Management et rhétorique : même pratique

Combination de science, art et expérience, management et rhétorique s’allient pour être responsables d’une action collective féconde.

C’est joyeusement irrévérencieux, donc, sérieusement nécessaire.

Ce qui suit va nuire aux convictions que vous avez chevillées au corps. Peut-on renoncer à désenclaver la pensée, lorsqu’il s’agit d’introduire du mouvement, de faire bouger les curseurs, d’inventer de nouvelles manières d’appréhender notre temps ?

Vous avez fréquenté une école prestigieuse. Une de ces écoles à trois ou quatre lettres que l’on nomme une « Buisness School », dans la langue de Wellington et qu’en France est aussi incontournable que les trois principes de la thermodynamique.

Elle vous a permis d’afficher des compétences analytiques outrageusement poussées. Vous y avez appris à planifier, organiser, coordonner, piloter, contrôler, théoriser la coopération en milieu de contrainte économique.

Une fois en entreprise, vous l’avez frappée du meilleur enseignement que l’on vous a dispensé : la quantophrénie. Vous avez cru que le management n’était qu’une science, mais cela ne vous a pas empêché de considérer les théories comme des certitudes.

Vous avez fait de l’acharnement calculatoire, des statistiques glacées, des chiffres anonymes et de l’efficacité algorithmique, l’alpha et l’oméga de votre gestion molle.

Vous avez pris l’exact pour le vrai, convaincus que toutes les questions accidentées de la vie d’une Organisation pouvaient être aplanies, aménagées et transformées en questions lisses et fluides.

Hélas, le management ne peut pas se mettre en équations. Le management est d’abord un art et, pour une bonne part, un art du langage. Étymologiquement, ce mot vient du latin. Il signifie « La main qui agit ». Manager, c’est « Manipuler ».

Écoutez-vous. Rien que le terme, vous le prononcez en « Franglais ». Vous partez du français, mais vous y ajoutez de la dentale. En sortant de votre bouche, c’est un mot qui ne sait même pas dans quelle langue il existe. C’est donc dire à quel point, il ne connaît pas son propre sens !

Le concept est flou. Son avachissement sémantique le conduit à servir des pensées erratiques. À traiter l’humain tel une « Ressource », comme si la gestion des Hommes n’était qu’une affaire d’efficacité, à ménager comme on ménage une monture.

Nous savons, depuis toujours, que les mots créent des réalités et que le lexique est important, parce qu’on regarde les gens comme on leur parle.

Malgré les approches bienveillantes et la phraséologie lénitive, le management moderne est souvent broyant.

Il laboure l’humain, parfois jusqu’à l’aliénation, s’il ne s’appuie pas sur une connaissance intime du réel de l’Organisation.

Les « Humanités », absentes de votre parcours, vous ont privés de tant.

C’est par les Humanités que l’on parvient à l’humanisme !

Peut-on déceler les subtilités de la nature humaine, saisir les opportunités et les menaces qui résident dans la compréhension des signaux faibles, ou encore, sonder le concret avec ses contradictions et sortir des évidences pour innover, sans cultiver le discernement ? Faire confiance à la force des intuitions ? Interroger la nuance ? S’appuyer sur l’éthique ? Percevoir la singularité des situations ? Fréquenter le doute ?

Avoir la responsabilité d’une action collective est une performance qui ne peut pas se contenter de dire ce qui est. Elle doit faire être ce qu’elle dit.

De la « manipulation » à la responsabilisation

Le management évolue. Aujourd’hui, il se veut de moins en moins vertical.

Tout se joue autour de l’engagement. De l’adhésion à une autorité courageuse qui jongle avec des injonctions paradoxales.

La place est bien réduite pour celui qui fait valoir un statut, montrant qu’il peut ce qu’il peut parce qu’un coup de dés l’a nommé Chef.

En tant que chef d’entreprise, dirigeant, manager qui assume son leadership, comment pensez-vous augmenter et mieux orienter les énergies ?

Comment estimez-vous nuire à la bêtise organisationnelle de l’entreprise ?

Comment comptez-vous exhausser tout ce qui assure la vitalité de l’Organisation, même quand cela ne constitue guère une valeur mesurable ?

Pouvez-vous avoir la prétention de penser le monde, d’en expliquer la complexité, de convaincre à s’y plonger, si vous snobez le premier atout, votre verbe ?

Vous voyez bien que la maîtrise de l’art oratoire est une condition de votre responsabilité. En cela, il s’agit d’une compétence indélégable.

Hélas, comme le management, la rhétorique est subrepticement passée du statut d’art de la parole, assis sur la technique, à celui de « Théorie du discours ». Il suffit de se pencher sur ce que vous faites de ce harpon cognitif que l’on nomme le « Pitch ».

À bord du vaisseau du verbe qu’est l’oralité, vous passez de la proue au fond de cale.

Puisque vous n’habitez pas les mots, alors qu’il faudrait endosser ses propos comme on endosse une responsabilité, votre rhétorique creuse à pleurer, vous entraine vers de nouveaux abysses.

Vous suivez une méthode donnée. Vous construisez un plan.

Même si votre enrobage oratoire – qui flirte parfois avec le sabir de maquignon – mobilise Marc Aurèle pour potentialiser la conquête des marchés, dans le secteur du roulement à billes, votre discours reste d’une pâleur fade.

Cela ne servira à rien d’haranguer votre auditoire comme Napoléon ses troupes, au pied des pyramides.

C’est par la densité de l’être que l’on se saisit véritablement de la parole et qu’un discours acquiert sa puissance.

Le verbe porte, lorsque l’être de l’orateur y resonne. Avec toute sa sincérité. Avec le seul projet d’éclairer la voie et les autres.

Persuader, c’est de la manipulation, mais pas dans le sens que vous craigniez.

Persuader, c’est décider de prendre en main un échange, avec une fermeté non-dépourvue de tact et doigté, tout en choisissant avec des gants, le récit, le ton et le souffle à-propos.

Manager par la parole exige de chercher le meilleur coefficient de pénétration dans les esprits et les sensibilités, pour combler la distance qui sépare.

Tout un art : peser les mots au trébuchet, pour aller toucher les autres.

Les convaincre par vos propres raisons. Les mettre en mouvement par les leurs.

Dans l’univers froid et austère de la gestion et de la production, l’art oratoire devient le supplément d’âme qui, loin de manipuler pour rendre conforme, fait ressortir l’autonomie et l’intelligence des individus.

Par Vanna Araldi, consultante et formatrice en art oratoire, fondatrice de « La Parole Élancée »

Nos contributeurs

Nos contributeurs vous proposent des tribunes ou des dossiers rédigées en exclusivité pour notre média. Toutes les thématiques ont été au préalable validées par le service Rédaction qui évalue la pertinence du sujet, l’adéquation avec les attentes de nos lecteurs et la qualité du contenu. Pour toute suggestion de tribune, n’hésitez pas à envoyer vos thématiques pour validation à veronique.benard@gpomag.fr

Du même auteur

Bouton retour en haut de la page

Adblock détecté

S'il vous plaît envisager de nous soutenir en désactivant votre bloqueur de publicité