La nouvelle réglementation européenne en matière de responsabilité du fait des produits défectueux

Dans un monde connecté où la commercialisation de produits innovants est de plus en plus importante, les consommateurs européens sont confrontés à des difficultés croissantes en matière de protection contre les produits défectueux.

Pour répondre à ces enjeux, les institutions européennes ont récemment adopté de nouvelles règles visant à renforcer les droits des consommateurs. C’est ainsi que la Commission européenne a publié une proposition de directive, le 28 septembre 2022, visant à réformer la réglementation existante en la matière.

Contexte

Adoptée il y a près de quarante ans, la directive n°85/374/CEE du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux a introduit des règles protectrices des consommateurs, mettant notamment en place un régime de responsabilité sans faute pour les fabricants de produits1.

Instrument moderne et ambitieux de l’époque, la révision de cette directive était inévitable à l’ère de la révolution numérique et technologique où les produits se sont grandement complexifiés.

Partant de ce constat, la Commission européenne a déposé le 28 septembre 2022 un projet de directive afin de faire face aux évolutions liées aux nouvelles technologies, y compris l’intelligence artificielle (IA), aux nouveaux modèles d’entreprise dans le domaine de l’économie circulaire et aux nouvelles chaînes d’approvisionnement mondiales2.

La proposition de directive – abrogeant la directive n°85/374/CEE du 25 juillet 1985 – modernise ainsi le cadre juridique établi et est décrite par la Commission européenne comme garantissant des règles équitables pour les entreprises et les consommateurs.

Le nouveau champ d’application du projet de directive

La proposition de directive étend l’applicabilité du régime de responsabilité sans faute à de nouveaux types de produits qui peuvent aujourd’hui être tant corporels qu’incorporels.

Alors que la directive n°85/374/CEE du 25 juillet 1985 ne vise que les biens « meubles »3, la notion de produit englobe désormais les produits numériques et leurs mises à jour, et notamment les logiciels, les systèmes d’IA ou encore les services digitaux (drones, robots, systèmes domestiques intelligents etc.).Lina El Medjadji

Les critères d’appréciation de la défectuosité du produit – laquelle est définie comme un produit n’offrant pas la sécurité à laquelle le grand public peut légitimement s’attendre – sont également revus afin de tenir compte du caractère évolutif des produits mis sur le marché. Il conviendra ainsi de tenir compte notamment de « l’effet sur le produit de toute capacité à poursuivre son apprentissage après le déploiement »4.

S’agissant des dommages, la proposition de directive prévoit que soit prévue, outre une réparation des dommages causés par la mort ou les lésions corporelles et les dommages aux biens, une indemnisation des dommages causés par une perte ou une corruption de données.

Vers une protection accrue des consommateurs…

Les institutions européennes ont tenu compte des nombreuses difficultés probatoires rencontrées par les victimes de produits défectueux et ont instauré deux instruments visant à faciliter l’accès des demandeurs aux preuves à produire en justice ainsi que la démonstration de la défectuosité du produit.

D’abord, la proposition de directive permet aux victimes du dommage causé par un produit défectueux qui a « présenté des faits et des éléments de preuve suffisants pour étayer la plausibilité de sa demande en réparation », d’enjoindre au défendeur de divulguer les éléments de preuve pertinents dont il dispose, sous réserve que la divulgation soit toutefois limitée à ce qui est proportionné et à ce que le secret des affaires soit protégé5.

Maxime Liebenguth

Ensuite, la proposition de directive allège la charge de la preuve de la défectuosité du produit incombant au demandeur en instaurant des présomptions réfragables. Ainsi, la défectuosité d’un produit sera par exemple présumée lorsque le demandeur rencontre des « difficultés excessives en raison d’une certaine complexité technique ou scientifique », telles que celles impliquant l’IA ou des produits technologiques complexes6.

Enfin, afin de garantir la réparation des victimes, la proposition de directive a également considérablement élargi la liste des opérateurs économiques pouvant être tenus pour responsables. Dans ce cadre, doit être tenu pour responsable le fabricant d’un produit défectueux ou lorsque celui-ci est établi en dehors de l’UE, l’importateur et son mandataire. Si ces derniers sont eux-mêmes établis en dehors de l’UE, le prestataire de services d’exécution des commandes pourra alors être tenu comme responsable. Enfin, lorsqu’aucun de ces opérateurs économiques ne pourra être identifié, la victime pourra se retourner contre chaque distributeur ou fournisseur d’une plateforme en ligne7.

…illusoire ?

Reste à déterminer si ces évolutions permettront une protection plus efficace des consommateurs à l’ère du numérique.

S’agissant de la mise en œuvre de la responsabilité de l’un des opérateurs économiques listés dans la proposition de directive, il est à prévoir que la détermination du responsable ne sera pas chose aisée pour la victime de la défectuosité d’un produit innovant et complexe impliquant souvent des acteurs non européens dans le processus de fabrication.

En outre, s’agissant des délais de prescription, la proposition de directive maintient un délai de trois ans permettant aux victimes d’introduire une demande en réparation de leur dommage8. Quant aux causes d’exonération des opérateurs économiques responsables, elles ont également été adaptées afin de tenir compte du caractère évolutif des produits après leur mise sur le marché9.

Le Parlement européen a adopté le 12 mars 2024 une résolution législative sur la proposition de directive10. Se pose désormais la question de l’approbation de ce projet par le Conseil, et de sa transposition en droit français. L’objectif est en tout cas affirmé par l’Union européenne et son commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton : favoriser la confiance des consommateurs dans les nouvelles technologies.

Par Mélanie Erber, Avocat Associé, Lina El Medjadji, Avocat et Maxime Liebenguth, Avocat – Coblence Avocats


1 Directive n°85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux
2 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, Commission européenne, 28 septembre 2022 (2022/0302 (COD)
3 Article 2
4 Article 6
5 Article 8
6 Article 9
7 Article 7
8 Article 14§1
9 Article 10
10 www.oeil.secure.europarl.europa.eu

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