Crises successives et place du travail : (re)penser le management et le rôle du collectif
Au cours des deux dernières années, nous avons vécu (et vivons encore) une succession de crises dans les domaines sanitaire, économique ou encore énergétique qui impactent profondément notre société. Restrictions, isolement, cercle de contacts restreint ou encore virtualisation de nos activités sont des éléments qui ont contribué à désincarner (voire déshumaniser) les liens sociaux dans le contexte personnel, mais aussi professionnel.
Les crises accélératrices de changement ?
Dans cette situation de “permacrise”, les entreprises ont adapté avec plus ou moins de réussite leurs modes de fonctionnement et la sensation de “perte de sens” pour certains salariés s’est encore renforcée. Nous utilisons volontairement le terme de “renforcé” car bien avant la crise sanitaire, bon nombre d’acteurs de l’entreprise étaient déjà en situation de “décrochage professionnel” : manque d’adhésion aux projets de la structure, défiance vis-à-vis des valeurs de l’institution, pratiques de management autoritaires liées à la pression quant aux objectifs à atteindre et au fonctionnement en silo.
La dématérialisation des pratiques est venue ajouter une surcouche de complexité à ces éléments. Sur le terrain, cela s’est traduit par des difficultés de recrutement, un turn-over important au sein des équipes et des difficultés de management au quotidien face à ce bouleversement des pratiques professionnelles dans un contexte très incertain.
Le numérique, vecteur de mutation des environnements de travail
Contraints de travailler à distance du fait de la pandémie et des confinements successifs, les salariés ont vu leurs habitudes et rituels de travail totalement et rapidement dématérialisés. Les interactions ont alors profondément été impactées aussi bien dans les temps formels (réunions collectives, points bilatéraux, travaux en groupe, etc.) que dans les temps informels, essentiels pour la communication au sein d’équipes, l’échange d’informations et l’émulation.
Face à un tel changement, quelle est la place du dialogue et de la conversation ? On peut percevoir de nombreuses dérives liées à ces mutations, telles que l’isolement social, des échanges devenus facultatifs pour mener à bien certaines tâches et missions, alors qu’ils étaient auparavant incontournables. De plus, l’hyperconnexion dans laquelle sont plongés de nombreux salariés peut se révéler facteur de développement des risques psychosociaux (insomnies, anxiété, épuisement, etc.). Comme nous l’avons évoqué précédemment, cela amène à perturber l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, avec les impacts sociaux et familiaux que cela a pu engendrer, comme l’a illustré la période des confinements.
Sens donné au travail et “décrochage humain”
Du point de vue du quotidien des professionnels, ces changements “forcés” ont engendré des transformations abruptes dans les relations au sein des équipes : relations entre les managers et les collaborateurs, mais également entre collègues, ainsi que dans les rapports à l’environnement et au rythme de travail. On peut prendre comme exemple la difficulté de placer la limite entre sphère professionnelle et sphère privée ou encore l’irruption du travail dans la vie familiale. De par les questionnements, les remises en question, voire les impacts psychologiques qu’elle a engendrés, la pandémie peut être considérée comme une rupture dans la manière de considérer la place du travail.
Aussi, bon nombre de salariés ont pu mettre à profit cette période particulière pour se questionner sur le sens, la valeur et l’importance donnée au travail dans leur vie. Cela s’est traduit par des démissions dans certains secteurs d’activité (ou à un non-retour sur le lieu de travail suite à un contrat à durée déterminée) afin de se tourner vers des secteurs d’activité moins contraignants ou mieux rémunérés. De nombreux professionnels ont aussi choisi de se reconvertir, notamment par la reprise d’études, de formations ou de certifications.
Gardons à l’esprit que depuis plusieurs années, la notion de bien-être au travail et d’épanouissement professionnel a été le leitmotiv d’un nombre important d’entreprises, alors que dans le même temps les cadences et objectifs à atteindre étaient en augmentation. Dans de nombreux secteurs, la pandémie a d’ailleurs été génératrice de davantage de pression, liée aux objectifs du maintien de l’activité et de la rentabilité. Ce “vernis” de développement de la qualité de vie au travail ne semble pas avoir résisté à la période de pandémie, contexte de crise qui a fait ressortir les travers du fonctionnement de certaines organisations en termes de gestion des équipes et des ressources humaines.
La solution : repenser les relations managériales ?
Comme nous pouvons tous le constater, la digitalisation des processus a profondément changé les pratiques en entreprise et ces modifications perdurent bien après les périodes de crise. Ce cadre, décrit comme “déshumanisé” par certains salariés et associé à une forte perte de sens et de motivation, doit être considéré par les managers comme un signal d’alarme. L’enjeu va donc être, tout en gardant l’efficacité et la praticité apportées par le numérique, de repenser l’entreprise comme un lieu de construction et de développement collectif. En d’autres termes, comment remettre l’humain au centre du système entrepreneurial ?
Pour cela, pourquoi ne pas envisager le salarié ou le collaborateur non pas comme un maillon utile de la chaîne, mais comme un contributeur éclairé dans le renouvellement des processus de l’entreprise ? En pratique, cela consiste à rendre les salariés acteurs du changement et de ce fait à repenser les pratiques managériales.
Cela peut passer par la mise en place de temps et d’espaces d’échanges au cours desquels les salariés seront associés à des décisions structurantes pour l’entreprise ou bien à une réflexion sur les valeurs de l’entreprise au regard des changements induits par les crises. On peut aussi envisager de proposer aux salariés de réfléchir collectivement à leurs besoins dans ce nouvel environnement numérique, et de les accompagner dans la formulation d’actions concrètes destinées à faire évoluer leur environnement. Lors de la mise en place de ces temps spécifiques où les interactions humaines sont primordiales et incontournables, le manager endosse alors le costume d’animateur de communautés et accompagne le changement par, pour et avec le collectif.
Par Chloé Duvivier, consultante, Cofondatrice de KraftyKameleon : Diplômée de Sciences Po Paris, Chloé Duvivier a exercé en tant que consultante en organisation conduite du changement puis en tant qu’ingénieure pédagogique. Elle est spécialiste dans l’accompagnement de la transformation de structures, notamment dans le domaine du digital. Elle intervient également dans la mise en place de méthodes de créativité au sein d’équipes.
Par Yann Verchier, Formateur, Cofondateur de KraftyKameleon : Titulaire d’un doctorat de l’Université Paris VI, Yann Verchier mène des recherches en sciences de l’éducation et de la formation. Spécialisé dans le digital learning, il anime des formations en France et à l’international concernant les mutations personnelles et professionnelles liée à l’essor des nouvelles technologies.