agit pas bien sûr d’adopter un ton de donneur de leçon si l’employeur n’a pas encore pris de mesure, mais simplement de se renseigner sur ce qui est prévu… ».
[1] Enquête annuelle Total Remuneration Survey (TRS) Mercer, novembre 2024[2] Deloitte 2023