Le pouvoir des réseaux business de femmes

Pour promouvoir la place des femmes en entreprise à des postes exposés et à fortes responsabilités, des lois ont été votées et des entreprises prennent conscience qu’au risque de déplaire aux consommateurs et à l’opinion publique de plus en plus sensible au sujet de la parité, les marqueurs de la réussite se doivent d’être accordés au masculin comme au féminin.

Les femmes qui sont plus diplômées et qualifiées que les hommes, puisque 49 % d’entre elles ont un diplôme universitaire contre 40 % d’entre eux, ressentent une réelle injustice d’être encore entravées dans leur ascension professionnelle.

Formations, coachings, ouvrages de développement personnel, rôles modèles, chacune à sa façon met en place, avec le soutien ou non de leur entreprise, des actions visant à travailler ses compétences, sa posture, pour convaincre les décideurs de leur carrière et elles-mêmes … qu’elles méritent la place qui leur revient.

Au-delà de leurs efforts individuels, nous voyons de plus en plus apparaître des réseaux, des cercles, des clubs regroupant des femmes avec des intérêts professionnels communs.

Si les regroupements exclusivement féminins ne sont pas une nouveauté, ils ont la particularité aujourd’hui de se multiplier et de construire un maillage stratégique autour des domaines relatifs au pouvoir.

Ces mouvements ne font pas l’unanimité chez les hommes comme chez les femmes. On leur reproche l’entre-soi, qui ne permettrait pas d’inclure l’autre sexe dans le changement des comportements ; la stigmatisation des femmes en tant qu’êtres fragiles dans le monde du travail et qui nécessiterait qu’elles se protègent entre elles ; leurs supposées rivalités, qui reproduiraient dans ces cercles féminins des phénomènes de domination contre-productifs à leur cause.

Alors, les femmes sont-elles réellement des rivales ? Est-ce que l’entraide entre femmes est possible en milieu professionnel ? Leur soutien mutuel est-il un moyen d’accélérer leur ascension professionnelle et la performance des entreprises ?

La rivalité féminine, une réalité ?

« Il y a une place spéciale en enfer pour les femmes qui n’aident pas les autres femmes », a déclaré Madelaine Albright. Et pourtant, une étude du Workplace Bullying Institute (USA) précise que, lorsque les femmes harcèlent au travail, elles ciblent majoritairement d’autres femmes, et cela dans 65% des cas. Par ailleurs, de manière générale, quand elles entrent en conflit, elles le sont deux fois plus avec des femmes qu’avec des hommes.

Selon une étude de l’IFOP (2024), 22 % des Français, hommes et femmes confondus, expriment une préférence pour être dirigés par un homme, tandis que 8 % préfèrent une femme. Les répondantes représentant 50 % de cet échantillon, il est possible d’imaginer qu’elles donneraient donc un accord de confiance plus significatif et facile aux managers hommes qu’aux managers de leur propre sexe.

Les stéréotypes sont complexes et pernicieux, car au-delà des statistiques, ils sont nourris d’exemples individuels généralisés et qui confirment alors des biais de perception.

Ainsi, chacune et chacun peut conter sa propre anecdote relative à une « reine des abeilles », à savoir une femme de pouvoir dans un environnement de travail ou strate décisionnaire plutôt masculins, qui s’évertuerait à freiner la carrière d’autres femmes. En effet, entrer et rester seule dans une instance de gouvernance est encore un privilège rare. Ce sont souvent ces femmes qui légitiment leur place en déclarant « Je ne suis pas une femme quota ! », faisant référence aux obligations prévues par la Loi Rixain (1).

Au-delà de ces réalités, il est nécessaire de comprendre dans quels environnements et cultures, ces attitudes peuvent s’inscrire.

En effet, comment en vouloir à ces « reines des abeilles » qui ont réussi par un travail acharné à accéder avec difficulté à une part de gâteau si infime pour les femmes ? Comment ne pas comprendre la combativité qu’elles mettent à protéger leur territoire. Peu de femmes arrivant au sommet, les autres sont perçues comme des rivales.

Par ailleurs, si les conflits entre femmes sont plus nombreux qu’avec des hommes, ne faut-il pas relier cela au fait que s’attaquer à un semblable de même niveau d’influence, en l’occurrence faible, est plus facile qu’à un décisionnaire, dans le cas précis en entreprise souvent un homme ? S’attaquer aux plus faibles n’est malheureusement pas une particularité féminine.

Ne faisons-nous pas porter aux femmes dans cette rivalité entre elles, l’ignominie suprême et impardonnable ? Car qu’y a-t-il de pire que de trahir les sien(ne)s ?

Pourtant, à ce jour, aucune recherche scientifique n’a démontré que la rivalité entre femmes au travail était plus intense que celle entre hommes…

L’entraide entre femmes, une voie pour la parité ?

La solidarité n’a pas de genre. Les femmes le sont tout autant que les hommes. Elles ont fait partie des réseaux de femmes résistantes, ont remplacé les hommes dans les usines et aux champs pendant les grandes guerres … Elles se sont, aussi, de tout temps entraidées, pour élever les enfants, s’occuper des personnes âgées, réaliser des trocs alimentaires dans les temps difficiles, tâches qui leur étaient assignées.

Si les cercles de soutien entre femmes existent depuis toujours, pourquoi ne pourraient-ils pas exister au profit de leur carrière professionnelle ?

À l’instar des Boys’clubs (groupe de fraternité) qui rassemblent généralement des élites masculines, les clubs Business de femmes se sont multipliés et se comptent en plusieurs centaines sur tout le territoire. S’il faut construire un nouveau leadership authentique et singulier grâce à la parité, il est aussi utile de s’inspirer des pratiques et comportements qui ont réussi aux décisionnaires d’aujourd’hui, pour la plupart des hommes. Le réseautage est l’un d’entre eux.

À ce jour, il n’existe pas de recensement exhaustif des réseaux féminins. Il faut, en effet, comptabiliser à la fois tous les clubs généralistes (PWN, …), les clubs spécifiques à l’entrepreneuriat (Sista Bouge ta boîte, MEDEF Club Femmes), ceux destinés à la recherche d’emploi (Force Femmes, …), ceux par métiers ou secteurs d’activité (Women in AI (WAI), Financi’Elles…), ceux qui sont des Think & Do Tank visant à accélérer l’accès des femmes aux plus hauts postes de direction (Women For CEO), sans compter ceux des grandes écoles et de grands groupes d’entreprises (SH’ELLES, EllesVMH…). Il y a de quoi s’y perdre.

Comme les hommes, l’attente principale des femmes en adhérant à ces réseaux est d’accéder à des contacts utiles, car seuls 39% des femmes estiment avoir un bon réseau professionnel contre 49% des hommes. Elles sont seulement 29% à utiliser leur réseau pour générer des opportunités professionnelles vs 45% des hommes. Ce grand nombre de clubs a donc son intérêt, car elles les jugent comme nécessaires (65%) voire indispensables (46%) (2).

En étant si nombreux, ils témoignent de l’important besoin que ressentent les femmes d’être entre elles pour échanger sur des sujets de compétences, de perspective de carrière, des relations humaines et dynamiques de pouvoir qu’elles vivent en entreprise et de créer des réseaux d’affinités. Dans un environnement où elles ne se sentent pas jugées et où les obstacles sont partagés sans faux-semblant, elles constituent un groupe d’alliées. C’est le principe de la « Shine Theory » qu’elles mettent en pratique en se soutenant. Le rayonnement de chacune se diffuse par capillarité.

En s’assurant de la réussite des autres par des coups de main et de l’influence (prévenir des postes ouverts au recrutement, favoriser les rencontres d’affaires …), elles se garantissent ainsi leur réussite. Ce procédé peut sembler intéressé, mais l’est-il plus que d’autres réseaux, masculins ou mixtes ? Par ailleurs, si les réseaux des femmes sont plus réduits, il est toutefois composé de plus d’amitiés et de connivences authentiques que dans des groupes mixtes. De plus, on y trouve une réelle volonté de faire avancer la cause commune qu’est la parité. Ces cercles sont ainsi une riposte malicieuse au procès de rivalité féminine.

La mixité plus performante que la sororité ?

De nombreuses voix s’élèvent contre ces réseaux féminins. Elles viennent des hommes comme des femmes.

À juste titre, il est souligné que certaines études qui illustrent la performance des entreprises présentant des programmes de parité prennent en compte l’ensemble des diversités (sexe, âge, origine …) et pas seulement la diversité de genre.

De même, elles et ils craignent que ces groupes reproduisent l’entre-soi tant reproché aux hommes. Les cercles mixtes permettent d’intégrer des hommes alliés de la parité, qui sont les décideurs influents d’aujourd’hui pouvant faire bouger les lignes et les pairs de demain dans les gouvernances d’entreprise. Pour un monde du travail plus juste et plus équitable, la ségrégation des sexes est-elle si productive aux causes des femmes et aux performances des entreprises ?

De plus en plus de réseaux féminins s’ouvrent aux hommes. Certains ont mis en place des co-présidences pour marquer cette volonté. D’autres ont réalisé des groupes de travail mixtes, pour soutenir leur mouvement.

Cependant, force est de constater que, malgré ces initiatives, les premiers restent désespérément féminins. La mixité existe puisqu’il y a un mélange de femmes et d’hommes, mais il ne s’agit pas de parité, car il n’y a pas d’égalité parfaite en nombre ; ces clubs en accueillent trop peu pour faire changer les stéréotypes.

Pour les mouvements féminins qui incluent les hommes dans leurs réflexions et leurs actions, ce sont les plus convaincus qui les rejoignent. Ils ont déjà pris conscience des situations et comportements, dont les leurs, qui en entreprise privent les femmes d’accès aux postes près d’eux.

Certains ne se voient pas les rejoindre de peur de se voir accusés d’opportunistes ou de se ressentir homme « alibi », comme des femmes dans un cercle constitué en majorité d’hommes.

Les réseaux mixtes au profit de la parité ne sont pas encore la norme.

Les réseaux féminins sont des moyens puissants pour accélérer l’accession des femmes aux postes à responsabilités, en leur offrant des opportunités, du soutien et un espace où elles peuvent échanger librement.

Ils sont une réponse, peut-être temporaire, aux inégalités persistantes dans les parcours de carrière.

Cependant, l’objectif ultime n’est pas de substituer un entre-soi par un autre, mais bien de parvenir à une réelle égalité des chances. Les cercles féminins, comme les quotas, sont des chemins à emprunter le temps de rééquilibrer ces inégalités.

Ainsi, la solidarité féminine peut devenir un véritable levier de changement, tant pour les carrières individuelles que pour la performance des entreprises. Ces dernières tirent parti de viviers de ressources souvent inexploitées et peuvent exprimer plus librement leurs ambitions et leurs motivations.

Par Karine Lair, Directrice Générale d’Oasys Dirigeants et Oasys Carrière

(1) La loi Rixain a été promulguée le 24 décembre 2021 sous le nom officiel de loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle.

(2) Source Ipsos : www.ipsos.com/fr-fr/le-reseau-professionnel-un-must-have-pour-reussir-sa-carriere-pour-2-cadres-sur-3

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