Jean-François Chanal, ALD Automotive – Un esprit collaboratif, une âme de manager
Il se dit que faire une belle carrière dans de grandes entreprises est parfois un parcours du combattant. Qu’il faudrait être un guerrier « prêt à écraser » les autres, se parer de toute part des pièges sournois qui sont tendus, se méfier de tout en ne pensant qu’à soi. Chez Jean-François Chanal, directeur général d’ALD Automotive, spécialiste français de la LLD* et filiale de la Société Générale, c’est tout le contraire. Il persuade plutôt que d’imposer. Il fédère plutôt que de séparer. Il partage plutôt que d’intriguer. Bref, voici le portrait d’un authentique manager qui rassure sur la force du jeu collectif et sur la dimension humaine à laquelle toute entreprise, petite ou grande, doit être attachée.
GPO Magazine : Quels sont, selon vous, les critères qui permettent de réussir sa carrière ?
Jean-François Chanal : Il faut en premier lieu être attentif aux opportunités qui se présentent, qu’elles soient internes ou externes, savoir les identifier en ayant le courage de les saisir. C’est parfois un risque qu’il faut prendre. Il faut ensuite savoir changer de poste ou carrément d’entreprise lorsque l’on juge que c’est le moment. Analyser, apprécier le potentiel et bien sentir les postes qui sont proposés est également un paramètre important. Après, l’idée est aussi de trouver les équipiers avec lesquels on va pouvoir s’entendre, c’est une condition essentielle pour bien travailler. Enfin, je pense qu’il faut savoir ne pas aller trop vite, au risque de se brûler les ailes.
GPO Magazine : Estimez-vous que le facteur chance peut intervenir ?
J.-F. C. : La chance peut parfois jouer un rôle. Mais savoir être au bon endroit au bon moment, est-ce vraiment de la chance ? Je n’en suis pas sûr. D’ailleurs, voici ce que je conseillerais à un jeune qui entame sa vie professionnelle : savoir prendre des risques, aller vers ce qu’il aime vraiment – qu’il s’agisse de l’entreprise, du produit ou de sa fonction – se faire plaisir, ne jamais rester dans une société ou dans un univers qui ne lui plaît pas, avoir de l’ambition sans griller les étapes. Si un jeune est ainsi, alors nombreux sont ceux qui diront de lui qu’il a eu de la chance. (sourire, ndlr)
GPO Magazine : Diac, BMW, Sonauto-Chrysler puis ALD, toute votre carrière est liée à l’automobile, est-ce une volonté clairement réfléchie depuis le départ ?
J.-F. C. : L’univers de la LLD est bien plus complet que le strict univers automobile, notamment sur la très large palette des services. Mais il est vrai que l’automobile et toutes ses activités annexes m’ont toujours passionné. Être dans un univers qui intéresse est aussi un des critères de la réussite, c’est indéniable. Vous savez, si chaque matin on se lève en se disant que ce métier ou ce produit n’est pas intéressant, on ne peut pas être bon dans son boulot. Aujourd’hui, après 30 ans de carrière, je ne m’ennuie toujours pas. Magique, non ?
GPO Magazine : Au tout début, la LLD était perçue presque uniquement comme un mode de financement. Aujourd’hui, qu’en est-il ?
J.-F. C. : La finance reste un facteur de choix mais elle est devenue pratiquement accessoire. Le client qui choisit ce mode ne vient plus pour le seul financement. Il sait qu’il va profiter d’une gamme de services qui le décharge complètement des contraintes techniques, de la maintenance, du dépannage, des assistances diverses et variées. C’est une externalisation complète de la gestion professionnelle du parc automobile.
GPO Magazine : ALD gère 1,3 million de véhicules dont 360 000 en France, sur quels terrains porte la compétition entre les grands acteurs du marché ?
J.-F. C. : Plus le métier évolue et plus le client sait ce que peut lui faire gagner un loueur. Le client ira plutôt vers celui qui lui propose les meilleurs services et le meilleur reporting pour le suivi de sa flotte. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous développons des applications digitales qui autorisent un reporting très serré et de proximité, pratiquement en temps réel. Il ne faut jamais oublier que ces véhicules sont à usage professionnel. Toute immobilisation fait perdre du temps et de l’argent aux clients. Dans la démarche d’un achat d’une automobile en toute propriété, on peut comprendre que le prix soit important et que tout euro en moins sur les mensualités soit recherché. Ce n’est pas du tout notre logique. En LLD, se battre sur quelques euros n’a aucun sens; ils seront immédiatement engloutis, et même au-delà, si les services ne suivent pas en termes d’assistance, de maintenance, de reporting, d’outils de gestion disponibles ou autre formation des conducteurs visant à réduire la consommation, d’entretien planifié et géré du véhicule, etc.
Nous ne rentrons jamais chez un client par le prix. J’oserais même vous confier que nous sommes parfois légèrement plus chers. Nos clients le savent mais ils restent fidèles, pourquoi ? Ils savent que notre service client est compétent. Je soulignerais enfin que sur les gros parcs, il n’y a jamais un seul loueur. Les acheteurs et les gestionnaires font comme une espèce de benchmark permanent. La compétition est donc constante et assez âpre, d’où la nécessité de notre évolution permanente.
GPO Magazine : La création récente de différents sites web tels que « ALD Net » pour les gestionnaires de parc ou de « My ALD » pour les conducteurs correspond à cette démarche ?
J.-F. C. : Les points majeurs de services sont la disponibilité maximale du véhicule et la réactivité face à tout incident. Lorsqu’il ne se passe rien sur la voiture… pas de problème, mais il est très rare qu’il ne se passe rien : panne, accident, vol, etc. La mission que nous devons à nos clients est de réagir extrêmement rapidement, pour acheminer un véhicule de remplacement, pour gérer un sinistre, pour nous occuper des assurances, de la réparation, etc. En amont, il y a aussi l’importance stratégique du conseil. Pour les gestionnaires, il est difficile de s’y retrouver dans la fiscalité, les puissances, le choix du carburant, le choix des modèles, les options, les technologies galopantes… c’est très compliqué pour eux car tout évolue en permanence. Côté gestionnaires de parc, je n’hésite pas à dire que l’on peut discuter sur cinq ou dix euros en plus ou en moins sur les mensualités, mais si le choix se porte sur des véhicules qui consomment 1 ou 2 litres au 100 en plus et que l’on fait le calcul sur des centaines de véhicules qui parcourent 30 ou 40 000 km/an, le calcul est vite fait. Côté conducteurs, notre mission est de le déstresser en lui répondant là aussi immédiatement. Nous « cocoonons » les conducteurs et l’ouverture de notre site « My ALD » est fait pour cela.
GPO Magazine : Outre la disponibilité du véhicule et la réactivité, ALD Automotive offre-t-elle un autre atout ?
J.-F. C. : La palette de services ne serait rien si elle ne reposait pas sur la qualité de nos équipes. Nous portons une attention toute particulière à leur motivation ou encore à leur formation. Je dois aussi aborder un aspect capital de notre activité : notre propre adaptation à l’automobile et à ses évolutions permanentes. Pour le comprendre, il suffit d’observer ce qui se passe sur les véhicules hybrides, sur les 100 % électriques ou encore sur la connectivité. Sans cette capacité d’adaptation au produit lui-même, nous ne serions pas leader et nous aurions depuis longtemps disparu du marché ! Proches des constructeurs, nous sommes donc un excellent vecteur de promotion des nouvelles formes d’énergies et de technologies. La dimension conseil prend ici toute sa valeur. Un exemple simple mais démonstratif : pendant 30 ans, la France a été victime du syndrome « tout diesel ». Sans réfléchir vraiment, beaucoup de sociétés optaient pour ce carburant sur des véhicules faisant moins de 10 000 km par an. C’était absurde. Nous revenons enfin à des choix raisonnables, tant au plan économique qu’environnemental. Quant aux véhicules électriques – qui sont parfaits pour moins de 150 km/jour en circulation urbaine – l’un des freins est l’idée préconçue que s’en font encore de nombreux conducteurs qui ne veulent pas rouler en auto-tamponneuse comme ils le disent parfois. Pour contrer ce phénomène, nous organisons des journées d’essais et tout s’arrange immédiatement. Notre mission d’éducation et d’évangélisation des nouvelles technologies est donc bien réelle.
GPO Magazine : Abordons maintenant quelques aspects un peu plus personnels. Vous êtes diplômé d’une école de commerce, cela a-t-il été un bon cursus pour votre carrière ?
J.-F. C. : Je vais vous faire une confidence. Au début, j’étais parti pour devenir ingénieur. J’ai fait Math Sup et Math Spé, mais faire 15 heures de math et 10 heures de physique par semaine, ce n’était finalement pas mon truc (sourire, ndlr). Je me suis donc orienté vers une école de commerce. De telles études préparent finalement à tous les métiers qui restent – nous le savons – à apprendre une fois son diplôme en poche. En quittant la trajectoire ingénieur, mon objectif était de ne me fermer aucune porte. Je voulais connaître et acquérir les connaissances de base sur les principaux rouages de l’entreprise en matière de marketing, de gestion, de comptabilité, de finance, de management, etc. La filière scientifique ne me permettait pas cette diversité. Cela étant, pour être honnête, ces années d’études scientifiques me servent encore tous les jours.
GPO Magazine : Vous dirigez aujourd’hui près de 1 000 personnes, quels types de relations aimez-vous entretenir avec vos équipes ?
J.-F. C. : On ne manage heureusement plus une entreprise à l’autorité, en centralisant toute la pyramide de décisions comme cela pouvait être le cas il y a encore une vingtaine d’années. Il est impératif de savoir déléguer et donc de savoir s’entourer avec une véritable acuité pour détecter les talents. Ce n’est pas si facile mais c’est essentiel. Dans le management, il faut aussi parfois prendre des risques, par exemple sans cantonner et bloquer une personne au seul poste où pourtant elle excelle. Je pourrais vous citer le cas d’un responsable grands comptes qui ne faisait que du commerce ; nous cherchions quelqu’un pour diriger la division VO*, une activité majeure de notre rentabilité et pour laquelle il n’était pas du tout formé. Je savais par ailleurs que je cherchais d’abord et avant tout un manager et non un technicien. Je lui ai confié le job et il y réussit parfaitement. Il faut avoir ce feeling. Je vous le disais, savoir déléguer, c’est se donner la possibilité d’avoir un recul indispensable sur l’organisation, sur nos services, sur les femmes et les hommes qui font l’entreprise au quotidien.
GPO Magazine : Avez-vous bon caractère ?
J.-F. C. : Oui, je pense, mais en fait je n’en sais rien ! Je me mets parfois un peu en colère, mais c’est plus de l’exigence. Si j’apprends par exemple qu’on a mal reçu ou mal traité commercialement un client, je peux me fâcher. Je ne supporte pas le laisser-aller ou la négligence. Est-ce avoir mauvais caractère ? Je vous laisse seul juge.
GPO Magazine : Pardonnez cette question, mais aimez-vous qu’on vous aime ?
J.-F. C. : Je vous pardonne… mais franchement, qui n’aime pas qu’on l’aime ? Plus sérieusement, ce qui doit primer, c’est être respecté et légitime. J’ai par exemple eu une grande satisfaction professionnelle durant la crise des années 2008-2009. La revente des VO s’effondrait et tout le secteur de la LLD était en grande difficulté. Il nous fallait prendre des décisions drastiques. Avec mon DG délégué de l’époque, nous avons réuni les managers pour leur soumettre un plan de redressement assez violent. Ils ont tous suivi comme un seul homme. Aujourd’hui, j’en éprouve encore une belle fierté. Cela a été la démonstration que les équipes nous ont fait confiance, que tous ont adhéré aux décisions du comité de direction. Nous avons su les convaincre que ce n’était pas le bateau ALD qui était vermoulu, mais la météo qui était désastreuse. L’équipage a fait ce qu’il fallait. Le plan a été un succès. Rien n’aurait été possible sans confiance, sans respect, sans adhésion, sans légitimité. Chaque jour, je m’évertue à mettre en place un management juste, tout en privilégiant la compétence à l’affectif. Mais lorsqu’une décision importante et difficile est à prendre, je m’assure que quelques personnes adhèrent, sinon on risque de se retrouver isolé.
GPO Magazine : Que pensez-vous du droit à l’erreur ?
J.-F. C. : Si vous n’accordez pas de droit à l’erreur, plus personne n’ose bouger. L’entreprise est alors sclérosée. Si un manager ne laisse pas la porte ouverte aux initiatives, même à celles qui peuvent s’avérer mauvaises, c’est qu’il veut tout contrôler, tout surveiller. Cela ne marche pas.
GPO Magazine : Quand vous êtes en situation de stress, comment vous videz-vous la tête ?
J.-F. C. : Le sport ! Je me défoule en vélocross une ou deux fois par semaine. En vacances, je sais aussi couper sans aucun besoin de recevoir en permanence des appels ou des emails. Mais encore une fois, cela n’est possible qu’à une seule condition : la confiance en mes équipiers. Un autre exutoire, ma famille et mes enfants. Ils sont grands et ils sont tous les trois dans des métiers très différents. Notre aîné est psychologue, notre second est vétérinaire et notre dernier est ostéopathe. Alors vous le voyez, les discussions en famille n’abordent jamais la LLD. La famille est pour moi à la fois un refuge, une inspiration, un bonheur et une fierté.
GPO Magazine : Que lisez-vous ?
J.-F. C. : Je suis très curieux. Tous les sujets m’intéressent, mais j’apprécie particulièrement les biographies. Elles me révèlent souvent à quel point les trajectoires de chacun peuvent varier pour un détail ou pour un risque pris à un moment dans une vie. C’est passionnant.
*Véhicule d’occasion