L’inéluctable relation amoureuse entre la médiation et les grandes entreprises internationales
Il est des conflits pour la résolution desquels la poursuite d’un procès judiciaire, même gagné, débouche, à coup sûr, sur un échec.
Prenons l’exemple d’un groupe industriel international qui se voit assigner en France par une SARL française au capital social entièrement libéré de 600 Euros.
Nature du procès : action en contrefaçon d’un brevet français délivré
Objectif du demandeur : obtenir diverses mesures d’interdiction et des dommages et intérêts
L’analyse du brevet opposé, conduite par la société internationale défenderesse et ses conseils, révèle très vite :
– que la protection de l’invention opposée n’a pas été étendue, dans le délai de priorité d’un an du dépôt de la demande, à d’autres territoires, notamment au moyen
classique d’une demande de brevet européen auprès de l’Office Européen des Brevets (O.E.B.) à Munich ;
– que cette seule circonstance conduit à s’interroger très sérieusement au regard de la solidité du titre de brevet français opposé, dans la mesure où, faute d’avoir été
étendu, sa délivrance n’a donné lieu à aucun examen de fond. (Seules les demandes de brevets européens donnent en effet lieu à l’établissement d’un rapport de
recherches de l’O.E.B. permettant de situer l’invention par rapport à l’art antérieur, autrement dit d’apprécier la solidité du brevet, les conditions de validité, dont la
nouveauté de l’invention et sa non-évidence pour l’homme de l’art maîtrisant parfaitement le domaine technique auquel elle se rattache, étant strictement considérées par les juges).
Les recherches entreprises démontrent qu’en l’espèce l’invention n’est pas nouvelle, l’inventeur ayant intégralement divulgué le contenu de son invention dans un article publié dans une revue technique, 6 mois avant qu’elle ne fasse l’objet d’une demande de brevet.
Autrement dit, et du seul fait de cette divulgation publique incontestable, le brevet opposé est nul, la condition de nouveauté n’étant ici pas remplie.
La grande entreprise internationale défenderesse est donc juridiquement certaine de pouvoir, à terme, gagner le procès qui lui est fait par la petite SARL française, titulaire du
brevet opposé.
Mais elle a aussi, dans le même temps, la certitude qu’elle va devoir conduire un procès totalement dénué d’intérêt. Quand bien même le demandeur sera, au final, débouté de son action en contrefaçon, la décision victorieuse à intervenir ne lui procurera de fait aucun avantage juridique, ni économique, ni concurrentiel. Autrement dit, elle va devoir plaider et supporter les coûts directs et indirects de ce mauvais procès pour rien, au mieux durant deux ans, en première instance, et durant trois années de plus, en cas d’appel.
Enfin, et même à supposer qu’elle puisse obtenir du Tribunal une indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, elle sait qu’elle ne touchera rien du tout, le
demandeur, sans réels moyens, préférant le plus souvent déposer le bilan pour pouvoir y échapper. (Dans les contentieux de brevets, ces indemnités sont substantielles puisqu’elles sont fixées sur la base du montant total des honoraires exposés par la partie triomphante. Le record actuel est une indemnité de 504.000 Euros accordée par la Cour d’Appel de Paris).
La situation sera exactement la même si le demandeur oppose, non pas un droit de brevet, mais tout autre type de droit réservataire, comme un droit d’auteur ou une marque, ne remplissant pas les conditions légales de validité.
En quarante ans de vie judiciaire, j’ai eu à défendre un certain nombre d’actions de ce type, sachant que le demandeur agit parfois, non dans le seul but d’arracher une transaction mais par ignorance de la solidité de son droit. L’entreprise fait alors l’objet d’un chantage judiciaire (ou « black mail action ») initié de bonne foi !!!
Dans un tel contexte, une médiation permettra de convaincre le demandeur du peu de sérieux de son titre, et donc de son action, surtout si son conseil ne connaît rien ou presque au droit des brevets et, plus généralement, de la propriété intellectuelle.
Cela se produit hélas, et parfois même sans que l’on puisse en faire grief à quiconque. J’ai ainsi vu en 2013 un inventeur aussi malheureux que démuni assigner une très grande société internationale en contrefaçon de brevet, en ayant obtenu, au titre de l’aide juridictionnelle, la désignation d’un jeune avocat spécialisé en droit des sociétés.
Il est aussi des procès engagés dans lesquels une solution judiciaire est en réalité impossible, faute pour le législateur d’avoir eu le temps de voter la loi, en adaptant le droit
positif disponible à l’évolution technologique d’un monde en marche accélérée.
Devant un vide juridique, la médiation s’impose pour tenter de trouver une réponse conventionnelle adaptée.
A défaut, nos bons juges – qui ne manquent pas de bon sens – lassés de ne pouvoir dire le droit dans des conflits à répétition, finiront un jour ou l’autre par fortement inciter les parties d’y avoir recours.
Ce fut le cas dans les procès sans fin ayant opposé les journalistes et les photographes de la Presse écrite à leurs employeurs, lorsque ces derniers ont commencé à diffuser leurs publications sur Internet.
Ce fut, plus récemment, le cas lorsque les grands moteurs de recherche se sont vus assignés en contrefaçon de marques par les entreprises du luxe.
Le recours à la médiation est donc judicieux quand les juges ne peuvent mettre en oeuvre un droit adapté au monde réel.
La médiation est aussi un excellent moyen de révéler la vérité, quand celle-ci n’est pas partagée en interne ce qui, de facto, rend toute bonne gestion d’un conflit impossible.
Dans les grandes entreprises internationales, les conflits prennent essentiellement naissance sur le terrain, et donc au sein des filiales opérationnelles. Si un contentieux finit
par voir le jour, et que sa gestion est confiée aux juristes de la maison mère, ces derniers n’ont, par définition, aucune connaissance de l’histoire. Ils doivent donc rechercher les informations pour acquérir une vision appropriée des faits et, donc, du dossier.
Quand les faits relatifs au conflit sont anciens, cette tâche devient très vite délicate dans la mesure où l’homme moderne est redevenu nomade, du moins professionnellement parlant. Les cadres changent d’affectation, voire de filiale, voire de pays, voire les deux, d’autres démissionnent pour aller travailler ailleurs et ils ne sont donc plus joignables.
Or, chacun sait qu’il est impossible de conduire victorieusement un procès avec du « papier kraft collé sur les lunettes » !
Dans ce cas, une médiation bien conduite permettra de remettre les choses en perspective et de reconstituer en douceur le puzzle de l’histoire, autrement dit de découvrir la vérité.
Il peut, par ailleurs, parfois arriver que le déficit de communication entre la holding et sa filiale, ne soit pas lié au seul temps qui passe, mais qu’il soit le fruit d’un refus de
communication de la part d’hommes du terrain cherchant à dissimuler leurs propres erreurs, voire même leurs fautes, dans le seul but de se préserver. La vérité est alors cachée ou travestie, ou incomplète. J’ai, par exemple, le souvenir de contrats de cession de brevets et de savoir-faire signés par le directeur d’une filiale, en contravention des instructions diffusées en interne par la maison mère !
Dans une telle situation, seule la médiation permettra d’accéder à la vérité cachée et, donc, aider à la compréhension de la réalité du différend.
Ces diverses circonstances sont moins souvent évoquées, mais elles sont bien réelles.
Par Dominique Ménard
Avocat à la Cour et médiateur agréé au CMAP,
Associé du cabinet Hogan Lovells LLP
Pour en savoir plus : http://www.cmap.fr/Actualites-du-CMAP-98-fr-detail-47.html