Manager ou commander ?

Les armées inspirent de plus en plus une entreprise qui cherche à répondre aux grands enjeux du désengagement et du turnover des salariés et qui, dans le cadre d’une volonté de préserver et développer les talents, portent son attention sur la question du leadership. Le développement de belles trajectoires professionnelles d’anciens militaires en entreprise suffit à justifier la question.

Alors manager ou commander ? Il s’agit dans les deux cas de diriger mais dans un contexte différent. Si manager appelle une notion plus économique de gestion et d’organisation, commander développe plus fortement la notion d’exercice d’une autorité légitime, mieux adaptée à la gestion de l’urgence et des situations de crise.

Mais de quelle forme d’autorité s’agit-il ? Si d’aucun restent encore sur une image caricaturale du militaire « garde à vous petit doigt sur la couture du pantalon », force est de constater que les militaires sont précurseurs en matière de pratiques managériales.

En effet, faisant face à des enjeux RH complexes liés aux contraintes d’emploi opérationnel et aux conditions de travail pénibles, les armées s’emploient à donner à leurs cadres, les outils et les meilleures pratiques pour développer un leadership efficace et maintenir un niveau d’engagement des hommes et des femmes très élevé.

Certes, la question du sens contribue fortement à développer la motivation des militaires et aide à soutenir l’effort des équipes mais les qualités et compétences des chefs est clé pour susciter l’adhésion et mettre en mouvement.

Parmi ces facteurs d’excellence qui caractérisent le commandement, trois méritent d’être soulignés car immédiatement transposables en entreprise :

  • Le courage managérial
  • La formulation des ordres
  • L’aptitude à gérer l’incertitude

Le courage managérial

Le courage managérial est un pilier de la posture de chef. Il impose auprès des équipes la légitimité de l’autorité. En effet, le manager ne doit pas oublier que son statut, et l’autorité qui en découle, impliquent des devoirs. Il doit savoir assumer ce qu’il pense, faire ce qu’il dit et savoir se questionner sur ses propres certitudes.

  • Le courage de dire

Il m’est souvent arrivé de rencontrer cette problématique de managers promus sur la base d’une excellence opérationnelle et sans que l’on se soit assuré de leur aptitude à encadrer ou sans qu’on leur ait offert la possibilité de développer cette compétence. Dans le meilleur des cas, le manager comprend de lui-même son rôle et son environnement.

Cependant, sa légitimité est souvent mise à mal par une forme de transparence face à des événements ou des comportements humains non souhaitables au sein de l’équipe. La crédibilité du chef est aussi pénalisée par un manque d’initiative à souligner ce qui va bien. C’est toute la question du feedback qui se pose.

Les conditions de travail exigeantes et la proximité voire promiscuité forcée que partagent les militaires en opérations rendent cette forme de communication incontournable. Elle est soit informelle constituant des « routines » de management, soit formelle, tel le rendez-vous annuel de la « notation » ou les phases d’évaluation opérationnelle.

Les responsables militaires de tous grades sont responsables d’une performance collective qui se construit sur la base d’un accompagnement individuel et d’entraînements collectifs systématiquement « débriefés » (le RETEX).

  • Le courage de faire

Dire ce que je fais mais surtout faire ce que je dis. C’est le principe de l’exemplarité qui conditionne en partie la légitimité à tenir un poste à responsabilités.

Pour un militaire cela va de sens. Son engagement est naturellement marqué par l’acceptation du risque et de l’action. En entreprise, si le risque n’a pas la même nature, beaucoup d’aspirants aux fonctions managériales hésitent néanmoins à franchir le pas de peur de se retrouver en dehors de leur zone de confort.

L’aguerrissement des cadres militaires façonne leur style de commandement et leur permet d’assumer la forte charge mentale à laquelle ils seront soumis.

  • Le courage de décider

La capacité à prendre des décisions et surtout d’en assumer les conséquences est un marqueur du leadership. Combien de managers fuient cette responsabilité, déléguant à des commissions, comités et conseils le soin de justifier les décisions et d’en diluer ainsi leur responsabilité. Les collaborateurs ne sont pas dupes. Très rapidement se distinguent les managers qui osent et les autres qui tergiversent.

L’exercice du commandement militaire en opération, implique une forte capacité à décider, seul, dans des situations d’urgence qui n’autorisent pas toujours le temps de la concertation. Les écoles de formation des cadres des armées proposent à leurs élèves des exercices de mise en situation pour développer cette aptitude qui conditionnera par la suite leur réussite managériale.

  • Le courage de se remettre en cause

Le jeune officier qui arrive en régiment à 24 ans se trouve rapidement confronté à son inexpérience. Devant diriger un premier cercle de cadres (N-1) souvent plus âgés et toujours plus expérimentés, il devra écouter et parfois savoir laisser la place à l’avis des plus anciens. Plus tard, toujours dans l’exercice de son commandement il devra parfois savoir s’effacer dans une logique où la fonction prime le grade.

Les évolutions de responsabilité souvent associées au passage de grade sont systématiquement accompagnées de longs stages en école de formation. Certes, les « soft skills » se développent au fil des années et souvent sur la base d’un terreau favorable, cependant l’exercice du commandement militaire nécessite également l’acquisition de « hard skills ». Il n’y a pas de carrière écrite par avance mais des parcours jalonnés de remise en cause en école et d’évaluations.

Les carrières de cadres dans le privé ne sont pas formellement challengées sous l’angle des compétences à l’exercice de l’autorité de direction. Les programmes des écoles de commerce, de type Executive MBA, renforcent les compétences dédiées à la compréhension des enjeux stratégiques, économiques et financiers mais ne donnent rarement les clés de l’exercice de l’autorité.

Faute de connaître et de maîtriser les subtilités de rapports hiérarchiques équilibrés, le manager risque de voir s’installer des pratiques managériales maladroites et contreproductives.

Formuler ses ordres

Les entreprises ont bien compris qu’il est important de travailler sur la vision et sur les valeurs. Mais savent-elles dire clairement ce qu’elles attendent de leurs équipes, la finalité de leur engagement au travail ? Trop souvent, les consignes ou objectifs se contentent de fixer le résultat à atteindre sans préciser où doit se produire l’effort.

Lorsqu’un écueil imprévu se dresse sur la trajectoire, les équipes concentrées sur un objectif trop précis devenu inatteignable ne peuvent pas laisser libre court à leur esprit d’initiatives. Lorsque au contraire un terrain favorable se dessine, les équipes n’iront probablement pas exploiter seules les opportunités.

Le commandement militaire en opération s’exprime au travers de cadres d’ordre dont le contenu donne aux équipes subordonnées l’ensemble des informations leur permettant d’agir mais surtout de proagir. Ils sont une condition clé de la réussite des opérations militaires qui nécessite une forte autonomie d’exécution.

Il s’agit du principe de subsidiarité qui prend le parti que l’échelon placé au plus près du terrain est le mieux à même de décider de la mise en œuvre de la mission.

La formulation de ces ordres distingue clairement :

  • La mission de l’échelon supérieur : Ce pour quoi nous œuvrons
  • L’intention : La réalisation spécifique qui permettra la réussite de la mission
  • L’exécution : Les étapes du plan

Pour un militaire en situation de commandement, exprimer ses ordres, revient à mettre en œuvre une réelle délégation pour l’exécution de la mission tout en assumant la responsabilité de la tâche déléguée. Principe de « responsabilité totale » parfaitement exposée par un auteur américain, ancien de forces spéciales, Jocko Willink.

Ces méthodes de commandement militaire ont leur place au sein des entreprises. Outre leur efficacité opérationnelle, elles ont la vertu de permettre le partage d’une information efficace, de créer l’adhésion et de susciter l’engagement.

Gérer l’incertitude

Les théoriciens militaires parlent souvent du « brouillard de la guerre », cet environnement confus où la réalité est souvent différente de ce que l’on perçoit, où très souvent la première victime est le plan de bataille lui-même tant les circonstances ne sont pas conformes à celles attendues.

Le monde des affaires est lui -même soumis à des aléas et à des ruptures de plus en plus violentes. Si le « décideur » militaire est rompu à cette gestion de l’incertitude, le « décideur » civil est moins aguerris.

  • Le goût de l’aventure

C’est à mon sens un phénomène quasi « culturel » chez les militaires car il faut aimer l’incertitude pour avoir envie de l’appréhender. C’est très souvent la source de la vocation. La prise de responsabilité dans une entreprise est aussi une forme d’aventure. Il faut avoir une part de ce goût pour vouloir devenir manager.

  • La méthode

La méthode permet de faire face à l’incertitude. Les travaux d’état-major qui aboutissent à la rédaction des ordres d’opérations consacrent un temps essentiel à la compréhension exhaustive d’un environnement complexe.

Ils conduisent également une réflexion poussée sur les situations « non conformes » pouvant résulter de la conduite des opérations sur le terrain.  Cet exercice de réflexion renforce l’aptitude des décideurs à faire face à l’imprévu.

  • Le droit à l’erreur

Enfin, pour libérer un esprit d’initiative garant de réactivité, il faut considérer un droit à l’erreur. Le seul échec réside dans l’immobilisme. Le commandement de type militaire implique une logique de délégation reposant sur des relations de confiance établies.

A l’instar des chefs militaires, les managers d’entreprise, doivent travailler en amont sur les compétences individuelles et collectives des niveaux subordonnés pour limiter le risque d’échec dans cet environnement économique incertain, changeant et hyper concurrentiel.

Alors manager ou commander ?  Ne faut-il pas aller chercher l’inspiration managériale dans la pratique du commandement militaire ?

Par Charles-Albert Ponce, Ex-officier d’infanterie parachutiste, Ex-directeur général STACI France et
Directeur Associé au sein du Cabinet Pépite

 

 

 

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