Jean-Christophe Sibileau, Directeur général du groupe St Hubert : un entrepreneur responsable
Diplômé en 1994 de l’Essec Business School, Jean-Christophe Sibileau a occupé plusieurs postes de Direction Générale au sein de grands groupes agro-alimentaires. D’abord PDG de Savencia USA entre 2011 et 2015 dans le domaine des produits laitiers, il a ensuite rejoint le groupe Bonduelle où il a été Directeur Général des activités de Marques en Europe, puis CEO de Bonduelle Europe Long Life (leader européen sur les conserves et surgelés de légumes) et Executive Senior Advisor de Bonduelle Fresh Americas jusqu’en 2021.
Après un passage par la case Start-up en tant que CEO de la Food Tech Agricool, il a repris au mois de septembre 2022 la Direction générale du groupe français St Hubert, avec pour mission de conduire les prochaines étapes de développement de ce fleuron de l’agro-alimentaire, à la fois en France et à l’étranger.
GPO Magazine : Pouvez-vous nous présenter la société St Hubert ?
Jean-Christophe Sibileau : La société St Hubert est née à Nancy (Laiterie St Hubert). Elle a été créée en 1904, elle a donc près de 120 ans d’histoire. Il s’agit d’une entreprise à taille humaine qui fabrique des matières grasses végétales à tartiner ou à cuisiner. Elle vend ses produits principalement en France, en Italie, en Chine, et dans quelques autres pays européens.
Au départ, c’est une entreprise qui a une origine laitière (lait, fromages,…) et depuis 30 ans, elle a opéré une transition focalisée sur le végétal. L’entreprise St Hubert s’est toujours montrée très innovante et actuellement elle est très performante (voir chiffres clés). Elle a une part de marché très importante sur le marché des matières grasses végétales (près de 45 % en France et 75 % en Italie).
GPO Magazine : St Hubert a été fondée en 1904, comment expliquez-vous une telle longévité au fil des décennies ?
Jean-Christophe Sibileau : Il s’agit d’une entreprise qui a un historique assez remarquable car, dès le départ, elle a toujours su innover. Paul Couillard a créé la laiterie St Hubert en 1904 et il est devenu le premier producteur lorrain de lait pasteurisé, vendu dans des bouteilles en verre et distribué dans toute la région.
Par la suite, St Hubert a connu différentes phases de développement et elle a saisi à chaque fois de nouvelles opportunités d’innovation. Elle a eu un développement assez rapide avant la seconde guerre mondiale, elle s’est très vite agrandie avec la construction de plusieurs usines de lait et de fromages. La seconde guerre a marqué un coup d’arrêt à ce développement, mais elle a décidé de distribuer gratuitement son lait aux enfants scolarisés à Nancy afin d’éviter le gaspillage, ce qui a contribué à sa réputation locale. L’entreprise a continué à produire du lait et elle a étendu son activité aux fromages.
En 1968, elle lance le lait Fraisval, premier lait stérilisé vendu dans des briques en carton pour une meilleure conservation. St Hubert a été parmi les premières à faire le choix de cette technologie, laquelle est encore utilisée de nos jours. En 1986, elle fonde également les yaourts de la marque BA, une marque qui ne lui appartient plus aujourd’hui.
Dans l’histoire plus récente, la gamme des produits St Hubert s’est élargie : St Hubert 41, Le Fleurier, St Hubert Bio, St Hubert Oméga 3… Cette longévité s’explique par le fait que St Hubert a toujours su innover, se réinventer et faire preuve d’agilité.
GPO Magazine : St Hubert est leader français de la matière grasse végétale et s’adresse aux consommateurs de plus de 50 ans, avez-vous l’intention d’élargir votre marché ?
Jean-Christophe Sibileau : Aujourd’hui, la margarine en France est assez marquée d’un point de vue sociologique car une partie importante du marché de la margarine appartient au segment santé. En effet, certaines margarines sont riches en oméga 3 et aident à la régulation du cholestérol et à prévenir les maladies cardio-vasculaires. Avec un tel positionnement, on touche la cible des consommateurs de plus de 50 ans car ceux-ci sont plus concernés par les problèmes de cholestérolémie et les maladies cardio-vasculaires.
Ce positionnement a évolué : par exemple, le St Hubert 41 s’adresse vraiment à la famille car c’est un peu l’ami du petit déjeuner pour la tartine du matin. Mais il est vrai que ces dernières années, le marché s’est concentré sur les produits santé et par conséquent sur la cible des seniors. Par ailleurs, il y a de vraies opportunités de développement vers d’autres catégories de population.
Le vrai potentiel de ce marché est d’être aujourd’hui une alternative aux produits laitiers sur de l’alimentation végétale. En effet, il existe une réelle aspiration de certains consommateurs de remplacer les produits d’origine animale par des produits d’origine végétale. Il y a donc de vrais atouts à valoriser pour aller chercher d’autres moments possibles de consommation avec des produits qui procurent du plaisir.
GPO Magazine : Justement, en matière agro-alimentaire, comment peut-on arriver à toujours innover ?
Jean-Christophe Sibileau : Le marché agro-alimentaire est un marché où il est difficile d’innover car, paradoxalement, les consommateurs ont leurs habitudes. Et l’innovation doit être particulièrement pertinente afin de les bousculer un peu pour les amener à adopter de nouveaux produits. La clé du succès est d’être vraiment à l’écoute de ce qu’ils consomment, à quel moment, dans quel contexte. Il convient de déceler les opportunités et les besoins qui ne sont pas satisfaits ou les imperfections qui peuvent les amener à être ouverts à de la nouveauté.
On arrive donc à innover lorsque l’on entretient une culture centrée sur le client. Cela implique que l’entreprise soit très ouverte sur les consommateurs afin de mieux satisfaire leurs besoins. Il faut alors beaucoup de créativité, un développement rigoureux et testé pour limiter les risques d’échec.
GPO Magazine : Comment répondre aux attentes des consommateurs en matière de transition alimentaire ?
Jean-Christophe Sibileau : Notre objectif est de contribuer à la transition positive de l’alimentation en aidant les Français à mieux manger. Nous cherchons à contribuer à une alimentation plus saine et plus responsable via une large gamme, pensée afin que chacun puisse trouver le produit qui lui correspond, en fonction de ses convictions, son régime alimentaire et ses besoins nutritionnels. En 2016, nous avons lancé nos premières recettes sans huile de palme sous la marque St Hubert Oméga 3.
GPO Magazine : « Face aux problèmes de la nature et du climat, il faut du leadership et du courage » : êtes-vous d’accord avec cette citation d’Emmanuel Faber (ex PDG de Danone) ?
Jean-Christophe Sibileau : Oui je suis d’accord. Depuis une quinzaine d’années, la plupart des entreprises se sont réveillées progressivement sur la conscience de leur responsabilité environnementale et sociétale. En effet, une entreprise n’est pas simplement une communauté d’intérêts qui travaillent sur un objectif économique.
Malgré tout, de tels objectifs économiques peuvent représenter une contrainte par rapport à une volonté de travailler de manière responsable pour un monde meilleur. Il faut alors du courage afin de remettre en cause les schémas de pensées économiques habituels et mettre sur la table d’autres considérations et d’autres choix.
GPO Magazine : Comment faire le grand écart entre « raison d’être » et « réussite économique » ?
Jean-Christophe Sibileau : Dans ma conception des choses, il ne doit pas y avoir de grand écart. Une entreprise qui affiche une croissance durable, et qui est capable de s’adapter en permanence à son environnement, est justement une entreprise qui sait concilier raison d’être et réussite économique. Sans raison d’être, il est difficile de mobiliser des collaborateurs de manière durable et motivante. La seule réussite économique n’est pas suffisante pour motiver des salariés. Personne ne travaille juste pour que des chiffres soient alignés.
GPO Magazine : Quelles sont les actions « responsables » en matière de transition écologique développées chez St Hubert ?
Jean-Christophe Sibileau : St Hubert a agi très tôt, notamment sur la réduction de l’émission des gaz à effet de serre, laquelle est importante par rapport aux enjeux climatiques (investissements en usine depuis 2010, choix d’achats afin d’avoir cet impact).
St Hubert a également eu à coeur de favoriser la filière locale française sur la matière première, de réduire à hauteur de 30 % le plastique dans les emballages, les couvercles et les barquettes. Nous sommes arrivés à ne plus filmer les palettes (palettisation sans aucun filmage avec des points de colle) et à le faire accepter par nos clients. Bien entendu, nous continuons à travailler sur la réduction de la consommation énergétique (plans d’investissement étudiés avec des partenaires afin d’avoir des chaudières plus performantes, travail sur l’optimisation de nos process).
Socialement, très tôt, St Hubert s’est engagé en soutenant la diversité et l’inclusion (les 2/3 de nos managers sont des femmes). L’entreprise soutient également d’autres actions dans son environnement local (Banque Alimentaire). Mais nous ne faisons pas cela pour que l’on parle de nous : nous ne communiquons pas énormément sur ces actions. Nous privilégions l’humilité au profit de l’action.
GPO Magazine : Quelles sont les valeurs d’entreprise auxquelles vous êtes attaché ?
Jean-Christophe Sibileau : En tant que dirigeant, je suis très attaché à des valeurs positives dans l’entreprise telles que l’honnêteté, la transparence, la responsabilité, la solidarité. Ce sont des valeurs extrêmement importantes pour moi, et qui permettent à un groupe de bien fonctionner. L’entreprise, c’est une communauté de personnes et il doit y avoir une sorte de contrat de confiance entre les individus pour s’appuyer et s’aider. Par conséquent, je pense que ces valeurs sont fondamentales pour que des salariés aient le plaisir de travailler ensemble de façon efficace. Elles ont un socle solide, qui est une vraie force chez St Hubert. Et c’est grâce à elles que St Hubert parvient, tout au long de toutes ces années, à séduire, à recruter et à fidéliser des collaborateurs de valeur.
GPO Magazine : Réduire les formats d’un produit pour limiter l’impact psychologique d’une hausse de prix, est-ce une stratégie risquée des géants de l’alimentaire ?
Jean-Christophe Sibileau : Aujourd’hui, dans un contexte exceptionnel d’hyper inflation, l’enjeu est de tenter d’apporter des réponses au consommateur. Personne ne gagne à trahir la confiance de ses consommateurs. Il faut être conscient également que dans le contexte actuel (pour environ 25 % de la population française), quelques euros comptent.
Et toutes les solutions afin de continuer à consommer un produit sont les bienvenues. Mais cela devient problématique lorsque cela n’est plus transparent. En tous les cas, je ne suis pas sûr que la baisse de grammage fasse partie des solutions à privilégier.
GPO Magazine : « Valle’® », c’est également St Hubert en Italie, vous êtes également présent en Chine, comment une entreprise Lorraine arrive-t-elle à s’implanter à l’étranger ?
Jean-Christophe Sibileau : Beaucoup de PME et d’ETI comme nous ont des positions à l’étranger. À partir du moment où vous avez un savoir-faire unique et des compétences, vous avez des atouts pour les vendre également dans d’autres pays. C’est le cas de St Hubert qui a un vrai savoir-faire technique sur les margarines qui sont une émulsion entre une phase aqueuse et une phase grasse, cristallisée pour que cela devienne solide et tartinable.
Et chez St Hubert, on arrive à faire une margarine de qualité avec très peu de matière grasse. C’est une force pour apporter ensuite ces produits de qualité sur d’autres marchés. La marque Valle’© a la même force que la marque St Hubert et les Italiens utilisent beaucoup la margarine dans des pâtisseries.
GPO Magazine : Comment voyez-vous l’avenir de St Hubert ?
Jean-Christophe Sibileau : L’entreprise St Hubert est engagée dans une démarche d’amélioration nutritionnelle, et elle a été parmi les premiers signataires à ajouter en 2008 une charte d’engagements volontaires de progrès nutritionnel dans le cadre du Programme National Nutrition Santé (PNNS). Notre objectif est de continuer à contribuer à une alimentation plus saine (évolution de recettes, alternatifs aux produits laitiers) et plus durable, en proposant des produits plaisir.
Changer ses habitudes en termes de matière grasse est une façon efficace de réduire l’impact écologique de notre alimentation sur l’environnement, avec un meilleur bilan carbone. Nous avons envie de proposer des alternatives gourmandes aux produits laitiers et que cela devienne plus courant en France comme à l’étranger. La vision de St Hubert est de poursuivre ce travail, de bien le faire sans perdre son âme.
Nous voulons continuer à contribuer à cette transition alimentaire sur un périmètre géographique élargi avec d’autres catégories de produits toujours dans l’alimentation végétale et pas simplement dans la margarine.
GPO Magazine : Comment vous ressourcez-vous en dehors de vos fonctions de dirigeant ?
Jean-Christophe Sibileau : Je considère qu’il faut recharger ses batteries très régulièrement. Et je le dis d’ailleurs à mes collaborateurs. Il faut avoir des moments de ressourcement afin d’être plus performant et plus concentré lorsque l’on est à son travail. Les week-ends et les vacances sont nécessaires pour moi avec la pratique d’un ou plusieurs sports. J’ai une personnalité plutôt dynamique et j’ai besoin de décharger mon énergie.
J’ai beaucoup pratiqué l’escrime (je suis maître d’arme) et aujourd’hui je pratique le squash, le padel tennis… Ma famille et mes amis sont également très importants avec ce que cela implique de moments de convivialité et d’échange.