Jeunes et entrepreneuriat : du rêve à la réalité ?

Comme en témoigne l’émission « Qui veut être mon associé ? », devenir son propre patron est devenu un rêve largement partagé, notamment parmi les jeunes, attirés par l’autonomie, la liberté de création et l’espoir de s’émanciper des contraintes du salariat. Cependant, derrière cet engouement se cache une réalité plus complexe. 

Si l’idée de créer son entreprise semble séduisante, nombreux sont ceux qui sous-estiment les compétences essentielles pour assurer la pérennité d’un tel projet : gestion financière, stratégie commerciale, ou encore capacité à surmonter les échecs.

Par ailleurs, les réseaux sociaux amplifient parfois une vision idéalisée de l’entrepreneuriat, faisant la promesse de succès rapides et d’indépendance financière grâce au marketing digital, à l’investissement immobilier ou encore aux cryptomonnaies, donnant l’illusion que la réussite est à la portée de tous.

Entreprendre est-il vraiment accessible au plus grand nombre ? L’attrait des jeunes pour la création d’entreprise repose-t-il sur un vrai désir de liberté ou sur une illusion de richesse rapide ?

Eléments de réponse sur la vision de l’entrepreneuriat des jeunes de moins de 35 ans avec le sondage réalisé par l’IFOP pour le collectif d’entrepreneurs Axtom.

Bernard Tapie, Bernard Arnault, Michel Edouard Leclerc, Xavier Niel, François Pinault en France ou encore Elon Musk, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, Steve Jobs à l’international, sont les personnes connues qui, spontanément, symbolisent le mieux l’entrepreneuriat aux yeux des Français, selon l’étude Axtom-Ifop.

En parallèle, loin de l’image médiatique de ces « grands patrons » milliardaires, nombreux sont ceux à privilégier une représentation de proximité, citant prioritairement un membre de leur famille ou un artisan de leur quartier (plombier, boulanger, etc.).

Ainsi, 46% des jeunes déclarent avoir dans leur entourage direct un ou des proches chef(s) d’entreprise ou entrepreneur(s).

Grands ou plus petits, ces entrepreneurs sont autant de sources d’inspiration et un modèle de réussite pour 75% des jeunes. D’ailleurs, 62% des moins de 35 ans déclarent avoir envie de créer un jour leur entreprise, d’en reprendre une ou de se mettre à leur compte, tendance encore plus marquée chez les 18-24 ans (67%).

Une forte aspiration, dès le plus jeune âge, qui traduit la démocratisation de l’entrepreneuriat en cours dans la société et l’idée qu’aujourd’hui, « tout le monde peut monter sa boîte ».

De fait, la culture startup, popularisée par des entreprises emblématiques incarnant des modèles d’innovation rapide, de flexibilité et de créativité en rupture avec les organisations traditionnelles, et l’essor du digital ont joué un rôle majeur dans cette dynamique.

Grâce aux réseaux sociaux, aux plateformes de e- commerce et aux outils de marketing numérique, il est désormais possible de lancer une activité avec peu de moyens et d’accéder rapidement à un large public. Des formations en ligne et une abondance de contenus inspirants alimentent également cette facilité d’entreprendre.

Ainsi, 55% des jeunes jugent que de nos jours, n’importe qui peut entreprendre (contre 48% pour la moyenne nationale). D’ailleurs, 48% estiment qu’« il suffirait d’une bonne idée pour se lancer », et plus particulièrement les répondants de la tranche 25-34 ans (51%).

Une perception d’apparente simplicité que Jérémie BENMOUSSA, Directeur général et associé d’Axtom, explique de plusieurs manières : « Les récits simplifiés autour d’entrepreneurs à succès négligent souvent les difficultés, les efforts et les ressources nécessaires pour transformer une idée en entreprise viable. Les figures emblématiques comme Steve Jobs, Elon Musk ou Mark Zuckerberg sont souvent présentées comme des génies qui ont réussi principalement grâce à leur créativité, créant une vision erronée de l’entrepreneuriat. Les réseaux sociaux accentuent cette tendance en faisant la promotion de « méthodes » permettant de créer un business et de devenir riche grâce au digital. Avec l’accès accru aux technologies et aux ressources en ligne, les jeunes peuvent croire que lancer une entreprise est plus facile qu’il ne l’est réellement. Par ailleurs, la culture de la start-up, souvent médiatisée, donne l’impression qu’une bonne idée et une levée de fonds suffisent pour réussir, alors que les étapes de développement, de gestion et de croissance sont cruciales. Les initiatives de sensibilisation à l’entrepreneuriat se concentrent parfois trop sur l’idée innovante et pas assez sur les compétences nécessaires pour la concrétiser ».

Quel est le revenu net mensuel perçu par les jeunes comme suffisamment attractif pour se lancer ?

A contre-courant de certaines idées reçues associant entrepreneuriat et richesse favorisées par les histoires de réussite spectaculaire et la représentation culturelle, les moins de 35 ans restent relativement raisonnables quant à leur estimation du revenu net mensuel (avant impôt) des entrepreneurs, qu’ils évaluent en moyenne à 3073,30 euros. Ils sont par ailleurs 40% à l’évaluer à moins de 2000 euros.

Une appréciation assez proche de la réalité si l’on en juge les résultats d’une enquête menée fin 2023 par la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), auprès de 1 331 dirigeants de TPE/PME, révélant que les trois quarts d’entre eux (76%) disent percevoir une rémunération mensuelle moyenne inférieure à 4000 euros, un dirigeant sur cinq (20%) gagnant même moins qu’un SMIC.

Si pour plus d’1 jeune sur 2 la principale motivation des entrepreneurs est de gagner de l’argent (54%), le niveau de revenu mensuel à partir duquel il leur semblerait intéressant de lancer leur propre activité est de 3156 euros. 22% le feraient pour moins de 2000 euros, venant battre en brèche l’objectif supposé d’enrichissement personnel des entrepreneurs.

Car, au-delà de toute perspective de réussite financière, ne pas avoir de patron (83%) et pouvoir choisir avec qui travailler (89%) figurent parmi les principaux attributs des entrepreneurs.

Un rapport à l’entrepreneuriat que Jérémie BENMOUSSA analyse ainsi : « La création d’une entreprise offre l’opportunité de faire une différence, d’innover et d’apporter des solutions à des problèmes spécifiques. Cette capacité à avoir un impact tangible sur le marché et la société, à travers des services améliorés ou la création d’emplois par exemple, est souvent une motivation plus profonde que l’enrichissement financier. En témoigne la réalité du revenu moyen des entrepreneurs en France. Bien que la perspective de mieux gagner leur vie puisse également jouer un rôle, il est clair que pour beaucoup d’entrepreneurs, la liberté et l’autonomie que procurent la création et la gestion de leur propre entreprise sont des moteurs puissants. Prendre ses propres décisions sans avoir à se conformer aux directives d’un supérieur hiérarchique et suivre ses convictions sont des avantages perçus comme majeurs, et cela sans compter le gain de flexibilité avec la possibilité d’organiser sa journée selon ses besoins et priorités, ce qui est difficilement réalisable dans un cadre salarié traditionnel ».

Méthodologie : l’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 2 701 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 02 au 14 mai 2024.