Le travail collaboratif augmente-t-il l’intelligence collective ?

Voilà une grande question que se posent nombre d’entreprises. Il n’existe pas, ou pas encore, d’outils de mesure de l’intelligence collective. Touchant à l’écosystème complet et global de l’entreprise ainsi qu’à sa culture, le sujet est d’importance. Panorama des principales conditions du succès et des écueils majeurs.

En premier lieu, notons que le travail colla­boratif génère une meilleure reconnaissance par la responsabilisation du collaborateur vis-à-vis du collectif. Un tel mode de fonction­nement doit logiquement aboutir à la valorisation de ses compétences et à l’émergence de son expérience ce qui, en principe, doit être à la source d’une motivation accrue, d’une fidélisation plus nette et, au final, d’une réduction du turnover des salariés. Selon Vincent Bouthors, président et co-fondateur de Jalios, éditeur français d’intranet collaboratif, « il est nécessaire de dynamiser l’échange et le partage de l’information » et indépendamment des communautés transverses qui peuvent être développées dans l’entreprise, il est indispensable que la communication soit fluide. « Il y a nécessité à communiquer des décisions et qu’une vision commune soit partagée dans l’entreprise. Ce ne sont pas des sujets séparés qui doivent être traités dans des silos applicatifs séparés mais c’est au sein de la même plate-forme que l’on peut collaborer de façon efficace ». Et ainsi valoriser les collaborateurs. Par ailleurs, ce mode d’organisation d’une équipe, ne concerne pas uniquement l’interne. « Les RH doivent avoir une vision élargie de leur champs d’actions ; dans la gestion des talents pour l’amélioration de la performance, il faut aussi tenir compte des interlocuteurs qui ne sont pas nécessairement, ni toujours, dans l’entreprise, mais qui jouent souvent un rôle important : distributeurs, vendeurs, partenaires, sous-traitants, fournisseurs et même clients », estime Geoffroy de Lestrange, directeur marketing Sud Europe de Cornerstone, une société d’édition de solutions dédiées à la gestion des talents (en mode Saas*). Parmi les nombreuses économies induites, il souligne : « un bon outil collaboratif peut par exemple mettre en lumière les experts internes de l’entreprise et donc éviter d’avoir recours à des formations externes toujours onéreuses ». Valorisation du salarié et économies pour l’entre­prise, voilà déjà deux points importants pour tout dirigeant.

Le collaboratif, oui, mais pas sans adhésion culturelle
« Le changement que représente le mode collaboratif passe nécessairement par l’adhésion sans réserve de l’ensemble des salariés concernés », nous dit Emmanuel Buée, dirigeant associé co-gérant de H3O, un cabinet spécialisé dans la gestion des ressources de transition.
Ce spécialiste donne l’exemple de l’amélioration de la performance sur un site de production. « Un tel objectif suppose et impose que le donneur d’ordre, souvent le dirigeant, accepte d’être le responsable des dysfonctionnements que nécessairement nous allons constater ». Effectivement, pourquoi appeler un expert si ce n’est pour identifier les difficultés ? Pas toujours facile à accepter pour le responsable concerné ; cette condition posant le problème des freins à l’installation de tout nouvel outil collaboratif. Autre prérequis, la migration vers le mode collaboratif suppose que le manager apprenne à accepter que « …chaque utilisateur se voit définir sa mission et ses responsabilités » (allégeant d’autant les tâches de surveillance directe du manager), comme le rappelle Gilles Lavalou, président de NQI, une société éditrice de logiciels, spécialisée dans l’univers dédié à la gestion collaborative de projets.
Autre condition du succès, le bon timing : « La conduite d’une période de mutation d’une organisation ne peut être mise en œuvre que dans une entreprise qui va bien, et non en période de crise ou de difficultés », souligne Emmanuel Buée de H3O.
En clair, il ne faut pas croire que le travail collaboratif soit la panacée universelle pour résoudre les problèmes d’une entreprise, dont les diffi­cultés résident probablement dans des maux économiques plus profonds.

Certains freins peuvent être difficiles à desserrer
Parmi ces freins, nous en citerons deux majeurs. D’une part l’ego, car tout responsable de département ou de projet voit ses prérogatives et ses privilèges de « chef » plus ou moins altérés. D’autre part, la réduction et la défense de son pré carré sont les conséquences logiques du partage sincère et véritable de l’information, venant automatiquement réduire le sentiment de maîtrise unique du savoir-faire du respon­sable. « Dès qu’on partage l’information… on ouvre son pré carré aux autres », déclare Pascal Christin, consultant-formateur en management chez CSP Formation. Cette société a d’ailleurs mis au point un module de formation complet sur le thème du partage du leadership. Un concept surprenant qui vient chambouler l’organisation pyramidale traditionnelle de nombre d’entreprises ! Véritable révolution touchant à la culture de l’entreprise mais aussi à la psychologie intime de chacun, cette évolution est une perspective et un sujet particulièrement sensibles pour nombre de dirigeants ou de cadres responsables. Refuser de perdre son leadership – de façon plus ou moins visible – constitue même souvent la principale racine de l’échec – partiel ou total – de l’installation d’un outil collaboratif. De par son métier, qui est d’être toujours au cœur des dernières évolutions et résistances individuelles dans l’entreprise, ce que nous en dit ce formateur est à souligner : « Le rôle du manager (dans une organisation collaborative – ndlr) n’est plus de dire comment travailler à son équipe, mais plutôt d’être le garant du sens du service que rend l’entreprise à ses clients ». En d’autres termes, il s’agit de responsabiliser ses salariés et non plus de les infantiliser.

Le risque d’usine à gaz !
Il semble possible d’éviter cet écueil. C’est en tout cas l’avis de Jean-Marie Zirano, vice-président Stratégie Produit de Mega International, une société éditrice de logiciels, spécialisée dans l’aide aux entreprises pour modéliser leur architecture et leurs process. « Ce risque est réduit à partir du moment où l’on a une vision claire de l’organisation à mettre en place et des objectifs à atteindre. Je rappelle qu’un outil collaboratif ne fabrique pas une organisation, il est à son service », explique-t-il. Un point à ne pas perdre de vue. Par ailleurs pour réduire, voire éviter le risque « d’usine à gaz », il n’est pas nécessaire d’envisager d’un bloc et bruta­lement l’application du mode collaboratif dans toute l’entreprise et dans tous ses services ou ses départements. « …il y a aussi des risques de friction entre services qui ne fonctionneraient pas sur le même mode », confirme Pascal Christin. Il vaut donc mieux commencer modestement et progressivement. Dans un premier temps, l’application du mode collaboratif peut être rodée sur des missions simples et très précises : l’amélioration de la productivité d’un poste de travail, le regroupement d’une équipe dédiée au traitement d’un seul et unique client… etc. Objectif : faire découvrir et faire accepter progressivement aux salariés concernés les atouts de l’outil collaboratif.
Si mieux travailler ensemble induit l’augmen­tation des échanges entre collaborateurs, il faut également une amélioration des relations sociales entre les individus. C’est ce que Geoffroy de Lestrange, de Cornerstone, appelle le social learning, autrement dit, il faut tenir compte de ces aspects sociaux dans le développement des compétences individuelles au profit du collectif.

À un tableur, préférer un outil spécialisé
Le logiciel leader du marché, Excel de Microsoft, est un programme très puissant mais il n’a pas été conçu pour être un outil collaboratif. Ses fonctionnalités sont nombreuses mais leur maîtrise intégrale est complexe et rare. Il faut faire plus simple, notamment au départ, et surtout utiliser un outil adapté, par exemple à la gestion de projets. Une société comme NQI s’est spécialisée dans cet univers dédié aux projets, avec parfois des centaines, voire des milliers d’utilisateurs. « Dès que le projet devient complexe ou que le nombre de projets à gérer se multiplie, on atteint assez vite les limites d’un tableur. Certes, notre solution nécessite une formation et un accompagnement de nos clients, mais avec la formation, nous apportons aussi les bonnes pratiques relatives à la gestion de projets », précise Gilles Lavalou, président de NQI.

À propos de la sécurité
Il apparaît préférable de confier à une société tiers externe les données stockées par un outil collaboratif. Une entreprise ne pourra, a priori, jamais mettre autant de moyens techniques et financiers qu’une société spécialisée, ce que confirme Geoffroy de Lestrange : « Nos clients ne peuvent pas mettre les moyens que nous consacrons au plan mondial à tous les niveaux de la sécurité informatique et physique car, pour nous, la protection des données est vitale, sinon nous mourrons demain. Par ailleurs, le mode Saas est par construction plus sécurisé qu’une solution hébergée dans l’entreprise ; nous allons par exemple jusqu’à faire travailler des hackers qui tentent de casser nos sécurités ». Convenons qu’une telle pratique, déjà rare dans une grande entreprise, est probablement inaccessible à toute PME.
En conclusion, « nous sommes dans une phase de saut quantique qui correspond à l’abandon programmé, et sans doute inéluctable, de l’organisation pyramidale », estime Pascal Christin, consultant-formateur chez CSP Formation.
Selon Josh Bersin, grand spécialiste américain des ressources humaines et du management des compétences, « il faut considérer ses collaborateurs comme des clients et les traiter avec autant d’égard, de respect et de volonté pour les conserver ». Outre l’optimisation des performances de l’entreprise dans sa globalité, valoriser et motiver ses collaborateurs constituent l’un des autres grands atouts des outils collaboratifs.
Leur arrivée dans l’écosystème de l’entreprise semble par ailleurs inéluctable. Dans un monde où le numérique bouleverse la planète entière, permettant à tous l’accès tous azimuts à l’in­formation, comment lutter ? Les réfractaires risquent fort d’être rattrapés par le progrès, par les nouvelles technologies ou… par leurs concurrents !

 *Saas : Software as a service

Philippe DERMAGNE

 

 Quelques clés de l’intelligence collective
  • Une direction générale engagée et en réelle capacité et volonté de changement
  • Une culture d’entreprise dont on aura vérifié la cohérence ou l’adaptabilité, avec le principe du partage des informations
  • Une bonne formation de tous au logiciel utilisé
  • Veiller à la complémentarité des compétences avec des missions clairement définies pour chacun
  • Intégrer les vertus de l’échec, en acceptant que du collectif sortent de bonnes ou de mauvaises idées.

Philippe Dermagne

En 1980, il crée sa propre société, une agence de publicité dédiée au BtoB, à la communication par l’écrit et à la motivation des forces de ventes. En 1995, il fonde l’une des toute premières agences multimédia française, en mettant en place un développement international en Suède, UK et Brésil. Depuis 2007, il est un journaliste qui présente la particularité d’avoir plus de 30 années d’expérience en tant qu’entrepreneur. Ses terrains de prédilections : les RH, le développement durable, la gestion de flotte automobile. Son second métier : l’animation de colloques, tribunes et grands séminaires d’entreprise.

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