Lapin et héron : l’immobilisme est une faute quand la patience une stratégie

Le monde animal regorge d’analogie avec la vie en entreprise. Il faudrait l’observer avec plus d’acuité pour en tirer des enseignements riches et adaptés à notre environnement professionnel. Les images marquent parfois plus que les longs discours. 

La théorie du lapin

Le lapin pris dans les phares d’une voiture se fige. Il pourrait s’échapper par la droite, par la gauche, opérer un demi-tour. Mais il choisit de rester au milieu de la chaussée, s’exposant au danger maximal, au péril de sa vie.

Il en va de même dans l’entreprise.

Tétanisés par un changement, un manager toxique, une orientation stratégique qu’ils peinent à comprendre, certains collaborateurs s’immobilisent, comme si « ne rien faire » pouvait être une protection face aux évènements. Dans une carrière, refuser le changement, circonscrire ses périmètres, considérer immuable sa situation, c’est se condamner.

L’immobilisme guette ceux qui par confort, par peur, par arrogance se satisfont de l’existant. Ils oublient que le monde évolue, que les technologies balayent les savoirs, qu’une compétence technique a une durée de vie de 2 ans, que le contexte est instable. Arc-boutés sur leurs acquis, ils considèrent leur situation pérenne. Quelle erreur !

Le refus de l’obstacle ne garantit pas la sécurité

Nos situations professionnelles sont par essence fragiles. Elles nécessitent des remises en cause continues, imposent des doutes, génèrent immanquablement des questions. Dans un univers d’incertitude, où le flou est permanent, ne pas s’adapter, refuser l’obstacle en se pensant en sécurité est une erreur stratégique.

Observer ne suffit pas : l’environnement exige des choix, des actions. Rester statique quand tout bouge n’est pas seulement prendre du retard, c’est s’exposer à des chocs plus violents encore. L’énergie cinétique nous apprend une chose : le mouvement en tant que tel n’est pas dangereux, l’immobilité dans un contexte évolutif l’est bien davantage.

Ce que nous n’affrontons pas aujourd’hui, nous percutera de plein fouet demain avec d’autant plus de violence, parce que nous serons immobiles.

C’est une évidence qu’il faut rappeler sans cesse : le refus du changement ne nous protège pas des évènements. A-t-on déjà vu un homme stopper la mer avec ses mains ? Lorsqu’une technologie s’avère inéluctable, ce n’est pas en construisant des châteaux de sable vite balayés, que l’on retarde son arrivée. C’est une illusion enfantine.

Il faut embrasser ce que l’on ne peut éviter

Les entreprises qui ont (mal) choisi leurs combats perdent vite pied, et les exemples sont multiples. TF1 après avoir lutté en vain contre l’arrivée de la TNT, dont le succès était une évidence, l’a payé cher en rachetant à prix d’or (sic !) des fréquences qu’elle aurait pu obtenir gratuitement quelques années auparavant.

Kodak convaincu de l’avenir de l’argentique – au mépris des évidences- s’est obstiné à s’opposer aux technologies numériques. Plébiscitées par le public pour leur praticité elles se sont imposées, laissant l’entreprise exsangue. Les marchés changent, les demandes consommateurs évoluent. Il faut changer et évoluer avec eux.

Ce qu’on ne peut éviter, on l’embrasse. Il n’est pas là, question de patience mal réfléchie, mais d’inaction.

Revenons au monde animal.

La théorie du héron

Le héron est perçu comme une référence bien connue à l’immobilisme. Campé les deux pattes dans l’étang, il semble imperturbable. Le vent souffle, les courants fluctuent, le temps change et lui ne bouge pas. Ce que l’on ignore, c’est qu’il attend. Il scrute, observe et choisit son moment. Il semble figé alors qu’il est actif. Il pêche avec une précision absolue. C’est en fait un symbole de la patience.

Dans nos carrières, il doit en être de même.

Les promotions se construisent avec le temps

Rien ne se construit dans l’immédiateté. Le temps est un allié pour une progression durable. La vie professionnelle est un marathon, pas un sprint. Il ne peut en être autrement quand le parcours d’un jeune professionnel dure 45 ans ! C’est une construction minutieuse de son projet qui lui permettra de s’épanouir sur un temps long. Avant de tenir le haut de l’affiche, un acteur écluse les castings et les rôles de figuration.

Pour diriger la communication d’un grand groupe, il est nécessaire d’acquérir les fondamentaux du métier dans un service, puis d’exercer une responsabilité élargie au sein d’une PME. Les évolutions sont pyramidales : une base solide qui soutient un ensemble de spécialités et d’expertises qui s’affinent avec le temps.

La patience est une affaire de mouvement

La patience n’est pas l’inaction. Elle invite à l’analyse, à l’anticipation. Les stratèges savent que le timing est essentiel pour agir. Une décision s’impose parce qu’elle est juste, et que le moment est opportun. C’est cette double condition qui la rend indiscutable. Il faut prendre le temps d’expliquer, d’embarquer les parties prenantes, de convaincre. La patience nous impose une observation renforcée de notre environnement, l’identification des angles morts et des signaux faibles de ceux qui nous entourent, plutôt que foncer tête baissée.

Réussir dépend de la rapidité d’exécution bien entendu, mais la vitesse n’est pas la vertu cardinale. L’agitation et la précipitation sont parfois mauvaises conseillères. N’oubliez jamais qu’une vérité ne s’impose pas d’elle-même à tous : il faut lui consacrer du temps pour qu’elle se diffuse convenablement.

On ne perd jamais son temps à accepter la contradiction, à épuiser les sujets relationnellement difficiles, à trouver les clés de certaines portes verrouillées. C’est la capacité d’écoute, le sens de l’autre, la bonne compréhension des enjeux qui permet d’avancer sereinement. Le résultat compte, mais les moyens pour les atteindre tout autant. Et la patience est structurante dans ce processus. Elle donne du sens et de la solidité aux décisions.

Patience et prise de risque sont indissociables

Enfin, il est un dernier fait tout aussi indiscutable. La patience est un moteur de l’innovation. « Du chaos naît la créativité », dit-on. C’est une réalité. C’est le brassage des points de vue, la mixité des profils et le droit à l’échec qui favorisent les transformations et les inventions. Sans patience, pas de tentatives, encore moins de résilience. Il faut accepter de se tromper, chercher encore, persévérer malgré les résistances. Et recommencer. Les idées naissent avec le temps, pas en le forçant.

Conclusion

On observe parfois la réaction du lapin ébloui et la posture du héron pêcheur avec la même acuité. Pourtant à l’inertie, la passivité et l’incapacité à s’adapter de l’un on devrait opposer, l’anticipation, l’analyse et le bon moment pour agir de l’autre. La patience est une force, quand certains l’imaginent une reculade ou un manque de courage. L’immobilisme, une fragilité quand d’aucun prétendent à tort y voir une posture solide face aux tempêtes.

Dans un monde en évolution, il est préférable d’être un héron qui attend le juste moment, qu’un lapin figé devant le danger.

Par Frédéric Ivernel, Président de FIV Conseils, un cabinet spécialisé en management et communication

 

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