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Les robots, inventeurs de demain ?

En matière de dépôt de brevets aussi, le développement de l’Intelligence Artificielle ne fait aucun doute. Mais, malgré l’augmentation du nombre de demandes actuellement déposées sur des inventions d’Intelligence Artificielle (IA) — dont l’Office européen des brevets (OEB) rapporte une augmentation de 500 % en 5 ans — les « programmes d’ordinateur en tant que tels » restent toujours officiellement exclus de la brevetabilité en Europe.

Complexe brevetabilité de l’IA en Europe
Aujourd’hui, pour obtenir un brevet sur une invention en Europe, celle-ci doit répondre aux critères de nouveauté stricte et d’activité inventive. Dans le cas des inventions d’IA s’ajoute le fait que l’OEB exclut de la brevetabilité les méthodes mathématiques, la présentation d’information et les programmes d’ordinateur en tant que tels. Ainsi, une invention consistant en un algorithme de machine learning, qui arrangerait automatiquement les icônes d’un smartphone en fonction de la fréquence d’utilisation pourrait, par exemple, recevoir une objection en lien avec l’exclusion des méthodes mathématiques (l’algorithme n’étant que l’utilisation de statistique d’utilisation) et en lien avec la présentation d’informations (réarrangement des icônes). Néanmoins, notre pratique quotidienne dans l’obtention de brevets européens montre que l’OEB n’émettra pas une telle objection si l’algorithme contient au moins une caractéristique technique. La frontière entre caractéristique technique et non technique étant très mince, elle dépendra pour beaucoup du domaine d’application de la technologie. Un domaine tel que l’ingénierie – où le machine learning est généralement appliqué sur des données correspondant à des propriétés physiques – est, par exemple, propice à une caractérisation technique, tout comme le sont la médecine et les biotechnologies, souvent basées sur des données provenant d’expérimentation ou d’imagerie .
Penser que les inventions d’IA ne sont pas brevetables serait une erreur : de nombreux brevets sont délivrés tous les jours en Europe sur de telles inventions, dont des brevets sur des technologies « de base » en IA. Leurs titulaires obtiennent ainsi un monopole, les rendant difficilement contournables dans les prochaines années.

Il n’existe encore que peu de cas traitant de ces inventions dans les chambres de recours de l’OEB, mais l’augmentation des dépôts de demandes de brevets devrait faire émerger de nombreux litiges d’ici quelques années et aboutir à la naissance d’une jurisprudence européenne. Il convient donc de suivre attentivement ces cas pour établir, à date, les chances de délivrance d’un brevet portant sur une invention d’IA et pour le conseil en propriété industrielle d’adapter la rédaction des demandes de brevet en conséquence.

Quel droit pour les inventions créées par des Intelligences Artificielles  ?
Les définitions existantes des systèmes d’Intelligence Artificielle sont nombreuses, mais la plus reconnue distingue les IA par sept critères : la Créativité, qui permet à une IA de créer de nouveaux éléments, les Résultats Imprédictibles, basés sur des algorithmes capables d’effectuer des mutations aléatoires, l’Intelligence Rationnelle, permettant au système de choisir les données à utiliser, la capacité d’Evolution, d’Apprendre, de Collecter, d’avoir Accès et de communiquer avec des données extérieures, l’Efficacité, la Précision et la Liberté de Choix.
Ces critères peuvent amener une IA à la création d’une nouvelle invention répondant au critère de nouveauté et d’activité inventive, sans l’intervention d’un être humain dans le process « créatif ». La question de la désignation des inventeurs interroge alors car le statut d’inventeur n’est prévu dans le droit européen que pour des personnes physiques. Pour le moment, l’absence de personnalité juridique pour les IA oblige à désigner comme inventeur un être humain à leur place, mais qui nommer ?

Complexe attribution de la titularité de l’invention
Outre la question de l’inventeur, la question de la propriété d’une invention faite par une IA et donc de la titularité du brevet s’apprête à devenir un enjeu juridique majeur, en raison de la multiplicité des acteurs souvent nécessaires pour arriver à une invention brevetable. Prenons le cas d’un programme utilisant de l’IA d’analyse d’images développé par la société X qui est envoyé dans un laboratoire A, où il va « apprendre » et s’améliorer grâce aux résultats d’IRM de ce laboratoire. Puis, ce programme amélioré est envoyé dans un laboratoire B où, à nouveau soumis aux images d’IRM du laboratoire B, va encore s’améliorer. Cette procédure peut être répétée un nombre incalculable de fois, jusqu’à ce que le programme soit capable de lire des images d’IRM et y détecter un cancer dans 90% des cas. Mais alors, qui a le droit d’être titulaire du brevet sur cette invention ? On pourrait dire qu’elle appartient à la société X qui l’a développée initialement, mais celle-ci n’aurait pas abouti à la version fonctionnelle du programme sans les données fournies par les laboratoires A, B et suivants.
Puisqu’il n’existe pas encore de jurisprudence sur ces questions, il est important de réfléchir en amont à la stratégie de partage de la propriété intellectuelle pour rémunérer chaque acteur à sa juste valeur et limiter de futurs conflits. L’idéal étant d’encadrer préalablement toutes les collaborations par des contrats répartissant à l’avance les droits sur les résultats et la titularité des brevets qui en seront issus.

Le nombre croissant de dépôts de brevets sur des inventions réalisées par des Intelligences Artificielles ou portant sur des IA est le signe que ce domaine ne relève plus du futur mais bien du présent. Il est impératif pour les acteurs du domaine de surveiller attentivement l’évolution des brevets accordés sur ces inventions et de réfléchir dès à présent à leurs implications tant sur la qualité d’inventeur d’une IA que sur la titularité des brevets qui en sont issus. Une piste pourrait être la mise en place d’un nouveau « Droit des robots » qui décernerait une personnalité juridique à ces entités et permettrait la reconnaissance de leur statut d’inventeur, voire même une rémunération s’inspirant de l’invention de salarié et d’un patrimoine propre ?

Par Magali Touroude Pereira, fondatrice du cabinet Touroude & Associates et de YesMyPatent.com

La rédaction

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