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Pour sauver nos entreprises en difficultés, la SCOP serait-elle un miracle ou un mirage ?

La décision prise fin juillet 2024 concernant Duralex pose la question des conditions de succès des reprises d’entreprises en difficulté par les collaborateurs. Au-delà de la préservation des emplois sur le territoire, ce type de société pose plusieurs défis propres à la direction d’entreprise : adaptation de la gouvernance, évolution du business model et choix en matière de stratégie de développement.

Le 26 juillet 2024, le tribunal de commerce d’Orléans validait le projet de reprise de Duralex porté par 60% des salariés et l’ancienne direction. L’annonce a fait grand bruit et a suscité de nombreux commentaires positifs, et même un regain d’intérêt pour le modèle des SCOP comme outil pertinent pour sauver des PME de la liquidation.

Un modèle séduisant

La SCOP est en effet un modèle d’entreprise intéressant pour ancrer l’emploi dans les territoires, à l’image du cas emblématique de Lip qui a permis aux salariés de conserver leur emploi dans la manufacture horlogère.

En 2023, 9% des créations de SCOP étaient des reprises d’entreprises en difficulté. Outre des dispositifs et exonérations de charges qui lui permettent d’avoir des niveaux de prélèvements obligatoires modérés, elles se caractérisent par le fait d’être non-délocalisables et prioritaires sur les appels d’offres publics. C’est d’ailleurs sans doute une des raisons pour lesquelles les collectivités et acteurs publics n’hésitent pas à les soutenir, a fortiori quand le taux de chômage sur le territoire est élevé. Dans le cas de Duralex, la région Centre-Val de Loire a prêté un million d’euros et Orléans Métropole a acquis le terrain de l’usine pour le louer à la coopérative jusqu’à ce qu’elle puisse l’acquérir.

Mais la SCOP n’est pas non plus une recette miracle pour contrer les défaillances. Selon la sociologue Anne-Catherine Wagner, autrice de l’ouvrage Les Scop et la fabrique de l’intérêt collectif, seulement un quart des reprises en SCOP sont véritablement viables. Cette statistique soulève des questions sur la durabilité d’une SCOP dans des contextes de reprise d’entreprises fragilisées.

Elle interroge aussi sur les moyens mis en œuvre pour réussir le projet comme par exemple, l’appui demandé à d’ex-chefs d’entreprise pour épauler la nouvelle direction. Car comme toute entreprise, une SCOP doit être viable pour être pérenne. L’enjeu pour l’équipe qui reprend les rênes va être triple : trouver le bon modèle économique, définir la bonne stratégie de développement et adopter la bonne gouvernance.

Le risque de la réplication de l’existant

La tentation est grande pour les collaborateurs-repreneurs de répliquer et de poursuivre ce qui était en place, en s’appuyant sur leur connaissance et leur maîtrise des opérations sur le terrain. Toutefois, si l’entreprise s’est retrouvée en difficulté, c’est que ce qui était pratiqué n’était plus adapté, ni au contexte économique, ni à l’environnement concurrentiel.

Les hausses des coûts sur les matières premières et l’énergie par exemple ont pu remettre en cause la pertinence des formulations des produits et/ou des procédés de fabrication. Les pratiques adoptées par les concurrents ont pu quant à eux impacter l’attractivité des produits proposés, la pertinence des canaux de distribution utilisés ou encore les conditions de vente et les engagements vis-à-vis des consommateurs.

Or une entreprise, quel que soit son statut (SCOP ou pas SCOP), doit être rentable pour être pérenne. La conséquence peut parfois être de devoir revoir les verticaux, de quitter l’approche mono-produit ou la mono-diffusion, de renégocier certains contrats fournisseurs et clients, etc. D’autres stratégies telles que la mise en place de circuits courts pour réduire les coûts logistiques, ou encore l’investissement dans des technologies écologiques pour réduire la consommation d’énergie, peuvent être efficaces.

Un nécessaire changement de posture

S’ajoute à ces enjeux business la nécessité pour les collaborateurs de réinventer la gouvernance et de changer de posture – de passer de “collaborateur” à “membre de la direction” – et de mettre en place une gouvernance idoine pour prendre des décisions stratégiques, y compris quand elles sont difficiles. Ce changement est loin d’être évident et nécessite de maîtriser quelques bonnes pratiques connues de « ceux qui l’ont déjà fait ».

Non seulement les relations avec ses anciens collègues changent, mais surtout viennent s’ajouter aux sacrifices déjà consentis (investissement dans l’entreprise, gel des salaires…) de nouvelles préoccupations de gestion (rentabilité, paiement des salaires, paiement des fournisseurs, garanties de livraison, etc.) avec parfois des choix difficiles à faire – et à assumer.

Par exemple, Il est important que les SCOP développent des stratégies d’optimisation des coûts et d’amélioration de l’efficacité pour rester compétitives face à des concurrents souvent mieux armés financièrement. Pour faire plus simple, le premier choix de la SCOP n’est pas d’augmenter les salaires… Pour autant, il faudra mobiliser et embarquer l’ensemble des équipes sur le nouveau projet au-delà du maintien de l’existant, pour projeter l’entreprise dans un nouveau futur.

Savoir jouer sur les effets de levier

Autre point de complexité à travailler : jouer sur les effets de levier pour avoir les moyens de mettre en œuvre le projet élaboré pour garantir un certain niveau de revenus à l’entreprise et assurer sa pérennité. Une majorité de collaborateurs-repreneurs limitent la capacité de financement de l’entreprise aux aides publiques reçues ; or ils pourraient utiliser ces aides comme effet de levier pour, par exemple, obtenir un prêt bancaire.

Ce sont des connaissances et des bonnes pratiques que la plupart des dirigeants connaissent, soit du fait de leurs formations, soit du fait de leurs expériences professionnelles antérieures, soit au travers d’échanges avec leurs pairs et leurs partenaires opérationnels, et que la nouvelle direction devra apprendre à maîtriser. Sur ce point aussi, elle gagnera pour cela à se faire accompagner par des personnes qui les ont déjà mises en application.

Une alternative intéressante mais à considérer avec prudence

Alors que les alertes sur les défaillances à venir se multiplient, alors que les acteurs publics et des territoires cherchent comment préserver la production et l’emploi en France, alors que les collaborateurs se mobilisent contre la fermeture de leurs entreprises, les sirènes des SCOP peuvent séduire.

Cependant, le modèle coopératif repose sur un équilibre délicat entre engagement des salariés, viabilité économique et gouvernance partagée. Sans une préparation adéquate et un accompagnement approprié, par exemple par d’anciens chefs d’entreprise devenus operating partners, les SCOP peuvent rapidement se transformer en un fardeau pour les employés et les dirigeants, plutôt qu’en une solution salvatrice.

L’arbitrage final devra néanmoins tenir compte de plusieurs paramètres pour que ces arbitrages se fassent en faveur de projets pour lesquels ce modèle d’entreprise a un réel potentiel et qui soient gagnant pour les repreneurs aussi bien en termes d’emploi que de rémunération à moyen-long terme.

Par Cyril Ferey, operating partner chez I&S Adviser

 

La rédaction

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