Considérations sur le rapport au temps
Le temps. Comment le perçoit-on ? Comment le gère-t-on ? Il y a ceux qui sont toujours en retard, toujours dépassés. D’autres se montrent tyranniques. D’autres se font un devoir de gaver leur agenda au point de ne plus avoir la moindre marge de manœuvre. Au bilan, à la machine à café, cela donne : “je n’aurai pas le temps”, “je n’ai plus de temps pour moi”, “les journées ne sont pas assez longues”… Bref, ce sujet mériterait un, voire plusieurs livres. Mais, bon, soyons raisonnables et choisissons un seul angle d’attaque. Et pas le moindre.
1. L’avènement du minimalisme
Dans le monde d’avant, d’avant le déploiement des outils de bureautique, l’erreur existait déjà. Mais elle était à l’image de ses auteurs : humaine. Et les délais assortis, eux, restaient raisonnables. En clair, nous avancions à la vitesse du stylo, de la machine à écrire, du courrier.
Et puis l’ordinateur s’est invité avec son cortège de logiciels, de traitement de texte et autres. Et, inévitablement, d’effets pervers. Ceci non pas pour dire qu’avant c’était mieux, mais que, comme toujours, à chaque fois que quelque chose de nouveau apparait, nous avons la fâcheuse tendance de jeter aux orties nos jouets précédents et les savoir-faire qui les accompagnaient.
Citons ici quelques évolutions.
- Au premier rang, le rapport au temps s’est transformé. Toute référence à la notion de délai confine au sacrilège. Le mot clef est devenu l’immédiateté. Peut-être même est-il déjà dépassé.
- L’individu est seul face à sa machine. Il doit donc produire et réfléchir de manière quasi-simultanée. Dans des délais réduits, bien sûr (cf. le point précédent).
- Et quand il interagit avec les autres, il le fait dans SA bulle et dans SON temps de référence. À moins que ce ne soit dans le cadre fixé par des automatismes… ou une éventuelle intelligence artificielle (IA pour les intimes).
2. Vers des rapports humains puissance zéro ?
Donc, avant, lorsque nous ne disposions que d’un carnet, d’un crayon et d’un calendrier, nous prenions le temps de creuser le sujet (démarche sacrilège de nos jours) et de considérer les délais (les nôtres comme ceux de nos interlocuteurs) de manière réaliste. Nous regardions ensuite le calendrier (celui posé sur le coin du bureau) pour borner intelligemment le projet, fixer une date butoir, etc. Qui a déjà vu, à l’époque, quelqu’un demander une réponse pour, par exemple, le 14 juillet (sauf à être impliqué par les cérémonies, mais là c’est déjà trop tard) ?
Avec la bureautique, beaucoup de choses ont donc été remises en cause. Le rédacteur (quand on ne lui substitue pas désormais un ChatXyZ) étant désormais seul face à son clavier et son écran, le temps consacré à l’étude et à la réflexion en a pris un coup (je sais, pour certains c’est mieux ainsi). Et dans cette marche vers la simplification à outrance, tout s’est focalisé sur le presque seul émetteur. Nous pouvons en apprécier chaque jour les résultats à la lecture, par exemple, de simples courriels ou SMS (simples, du moins en apparence) : incompréhensions, multiplication inutile des échanges (voyons, certains se souviennent sûrement de la formule « simple comme un coup de fil »), agacement, détérioration des relations, etc.
Et, dans le même temps, ou presque, sont également apparus des messages à des horaires incongrus (si, si), avec des dates limites surprenantes (en sus du 14 juillet déjà mentionné) : par exemple un 25 décembre ou encore un premier janvier (c’est du vécu et en plusieurs occasions) ; sans parler, pour des actions récurrentes, la reprise du document précédent… sans penser à en changer les dates. Après tout, pourquoi donc regarder encore le calendrier ?
Et cette dérive ne fait que s’aggraver entre une IA mise à toutes les sauces et largement perfectible (au fait, comment et par qui est-elle éduquée ?) et des bases de données de plus en plus monstrueuses, mais qui ne sont pas toujours (adverbe destiné ici à marquer l’optimisme) à jour. Ainsi, nous ne sommes plus dans la simple addition des erreurs, mais dans leur multiplication. L’ironie, finalement, est que, le plus souvent (en fait, presque toujours – cette fois pour le réalisme, voire le pessimisme), c’est désormais au récepteur de faire le travail de traduction et de compréhension et de contacter (quand cela est possible) la source pour demander des clarifications…
Autant, donc, pour l’homme véritablement dans la boucle. Ici, tout le monde se voile la face. Prenons, par exemple, les possibilités de « mailing » offertes à tout un chacun : où se trouve la véritable personnalisation lorsque le seul prénom (ou nom) du destinataire est changé ? N’y a-t-il pas ici une phénoménale confusion entre la quantité et la qualité ? Un comble alors que, depuis quelques années, nous invoquons sans cesse le « plus d’humain » !
3. Et si on reprenait le contrôle du temps ?
Le point commun à toutes ces dérives est bien le facteur temps. Facteur que nous maîtrisons de moins en moins d’autant que notre paresse intellectuelle va croissant : plus ça va, plus nous comptons sur des solutions numériques pour gérer des situations complexes. Mais, est-ce que cela se justifie toujours ? N’y a-t-il pas moyen d’associer correctement l’humain et la machine de manière à retrouver du temps ?
Concernant la machine, il n’est pas question de revenir en arrière, sauf en cas de pannes de courant (un agenda papier et un crayon sont encore utiles), de plantages (ne me dites pas que vous ne pouvez plus travailler parce que l’ordinateur ne fonctionne pas aujourd’hui) ou de piratages (avez-vous seulement envisagé le mode dégradé ?).
Donc, la principale solution consiste bien à changer son rapport au temps… en acceptant de lui en consacrer (un retour vers les délais réalistes), de consentir les ressources humaines adéquates (en se méfiant des fausses économies) et, pour ceux dont c’est le métier, d’éduquer l’IA dans ce sens (et lui éviter les dérives dont nous sommes nous-mêmes les auteurs). C’est quand même, avant tout, une affaire de volonté. Et de véritables relations humaines.
« Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie ; il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux ». Cette maxime de Montesquieu, citée par le général Vincent Desportes dans son livre « Devenez leader » (chez Odile Jacob), a cette vertu de pouvoir se vérifier et se transposer dans toutes les directions et entre plusieurs niveaux (en mode 360, en français moderne).
Par Olivier Douin, Président de « Olivier Douin Conseil » (ODC)