Lanceurs d’alerte : quelles protections depuis le 5 octobre 2022 ?
Loi Sapin II en 2016, directive européenne de 2019, loi Waserman de mars 2022, et désormais décret d’octobre 2022, comment sont protégés les lanceurs d’alerte ? Quelles garanties ces textes législatifs apportent-ils à la fois aux entreprises et aux salariés en cas de signalement ?
À l’occasion de la parution le 4 octobre dernier, du décret sur les procédures de recueil et de signalement des lanceurs d’alerte, Claire Le Touzé, vice-présidente d’AvoSial et avocate en droit social, décrypte les enjeux de la nouvelle législation depuis sa mise en application le 5 octobre 2022.
Avant l’application de la loi Waserman et du décret du 4 octobre, de quelles manières les lanceurs d’alerte étaient-ils protégés ?
La nouvelle loi et son décret sont la transposition d’une directive européenne votée le 23 octobre 2019 et ayant pour but d’harmoniser au niveau européen le statut des lanceurs d’alerte ainsi que les procédures de signalement et de recueil de ces alertes.
Avant cette directive, la loi Sapin II consacrait déjà en France le principe du lanceur d’alerte en le définissant comme « une personne physique qui révèle ou signale de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international […] dont elle a eu personnellement connaissance ». Cette loi avait notamment la particularité d’établir une hiérarchie du canal de lancement de l’alerte. Pour qu’un lanceur d’alerte puisse être considéré comme tel, il devait d’abord donner son signalement par le canal interne (sa hiérarchie, le CSE, les syndicats…) avant de procéder à un signalement via un canal externe (Maison des Lanceurs d’Alerte, presse, réseaux sociaux, voire, porter en justice).
Soulignons également que cette loi a instauré la protection des lanceurs d’alerte, à la fois en leur donnant une immunité pénale mais aussi une protection civile, dans le cadre du droit du travail. Ainsi, un lanceur d’alerte ne peut être condamné pénalement ni être sanctionné dans le cadre de son travail (il ne peut pas être licencié, ou voir sa rémunération modifiée). Cette loi marque depuis 2019 l’importance de la protection de ces lanceurs d’alerte avec l’objectif de préserver la démocratie : un lanceur d’alerte ne doit pas craindre d’émettre un signalement.
Qu’apportent la loi du 21 mars 2022 et la parution de son décret ?
Au moment des débats parlementaires autour du projet de loi du député Waserman, des organisations comme La Maison des Lanceurs d’Alerte, des ONG ou encore le Défenseur des Droits ont donné des recommandations au Gouvernement afin d’aller au-delà de la directive européenne pour lancer un mécanisme plus efficace et une meilleure protection.
Cette loi redéfinit donc le lanceur d’alerte à partir de la définition de la loi Sapin II en remplaçant le critère de la bonne foi par celui de l’absence de contrepartie financière directe et de bonne foi comme motif de signalement.
Nous retrouvons quelques points majeurs dans la transposition de la directive européenne en droit français :
- La fin de la hiérarchie des canaux internes/externes : désormais, un lanceur d’alerte peut choisir son canal de signalement, sans risquer une non prise en compte de son signalement s’il ne suit pas la hiérarchie en passant d’abord par le canal interne, puis par le canal externe.
- Un renforcement des discriminations interdites à l’encontre du lanceur d’alerte : au-delà de ne plus pouvoir être licencié ou voir sa rémunération modifiée après son signalement, le lanceur d’alerte ne peut plus non plus se voir sanctionné dans ses modes de travail : pas de discrimination possible en matière d’horaires de travail et d’évaluation de la performance.
- L’amélioration de la procédure interne des recueils et des traitements des signalements : la nouvelle loi oblige les entreprises d’au moins 50 salariés à mettre en place une procédure de recueil et de traitement des alertes et précise que l’employeur devra consulter le CSE avant la mise en place de cette procédure afin de légitimer le mécanisme, en plus de respecter les dispositions légales.
- L’instauration d’un nouveau statut du facilitateur : la personne physique ou morale qui va aider le lanceur d’alerte bénéficie désormais d’une protection légale.
- La disparition de la notion de gravité des faits, ce qui à terme, risque d’engendrer une utilisation abusive du signalement.
À travers votre pratique quotidienne d’experte en droit du travail, les entreprises vont-elles vraiment se saisir de cette nouvelle loi ?
C’était un décret très attendu dans la mesure où il apporte des précisions sur les procédures de recueillement et de traitement des signalements. Il dresse notamment la liste de 52 autorités compétentes auprès desquelles un lanceur d’alerte peut déposer son signalement. Cependant, il ne mentionne pas encore les modalités et les informations sur les procédures de signalement externe, ce qui laisse l’employeur très libre.
Aussi, un plan de communication propre à chaque entreprise sera mis en place afin d’informer les employés sur les façons dont signalements internes et externes peuvent être effectués pour ainsi renforcer la confiance entre les acteurs et favoriser le signalement interne.
Enfin, ce décret pose encore quelques questions, comme celle de la mutualisation des procédures. Dans une entreprise internationale, une filiale française peut-elle utiliser les mécanismes de procédures d’alerte ou doit-elle avoir son propre dispositif ? Un autre point de vigilance que le décret ne règle pas est celui de la « bonne foi » qui doit caractériser le lanceur d’alerte. Mais comment évaluer un tel critère de manière objective ? Comment ne pas éviter les dérives que ce terme subjectif peut entraîner ? D’aucuns risqueraient de brandir le statut de lanceur d’alerte afin de s’assurer une protection.
Dans notre accompagnement quotidien des dirigeants et responsables d’entreprises, il est à anticiper un accroissement des signalements qui nécessitera un traitement efficace : cette vague débouchera sur la conduite d’enquêtes internes, outil indispensable pour vérifier tout signalement. Ce décret n’est sans doute que l’une des pierres d’un édifice en construction sur les alertes et leur traitement.